Selon l’ONU, 5000 homicides et près de 2500 kidnappings ont été recensés en 2023 en Haïti. Mais il y en a sans doute plus dans ce pays de 11 millions et demi d’habitants, aujourd’hui le plus peuplé des Caraïbes, où aucun scrutin ne s’est tenu depuis 2016, alors que l’ancien président, Jovenel Moïse, a été exécuté à son domicile en juillet 2021, par un commando de mercenaires colombiens.
A présent, dans cette république gouvernée depuis 3 ans par le premier ministre, Ariel Henry, sans la moindre légitimité démocratique, « il y a sans doute plus de personnes LGBT+ assassinées qu’ailleurs dans le monde, mais comme il s’agit d’un État francophone, très pauvre, dépourvu de ressources stratégiques et de textes de lois explicitement LGBTphobes, tout le monde sans fiche », s’insurge Diamantine (pseudonyme), une activiste haïtienne qui vivait à Port-au-Prince jusqu’à l’été dernier.
Pourtant la situation continue de se détériorer avec une extraordinaire brutalité depuis que l’ancien putschiste Guy Philippe (2001, 2004) est revenu dans le jeu politique haïtien, avec pour objectif la prise du pouvoir, « par les armes si nécessaire », selon le porte-parole de sa formation politique, Jean Ilaire Lundi Roday, (Front pour la Reconstruction Nationale), bien que le principal intéressé démente. Par le passé, ses escouades de sinistre mémoire s’étaient illustrés par de nombreuses exactions extrajudiciaires dans les années 2000.
Policier formé en Équateur, son parcours est d’autant plus inquiétant qu’il possède des liens solides avérés avec le crime organisé international, Haïti étant une zone de transit de la cocaïne à destination des États-Unis, où Guy Philippe purgeait une peine de prison pour blanchiment d’argent lié au trafic de stupéfiants, avant son expulsion vers Port-au-Prince en novembre 2023.
Aujourd’hui, alors que 80% de la capitale haïtienne est sous la coupe d’organisations criminelles et qu’une force de déploiement de policiers kényans tarde à se concrétiser, les activistes LGBT+ locaux sont désemparés et n’arrivent plus à s’imaginer un futur dans leur propre pays, tandis que la République Dominicaine voisine érige un mur pour empêcher l’immigration.
Pendant ce temps, la crise s’intensifie sous tous les spectres. Certaines forces en armes se mutinent dans le nord du pays depuis janvier, notamment les Brigades de sécurité des aires protégées (B-SAP), tandis que le bilan humanitaire empire du côté des civils, y compris parmi les personnes LGBT+ qui cherchent à se relocaliser là où leurs cercles d’interconnaissance le permettent, dans un pays qui compte déjà près de 170 000 enfants déplacés selon le tout dernier rapport de l’UNICEF.
Souvent la presse internationale anglophone met en lumière les nouveaux environnements législatifs LGBTphobes d’anciennes colonies britanniques en Afrique, telles que l’Ouganda ou le Ghana, dans le cadre d’un affrontement de blocs entre les démocraties occidentales, voire leurs alliés et les régimes illibéraux, dont la Russie se fait le porte-étendard en termes d’homophobie.
Néanmoins, en Amérique latine et dans les Caraïbes qui sont majoritairement des territoires d’expression hispanophone ou francophone à l’exception notable du Brésil, s’il reste des petits états aux législations extrêmement homophobes bien documentés comme en Jamaïque ou au Guyana, c’est sans doute le narco-trafic et les violences commises par la police et les gangs qui gravitent autour de cette économie qui tuent le plus. Et les personnes LGBT+ ne peuvent pas y échapper.
Les récentes flambées de violences en Équateur où les barons de la drogue cherchent à exercer une mainmise sur l’État, prouvent qu’outre Haïti dont l’évolution est singulière, que nul pays de la région est à l’abri de ce type de développement qui constitue une véritable régression en termes de droits et de liberté, surtout pour les groupes vulnérables et minoritaires comme les personnes LGBT+.
D’ailleurs, ces dernières années, très peu d’enquêtes faisant suite à des assassinats contre la communauté ont pu aboutir.
On peut être amené à parler de pénalisation de l’homosexualité de facto, quand les organisations LGBT+ locales ne peuvent plus mener leurs missions normalement et que les activistes ont de plus en plus de mal à pouvoir se réunir, à l’abri des balles perdues, sachant qu’il en va de même pour les espaces de loisirs.
Cependant, d’aucuns y voient là les effets collatéraux d’une guerre qui ne dit pas son nom, avec un conflit destructeur qui tue aveuglément, dans un pays qui ne fabrique pourtant pas d’armes à feu.