>> Etre agriculteur évoque une conception traditionnelle de la masculinité et de la famille, liée notamment à la question cruciale de la transmission du patrimoine. Un contexte qui fait que beaucoup appréhendent de vivre au grand jour leur homosexualité, même si les temps changent.
La preuve en est : l’émission L’amour est dans le pré, dont la 10e saison démarre lundi sur M6, va accueillir pour la première fois un agriculteur gay.
A la campagne, les clichés en matière d’orientation sexuelle ont la vie un peu plus dure qu’ailleurs. Selon un baromètre Cevipof-Ifop-ministère de l’Intérieur datant de 2006-2007, l’homosexualité est une pratique jugée « inacceptable » pour 47% des agriculteurs, contre seulement 21% pour les autres catégories socioprofessionnelles.
Pourquoi ‘ « Les métiers de l’agriculture sont liés à une certaine idée de la masculinité et à une certaine conception de la famille, et l’homosexualité vient troubler ces représentations », explique à l’AFP le sociologue François Purseigle qui enseigne à l’Institut National Polytechnique de Toulouse (ENSAT).
Cette question est liée notamment à une pierre angulaire des exploitations agricoles : la transmission patrimoniale.
– Qu’en dira-t-on –
« Le projet des parents est de transmettre à leurs enfants. Et pour des parents, le monde peut s’écrouler si ce passage de relais est compromis », témoigne Olivier Guitel, céréalier de 50 ans à Lommoye, à quelques kilomètres de Mantes-la-Jolie.
Lui a attendu d’approcher la quarantaine pour assumer son homosexualité. Il était marié, père d’un garçon. Théâtreux, un jour, il se met au clown. « Ce nez rouge, sur le plan personnel, ça demande d’écouter sa propre vérité. C’est là que mon homosexualité m’est apparue ».
Il en parle à sa mère, très inquiète du qu’en dira-t-on. Mais finalement pas un mot de travers, jamais. « Même si par rapport aux autres, j’ai toujours été considéré comme un marginal avec un théâtre dans la ferme et un chapiteau. Mais je n’ai pas subi de moquerie directe, ni de malveillances ».
« Les préjugés, ce sont toujours ceux qu’on a avant de vivre la situation. Moi j’avais des préjugés, c’est pour cela que je ne voulais pas faire mon coming-out ».
Aujourd’hui, il vit avec son compagnon, il continue à garder un pied dans la ferme mais surtout à faire le clown –Raoul Nitrate — au sein de la compagnie Etincelle Bouillasse.
Finalement, la plus grande difficulté reste le chemin précédant l’annonce, confirme François Purseigle. Le sociologue a mené une enquête sur le sujet entre 2006 et 2010 et conduit une trentaine d’entretiens.
– ‘fermes-auberges gay-friendly’ –
« Beaucoup de situations de souffrance sont vécues avant l’installation. Certains s’interdisaient de vivre leur homosexualité à la ferme et sont partis en ville. Ils ne sont revenus, le cas échéant, qu’une fois en couple ou lorsque la reprise de la ferme était devenue urgente ».
D’ailleurs, si Guillaume, l’éleveur de brebis en Auvergne de L’Amour est dans le pré avait un message à faire passer, ce serait celui là: « aux jeunes ados, je pense qu’il voudrait dire que c’est quelque chose qu’il ne faut pas taire et que ça peut finir mal », rapporte Virginie Matéo, la productrice de l’émission.
Et si l’agriculture reste un monde conservateur, marqué de l’empreinte catholique et où le divorce a mis bien longtemps à se faire accepter, les changements sont en route.
En tous cas, les discours politiques sont volontaristes à l’image de l’homme fort du monde agricole, Xavier Beulin, qui affiche sans complexe sa totale « ouverture » sur le sujet.
« Il n’est pas inutile qu’on casse quelques clichés » mais « ce que je dis et qu’on a du mal à entendre, c’est que les agricultrices et les agriculteurs sont de plus en plus à l’image de la société française » avec une « société rurale de plus en plus ouverte et connectée », déclare à l’AFP le président de la FNSEA, principal syndicat agricole du pays.
« Avant le milieu agricole était fermé et il fallait s’expatrier. Aujourd’hui, dans les campagnes, le choix sexuel est assumé. Vous avez même des fermes-auberges gay-friendly », témoigne pour sa part Bernard Lannes, président d’un autre syndicat agricole, la Coordination rurale.
AFP