Le gouvernement islamo-conservateur turc a lancé une campagne pour favoriser le retour de certains enfants turcs de l’immigration adoptés par des Européens, notamment des couples homosexuels, dans des familles ou des institutions qu’il juge plus conformes à leurs valeurs et leur culture.
C’est un débat qui agite régulièrement le pays. Il a ressurgi cette semaine à la faveur d’une décision de la justice des Pays-Bas, qui s’est opposée à la demande de parents turcs vivant en Hollande de leur rendre leur petit Yunus, 7 ans, adopté par un couple d’homosexuelles néerlandaises.
La décision a suscité un certain émoi en Turquie, et le soutien bienveillant de ses plus hautes autorités à la famille déboutée.
« Nous faisons tout notre possible pour fournir à la famille une aide juridique afin qu’elle récupère son enfant et, si ce n’était pas possible, pour que cet enfant soit confié à une famille qui aurait l’approbation de ses parents », a lancé devant les journalistes le vice-Premier ministre Bekir Bozdag.
Pour justifier sa position, il a été on ne peut plus clair. « Les familles turques ne veulent pas donner leurs enfants à des couples homosexuels », a assuré Bekir Bozdag, « il est important que ces enfants soient élevés dans un environnement similaire à celui de leur culture familiale ». Et le ministre d’insister sur l’état de « confusion » de ce garçon qui appelle ses deux parents « maman ».
Le « mariage pour tous » n’est pas reconnu en Turquie et, dans ce pays à forte majorité musulmane, l’homosexualité reste un tabou. En 2010, l’ancienne ministre de la Famille Aliye Kavaf s’y était attirée les foudres de la critique en l’assimilant à une « maladie ».
Le sort des enfants confiés à des couples de même sexe n’est pas le seul à gêner les responsables turcs, qui confient, souvent à demi-mot, s’inquiéter aussi de celui des orphelins placés dans des familles ou des institutions chrétiennes.
Dans leur collimateur, l’Allemagne et les Pays-Bas, où vivent respectivement près de 3 millions et quelque 500.000 personnes de nationalité ou d’origine turques.
Directement mises en causes, les agences qui y sont chargées d’enfants – orphelins, séparés de leurs parents ou placés sous protection – répondent qu’elles ne recensent pas les familles d’accueil en fonction de leur religion ou de leur ethnie. Et surtout qu’elles font leur maximum pour leur trouver l’accueil le plus adapté possible.
« Nous mettons tout en oeuvre pour trouver à chaque enfant la solution la plus adaptée », plaide Hilje Wolfson, la porte-parole de la Jeugdformaat Foundation néerlandaise, qui réunit plus d’un millier de familles d’accueil autour de La Haye, où vivent plus de 35.000 personnes de nationalité ou d’origine turque.
« C’est la raison pour laquelle nous regardons d’abord s’il existe des membres de la famille qui peuvent prendre soin de l’enfant », ajoute-t-elle, « mais ce n’est pas toujours possible, il faut alors se tourner vers les parents disponibles ».
Pour limiter ce scénario, certaines ONG tentent d’encourager les couples d’origine turque à adopter.
« Depuis cinquante ans que nous vivons en Europe, nous avons ouvert des mosquées, des boutiques de thé, des restaurants. Mais nous n’avons apparemment pas songé à notre postérité », déplore Kamil Altay, à la tête de l’association allemande Umut Yildizi (Etoile d’espoir).
Grâce à des campagnes d’information, plus de familles turques se proposent aujourd’hui pour adopter.
« Je pense que les enfants sont bien plus heureux s’ils sont placés dans des familles turques, qui parlent et font à manger comme leurs mères », estime Nejla Buran, qui vit en Allemagne et accueille depuis 2007 deux frères. « L’agence de placement leur avait demandé de m’appeler Frau (madame en allemand) Buran », s’amuse-t-elle, « ils ont vite préféré tata ».
Mais, malgré ces progrès, les autorités turques restent vigilantes. Il n’est pas encore question d’engager les hostilités, comme la Russie vient de le faire en accusant les Etats-Unis de maltraiter les enfants russes adoptés. Mais la menace est claire.
« Nous n’exigeons pas pour l’instant le retour de ces enfants mais (les conventions internationales) autorisent la Turquie à le faire », indique son président, le député du Parti gouvernemental de la justice et du développement (AKP) Ayhan Sefer Ustun. « Mais nous pourrions y recourir si les mesures de protection de ces enfants continuent à poser problème ».