À plusieurs reprises, lors de manifestions pacifiques, les forces de sécurité tunisiennes ont pris pour cible des activistes LGBTI (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes), simultanément « harcelés sur les réseaux sociaux, où leurs informations personnelles, dont leurs adresses et numéros de téléphone, ainsi que leur orientation sexuelle, ont été divulguées », s’alarme Human Rights Watch, qui dénonce « des agressions physiques, des menaces de viol et de meurtre, ainsi que le refus du droit d’accéder à une assistance juridique ».
« Les activistes LGBTI qui persistent à manifester sont terrifiés à l’idée que les forces de sécurité les identifient pendant les rassemblements, les regroupent et les maltraitent en toute impunité », a déclaré Rasha Younes, chercheuse auprès du programme LGBT à Human Rights Watch. « Les forces de sécurité ont pour obligation de protéger le droit de manifester pacifiquement, et non de harceler les activistes dont l’engagement audacieux a contribué à la réputation de la Tunisie en tant que leader régional dans ses progrès en matière de droits humains. »
Les récents témoignages d’abus ont été recueillis dans le contexte d’une persécution accrue des personnes LGBTI pendant la pandémie de Covid-19 en Tunisie, pays où l’homosexualité est criminalisée, et d’une intensification ces dernières années de la répression des organisations dédiées.
Insaf Bouhafs, le coordinateur du programme LGBTI chez Avocats sans frontières (ASF), a déclaré à Human Rights Watch que son organisation avait documenté plus de 1 600 arrestations, dont environ 30% de mineurs, depuis le début des manifestations, qui ont débuté dans de nombreuses régions le 15 janvier 2021, suite à la détérioration des conditions économiques, exacerbées par la pandémie et alimentées par le recours à une force disproportionnée par la police en réponse, provoquant en outre la mort d’un homme et de nombreux blessés.
Dans un rapport qu’a pu consulter Human Rights Watch, ASF fait état de « conditions insalubres et de surpopulation dans le centre de détention de Bouchoucha à Tunis, en violation des propres règles d’hygiène et de distanciation sociale du gouvernement pour lutter contre la propagation du Covid-19, ainsi que des directives internationales ». Le rapport précise aussi que « des enfants ont été détenus parmi des adultes, ce qui est interdit par le droit international. Beaucoup restent détenus dans des conditions abusives, victimes de violences physiques aux mains des autorités pénitentiaires ».
Human Rights Watch indique avoir aussi examiné des images en ligne de violences policières manifestes, ainsi que des déclarations d’individus et d’organisations non gouvernementales, et des éléments visuels fournis par des victimes de violences et de harcèlement en ligne.
« Tous les activistes interrogés ont déclaré avoir été harcelés verbalement et menacés de violence par la police, dont trois de viol et cinq d’être tués. Sept ont déclaré que les forces de sécurité avaient procédé à leur arrestation arbitraire et huit ont affirmé avoir été victimes de cyberharcèlement. Neuf ont déclaré avoir été maltraités physiquement lors de manifestations ou en détention arbitraire, et trois que la police les avait intimidés, suivis dans la rue et traqués dans leurs quartiers, les incitant à déménager ».
De même, à la suite de leur cyberharcèlement, les personnes interrogées ont estimé « devoir quitter leur domicile et leur quartier et supprimer leurs comptes des réseaux sociaux ». Un activiste a confié avoir fui le pays « après son arrestation arbitraire par la police, qui l’a passé à tabac, et la divulgation en ligne de son adresse et de son numéro de téléphone. »
Human Rights Watch et l’association Damj ont adressé une lettre aux rapporteurs spéciaux de l’ONU sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, à la liberté d’opinion et d’expression, à la vie privée, et sur la situation des défenseur.e.s des droits humains, ainsi qu’à l’expert indépendant sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et à l’identité de genre, et aux États membres de l’UE.
Les deux organisations y exhortent à faire pression sur le gouvernement tunisien pour que soient établies les responsabilités parmi ses forces de sécurité pour les violations du droit international et qu’il veille à ce que les autorités judiciaires s’abstiennent d’invoquer des motifs injustifiés, telles que de vagues allégations de « moralité », pour restreindre les libertés fondamentales des minorités sexuelles et de genre, et saper les droits à la liberté de réunion, d’association et d’expression.
Human Rights Watch invite également le gouvernement tunisien à enquêter sur les allégations de violence policière « et remettre immédiatement en liberté et abandonner toutes les charges retenues contre les manifestants en raison de leur rassemblement pacifique, de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. »
« Les autorités tunisiennes devraient prendre note que la répression policière ne fera pas taire les activistes qui ont le droit de manifester pacifiquement sans être intimidés et de s’organiser en l’absence d’ingérence des pouvoirs publics », a conclu Rasha Younes. « Les responsables de l’ONU et les alliés de la Tunisie devraient faire pression sur le gouvernement tunisien pour qu’il mette immédiatement fin à ces abus et tienne les forces de sécurité pour responsables de leurs actes. »
#Tunisie : Des activistes #LGBTI visés par arrestations arbitraires & violences policières
«Ceux qui persistent à manifester sont terrifiés à l’idée que les forces de sécurité les identifient, les regroupent et les maltraitent en toute impunité» https://t.co/3CqVpklf75 pic.twitter.com/fFdMPO4YNA— HRW en français (@hrw_fr) February 23, 2021