Argentine : Une école de la deuxième chance pour les transgenres de Buenos Aires

L’établissement Mocha Celis, qui accueille 40 élèves, a ouvert en 2012 et la première promotion sortira en décembre 2014 avec son diplôme, l’équivalent d’un bac professionnel, permettant d’apprendre un métier. Les salles de classes sont au 5e étage d’un bâtiment du quartier commerçant de Chacarita, des anciens bureaux d’une compagnie de chemins de fer.

Comme la plupart des élèves se prostituent la nuit et dorment durant la matinée, les cours ont lieu l’après-midi. Des professeurs bénévoles donnent les cours.

Daniela Mercado, 27 ans, est décidée à rattraper le temps perdu. Ce travesti a quitté sa ville natale de Mendoza (ouest) à 13 ans. Son père l’avait roué de coups en découvrant son homosexualité. « J’aurais préféré avoir un fils bandit ou drogué« , lui avait-il dit ce jour-là.

« En 1998, j’ai terminé le primaire, en 2013 j’étudie de nouveau, 15 années ont passé, 15 années durant lesquelles je n’ai ni étudié, ni travaillé« , raconte d’un air grave Daniela Mercado.

L’élève de Mocha Celis caresse délicatement sa longue chevelure noire, vêtu sobrement d’un jeans et d’une veste noire sur un T-shirt blanc, en rupture avec les tenues vestimentaires ostentatoires des travestis.

Du trottoir aux crumbles 

Mocha Celis, du nom d’un travesti analphabète assassiné de trois balles dans le dos dans les années 1990, « veut ouvrir un éventail de possibilités pour que chacun puisse choisir. Que la prostitution ne soit pas l’unique moyen de vivre pour les trans« , confie à une journaliste de l’AFP Francisco Quiñones, un des coordinateurs du projet.

En attendant que la mairie de Buenos Aires finance la formation, l’école fonctionne grâce à une subvention d’un Etat ouvert aux revendications des LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels). L’Argentine a récemment adopté deux lois considérées comme avant-gardistes dans un pays où l’avortement est interdit. Le mariage gay a été légalisé (2010), tout comme le changement d’état civil pour les travestis et les transsexuels (2012).

Aujourd’hui, l’enfant de Mendoza cuisine des crumbles aux pommes, sa spécialité, et les vend à 10 pesos (1,2 euro au change officiel) dans le quartier de Chacarita et aux autres élèves. « Et ça marche« , s’enthousiasme Daniela Mercado, qui a profité de la nouvelle loi pour obtenir « sexe: féminin » sur sa carte d’identité.

Chaque jour, elle passe des heures dans les transports en commun entre la banlieue de Gonzalez Catan et la capitale, distantes de 35 km. Longtemps, elle a évité de prendre l’autobus ou les trains urbains. « J’ai mis du temps à perdre la peur » face aux regards malveillants et aux expressions de rejet des autres usagers pendant les trajets, dit-elle.

Elle raconte aussi comme elle a sombré dans la cocaïne. « Se prostituer, ça génère plein de vices. Et pour (acheter sa dose), il faut de l’argent, c’est un cercle vicieux. Moi, sobre, je ne peux pas être dans la rue. Je ne sais pas ce que c’est d’avoir une relation sexuelle sans qu’on me paie, tu penses comment tu vas dépenser l’argent« , confesse-t-elle.

En Argentine, les travestis ont une espérance de vie de 35 ans, du fait de la drogue, de la violence et des maladies sexuellement transmissibles. 

Daniela met beaucoup d’espoirs dans sa formation et espère enfin trouver un « emploi normal« , dans une structure où elle ne serait pas l’objet de discriminations.

En Argentine, 85% des travestis ou transsexuels ne finissent pas leur scolarité, victimes de moqueries, brimades ou de violence. Un processus qui sera long à inverser. Mais pour Francisco Quiñones, l’émergence de l’école Mocha Celis est une victoire et l’aboutissement d’années de combat pour les droits des minorités trans et travestis.