De 600 en 2012, elles sont passées à 1 100 en 2013. L’inquiétude monte, dans le pays réputé le plus tolérant d’Europe à l’égard des homosexuels – le premier au monde à avoir légalisé le mariage gay en 2001. A Amsterdam, les agressions homophobes se multiplient depuis dix ans. En 2005, un touriste américain, Chris Crain, éditeur de magazines gays aux Etats-Unis, est battu par sept jeunes d’origine marocaine, alors qu’il rentre à son hôtel avec son ami, main dans la main. Personne, parmi les passants et témoins de la scène, n’intervient. En 2007, une vingtaine d’hommes ont été hospitalisés après avoir été passés à tabac lors de la Gay Pride qui se déroule tous les ans en août à Amsterdam. Les agressions se poursuivent dans la capitale économique, au rythme de 200 par an. A tel point que la ville commence à se faire une réputation de «capitale mondiale du gay bashing».
Ce phénomène laisse perplexe. «Nous ne savons pas vraiment pourquoi ces violences prennent de l’essor», explique Tanja Ineke, présidente de COC Nederland, la plus grande association de défense des droits des homosexuels, bisexuels et transgenres. Une hypothèse : «Nous encourageons les victimes à porter plainte, ce qui explique en partie la hausse des chiffres.»
Harcèlement. Des brigades spéciales de «police rose», formées pour répondre aux actes de discrimination, existent dans les grandes villes. Mais elles ne parviennent pas à désamorcer les agressions. Chaque année depuis 2009, une trentaine de couples homosexuels préfèrent déménager plutôt que d’avoir à affronter le harcèlement du voisinage. Un couple d’Utrecht contraint de quitter la cité a intenté un procès à la mairie, la police et l’Etat pour ne pas l’avoir protégé de ces agressions, malgré huit plaintes formelles. Aucun des suspects, des jeunes d’origine marocaine, n’a été interpellé, même si ce couple a obtenu gain de cause en 2011 auprès de la justice, avec des indemnités. Désormais, suivant l’exemple d’Utrecht, des villes s’emploient à mettre au point des systèmes d’alerte.
Selon une perception répandue, les violences homophobes relèveraient d’un problème «d’intégration» des jeunes immigrés turcs et marocains. «Il ne faut pas aller dans les quartiers Est et Sud-Est d’Amsterdam, ou en tout cas éviter de s’y promener main dans la main», explique Jelger, yeux bleus et cheveux très courts. Patron de Prik, un bar gay aux meubles et murs roses du centre-ville d’Amsterdam, il poursuit : «Ces endroits sont moins tolérants parce qu’il y a des groupes d’origines différentes.» Pourtant, les derniers incidents dont il a entendu parler se sont produits en plein centre-ville, devant la gare centrale et sur le canal de Prinsengracht…
Selon les chiffres de la police, 36% des agressions homophobes à Amsterdam sont le fait de groupes de jeunes marocains ou turcs, une part qui tombe à 14% à l’échelle nationale. «En fait, ce sont des types blancs et néerlandais qui frappent autour d’eux, note Tanja Ineke, la présidente de COC Nederland. Les lesbiennes écopent le plus souvent d’insultes, tandis que les gays sont confrontés à de la violence physique.» Elle regrette de ne pas avoir plus d’études sur le profil de ces «gay bashers». Son association a demandé au ministère de l’Intérieur de mener une enquête.
Pincettes. Pour l’instant, les chiffres officiels assurent que seulement 10% des Néerlandais n’acceptent pas l’homosexualité, contre 26 % des immigrés d’origine marocaine et 32% pour ceux d’origine turque. Des chiffres tirés d’une enquête menée en 2011 par le Bureau de planification sociale et culturelle (SCP) à prendre avec des pincettes. «Les Néerlandais savent donner des réponses politiquement correctes», note le chercheur Gert Hekma, coauteur d’une étude sur les violences homophobes, intitulée «Du moment qu’ils restent loin de moi».
Un problème plus général de tolérance se pose, de son point de vue, dans une société devenue plus «pro-gay», mais aussi moins libérale et plus «antisexe». «Il est par exemple devenu habituel d’être sorti du placard au travail, écrit ainsi Gert Hekma. Mais à condition de se comporter « normalement ». Une exigence formulée à la fois par les gays et leurs collègues hétéros. Presque tous rejettent les nichten [« folles »] – autrement dit, toute attitude efféminée, « non masculine » ou « sursexuelle ».»
«Les gens nous acceptent peut-être, mais pas dans leur cuisine», confirme Lewis, homosexuel néerlandais installé à Amsterdam. A son avis, il existe une lassitude au sujet des homosexuels, qu’il s’agisse de leurs droits ou des violences à leur encontre. «Nous nous sommes battus pour avoir des droits égaux. Maintenant qu’on les a, tout se passe comme si on devait devenir invisibles.»
Il aura fallu une loi, fin 2011, pour contraindre tous les officiers d’état civil, dans les mairies, à célébrer des mariages homosexuels légalisés dix ans plus tôt aux Pays-Bas. Ils étaient encore une centaine à refuser de le faire, à travers le pays, en invoquant des raisons religieuses.