Les aîné(e)s LGBT ont vécu longtemps leurs désirs et relations amoureuses en secret. Ils ont dû lutter contre vents et marées pour s’accepter et être acceptés dans un monde où l’homosexualité était illégale et synonyme de maladie mentale. Manuel Mendo a entrepris un long voyage au coeur de l’histoire de vie de 10 hommes et 7 femmes LGBT québécois âgés de 63 à 77 ans. Il a réalisé un superbe documentaire à partir de leurs récits de vie, exploitable sous diverses formes (ex. conférences, débats, livre, site Internet, exposition). Que leur ont-ils confié ? Comment vivent-ils leur âge d’or LGBT ?
Une entrevue avec Manuel Mendo, formateur pour la Ligue française pour la santé mentale :
QUELLE A ÉTÉ VOTRE SOURCE D’INSPIRATION INITIALE ?
Elle m’est venue de rencontres avec des personnes plus âgées qui disaient qu’il était trop tard à leur âge pour vivre « gaiement » leur homosexualité. J’ai voulu montrer que c’était possible, rendre visible une réalité dont on parle jamais ou très peu
COMMENT SE SONT DÉROULÉES LES ENTREVUES ?
Je leur demandais : « racontez-moi votre vie », sans mettre l’accent sur l’homosexualité. Chacun y allait à son rythme. Il a fallu plusieurs séances (5 ou 6 dans certains cas). Certains ont parlé davantage de leur vie professionnelle, d’autres de leur vie amicale, amoureuse ou familiale. Ensuite, je leur ai demandé comment ils voyaient leur avenir. Puis, j’avais une trentaine de questions portant sur des aspects plus précis concernant leur homosexualité. Mais la base du travail, c’était les récits de vie […] J’enregistrais les entrevues, prenais des photos et filmais des images (ex. clichés de la personne à différentes époques, tournage dans son milieu de vie).
QUELS ONT ÉTÉ POUR TOI LES MOMENTS FORTS DE CES RENCONTRES ?
Un homme m’a dit qu’il avait passé six mois en prison, en 1963, parce qu’il était soupçonné d’être homosexuel. Ils sont venus le chercher à l’école. On l’a menotté devant les élèves. L’homosexualité était illégale à cette époque, la présomption d’homosexualité aussi. Toute sa famille l’a appuyé, dès les premiers moments. Ça a noué des liens familiaux très étroits […] Un homme a été battu toute son enfance par son père, mais il a toujours refusé de le détester. Il a eu sa photo sur sa table de chevet volontairement toute sa jeunesse. Ce dernier lui reprochait constamment son manque de force physique (il travaillait à la ferme), sa timidité, son manque de virilité. Mais il refuse de se dire que son père était homophobe. Ce dernier s’est suicidé lorsqu’il était ado. À mon avis, cela pourrait expliquer le fait qu’il ait autant tardé à vivre son homosexualité (à 45 ans). C’est pour cela que l’histoire de vie est si importante, elle permet de mieux comprendre.
QUE DISENT-ILS, EN GÉNÉRAL, À PROPOS DE LEUR PARCOURS DE VIE ?
