Annecy. Quand un élu municipal fait son coming-out sur internet

Je suis homosexuel. C’est ma réalité. J’ai aussi beaucoup d’autres qualités, car un individu ne se résume pas à son orientation sexuelle. Pourtant, en tant qu’homme médiatique, il me semble important aujourd’hui d’exprimer publiquement cette réalité, pour moi et ma famille, pour les Annécien(ne)s et surtout pour tous ceux qui pourront trouver dans ce témoignage matière à réflexion et à apaisement.

Pourquoi faire mon « coming out » public aujourd’hui ?

Pour trois raisons principales.

D’abord, je souhaite pouvoir me promener dans les rues d’Annecy avec mon compagnon de façon non pas plus libre (je ne me suis jamais caché et je n’ai pas besoin de sortir d’un placard) mais plus sereine. A partir d’aujourd’hui, les choses seront plus claires.
Ensuite parce que j’en ai un peu assez qu’en tant qu’élu on me demande : « comment va Madame Duperthuy? » « Avez-vous des enfants? » et de donner la réponse bateau « Elle va bien », « Non je n’ai pas encore d’enfants ». Je n’en veux pas du tout à ceux qui posent cette question, ils ne sont pas censés savoir. Mais j’espère qu’à l’avenir ils me demanderont plutôt « Comment va votre compagnon? ».
Enfin, et c’est la raison principale, parce que le suicide du jeune Peter à Valmorel, suicide vraisemblablement lié au rejet de son homosexualité par sa famille, après tant d’autres témoignages et drames, est l’élément déclencheur d’une prise de conscience. En tant qu’élu local, ayant une présence médiatique, mon rôle est, entre autres, de mettre cette petite notoriété au service de la cause homosexuelle. Je veux dire à ces jeunes qu’ils ne sont pas seuls, même dans notre département de Haute Savoie où aucun parlementaire n’a voté le mariage pour tous. Il existe à Annecy, un homme politique qui vous comprend, qui vous défend et qui veut faire avancer l’égalité des droits et reculer l’homophobie. Je ne suis pas le seul, bien sûr. Beaucoup de stars bien plus illustres, et de femmes et hommes politiques bien plus importants ont eu le courage de dire leur homosexualité pour faire avancer les mentalités. Mais je crois aussi que les exemples locaux, proches des gens sont importants. Je ne peux me résoudre à voir que les jeunes homosexuel(le)s ont un taux de suicide 13 fois supérieur à celui des hétérosexuels. C’est pour moi intolérable.

Pourquoi je ne l’ai pas annoncé plus tôt?

En réalité, parce que j’en ressentais ni le besoin ni la nécessité. La vie privée devait rester la vie privée. Et puis j’ai changé d’avis. Un an après l’adoption du mariage pour tous qui avait déclenché une vague d’homophobie insoupçonnée dans tout le pays, les média sont retournés vaquer à leurs sujets. Et malheureusement, ce que l’on pouvait craindre est en train d’arriver : loin des micros, dans l’intimité des familles, des entreprises, la haine homophobe se déchaine, en témoigne la hausse spectaculaire des actes homophobes (+78% en 2013). Aujourd’hui, face à ces actes, face aux insultes quotidiennes, au dénigrement, au rabaissement, les homos se retrouvent seuls, démunis. Le couvercle s’est refermé sur une France libérée de la parole homophobe. Il faut combattre cette violence et aider les victimes, notamment en témoignant.

Ensuite parce que le moment n’était pas venu. Je ne souhaitais pas apparaitre comme l’élu, le candidat de la communauté gay. Mon discours politique est bien plus large que cela et s’adresse à tous les Annéciens. Bien sûr, il laisse transparaitre mon combat contre l’intolérance, contre les discriminations de tous ordres, contre l’homophobie et contre tous les racismes. Et puis, je n’ai pas la prétention d’être le porte-parole ou bien encore l’incarnation de la communauté gay. Je suis un homosexuel comme tant d’autres, avec leurs différences, leurs oppositions et leurs désaccords.

Enfin, il faut le reconnaitre, par peur des réactions, non pas tellement des citoyens, mais du monde politique. C’est un monde très macho et violent, et je me souviens encore des petites phrases d’après réunion de l’agglo où certains se lâchaient : « Moi célébrer le mariage entre deux pédés, pas question ! ». Mais j’ai aussi rencontré cette même réalité jusqu’au sein de ma famille politique « ces homos ils nous gonflent avec leur mariage, la priorité des Français c’est l’économie ». Comme si on ne pouvait pas faire les deux…
Je sais aussi que mes parents redoutent à chaque campagne électorale que je sois attaqué sur ce plan personnel. Ils ont peur que je puisse être blessé par des attaques méchantes. Je veux dire qu’au cours de mes campagnes électorales, aucun de mes concurrents n’a jamais utilisé cet argument. Je leur en suis reconnaissant. Parfois il y eut des insinuations, via les réseaux sociaux notamment, mais elles provenaient d’individus isolés. A partir d’aujourd’hui, mes parents pourront être tranquilles. Certes il y aura surement des attaques, un jour, mais j’y suis prêt et personne ne pourra ignorer leur connotation homophobe.

Cela fait maintenant presque 9 ans que je vis avec mon compagnon. Je suis heureux. Je construis ma vie à Annecy, avec ses hauts et ses bas, comme n’importe qui. Je sais la chance que j’ai eue d’avoir des parents et une famille qui ont accepté ma différence. Je ne les remercierai jamais assez, surtout quand je vois à quoi peut conduire le rejet.

Il existe ici aussi en Haute Savoie, des homosexuels qui vivent une vie heureuse. Des femmes, des hommes, chefs d’entreprises, salariés, artistes, sportifs, politiques, inconnus ou célèbres, etc… C’est ce témoignage positif que je voulais vous livrer. Nous avons le droit de vivre heureux, sans préjugés ni jugements, le droit à l’indifférence et le devoir de combattre l’intolérance. Oui, c’est vrai, les presque 30% réalisés aux dernières élections municipales par des listes issues de la manif contre tous m’ont beaucoup peiné. C’est à nous qui sommes plus forts de protéger les plus faibles et en particulier nos jeunes. C’est à nous de dire que l’homosexualité n’est ni une maladie ni un sacrilège. Que les mots du rejet peuvent tuer, que l’extrémisme religieux tue aussi ici, en France. Je suis homosexuel et je n’ai pas à m’en excuser ou à me justifier. On ne se justifie pas d’être roux ou brun, gaucher ou droitier. Je veux qu’on nous respecte et qu’on arrête de répandre la haine homophobe.

Ce combat n’est pas un combat politique, c’est un combat pour l’Humanité. Le droit qu’à chaque individu de vivre heureux dans sa singularité.

Denis Duperthuy