Le Québec est le seul endroit au monde (mis à part l’Espagne) où l’on trouve une génération qui a vécu à la fois le poids de la culture et de la religion de l’après-guerre et la vie dans un pays où les homosexuels ont les mêmes droits que les hétérosexuels […] La religion avait une très grande importance lorsqu’ils étaient jeunes. La plupart ont découvert très tôt leur attirance pour des personnes de même sexe, à 5-7 ou 10 ans. Mais ils n’accordaient pas beaucoup d’importance à cela. Ce n’était pas dit, ni accepté. On ne devait pas le vivre. Ils avaient des sentiments, mais ils devaient les mettre de côté. Certains se disaient : « non, je ne suis pas homosexuel, c’est une maladie et je ne suis pas malade, ou oui je le suis, mais ça va passer (ex. quand je vais me marier) et d’autres, minoritaires, se disaient oui, j’aime les hommes ou les femmes et je vais le vivre en cachette » […] Leur père était souvent absent […] La majorité d’entre eux ont vécu leurs premières expériences homosexuelles alors qu’ils avaient entre 17 et 25 ans […] Cinq hommes et quatre femmes ont été mariés. Certains l’ont fait pour être comme tout le monde ou pour « guérir » et d’autres parce qu’ils étaient amoureux, tout en sachant qu’ils avaient de l’attirance pour des personnes de même sexe […] Ils ont tous l’impression d’avoir fait un long cheminement d’acceptation. Leur coming out s’est déroulé sur une très longue période : auprès des ami(e)s, de la famille et parfois même, au travail. Les réactions ont été mitigées. Mais ils sont tous fiers de l’avoir fait. Aujourd’hui, ils sont rendus à un stade où ils se sentent bien avec leur homosexualité. Ils ne veulent plus se poser de questions. Ils se disent : « j’ai assez travaillé pour m’accepter. Je suis fatigué ». Ils ne sont donc pas très militants.
PARLEZ-NOUS DE LA VIE DES FEMMES QUE TU AS INTERROGÉES
Le côté maternel était très fort pour plusieurs d’entre elles (4/7), mais la maternité ne semblait pas incompatible avec leur homosexualité […] Une femme a quitté son mari dans les années 1960, avec ses trois enfants. Elle était tombée amoureuse d’une femme. Ses enfants vénèrent son courage aujourd’hui […] Mais chez les femmes, il y a d’autres cas de figure où les enfants ont posé problèmes. J’ai interrogé le fils de l’une des lesbiennes qui dit en avoir tiré une leçon importante. Il compte enseigner à ses futurs enfants l’ouverture à la différence. Il est très fier de sa mère. Mais c’est seulement avec le temps qu’il a compris que sa mère était lesbienne. Ce n’était pas dit ouvertement au début […] Toutes les femmes ont eu des relations avec des hommes, sauf une, et la plupart parce qu’elles en avaient envie. Une femme se considère vraiment bisexuelle. Elle a vécu 13 ans avec un homme […] Les femmes donnent l’impression d’avoir moins souffert. Le mouvement féministe les a probablement aidées à vivre leurs amours plus librement.
ET AUJOURD’HUI, À QUOI RESSEMBLE LEUR VIE AMOUREUSE ET SOCIALE ?
Trois hommes et trois femmes ont un(e) conjoint(e) (deux depuis 40 ans et une autre depuis 26 ans !). Presque tous ont déjà été en couple gay à certains moments de leur vie […] Les personnes en couple aujourd’hui sont très heureuses dans leur relation. Les autres ont encore espoir de l’être, malgré leur âge. Elles sont toujours à la recherche de la personne avec laquelle elles partageront le reste de leur vie […] Les femmes vivent plus en cercle fermé, entre elles.
CES AÎNÉ(E)S ONT-ILS BESOIN D’AIDE ? SE SENTENT-ILS SOUTENUS ?
Ils vont tous assez bien. Mais il faut dire que pour accepter de témoigner publiquement, il faut se sentir bien […] Je leur ai parlé du projet de maison de retraite à Montréal, mais aucun n’a semblé intéressé. Ça ne leur parle pas. Ils disent avoir trouvé leur place dans la société et ne pas vouloir vivre en « ghetto ».
QUE RETENEZ – VOUS DE LEURS PROPOS ?
Ils ont démontré beaucoup de courage et de volonté tout au long de leur vie […] J’ai montré ce travail à des jeunes qui ont été très touchés par leurs discours. Ils sont des modèles pour les générations futures. Je suis très motivé. J’ai vraiment espoir de pouvoir le diffuser*.
Pour plus d’information : http://dispapi.blogspot.ca/ !
*Précisons que ce projet n’est pas terminé. Manuel Mendo est à la recherche de financement pour le finaliser. Vous vous sentez l’âme généreuse ou souhaitez lui proposer des sources de revenus ? Contactez-le : mendo@azul-fr.com !
Annie Vaillancourt