Est-ce le stress, une peur démesurée comme il l’affirme qui l’a conduit à donner un coup de poignard dans le cou à un homosexuel en quête d’aventure ? Ou plutôt une « aversion homophobe » comme le pense sa victime qui a miraculeusement survécu ?
Il se dit « réservé » et même « introverti » en tout cas « peu enclin » à parler de lui. Difficile d’imaginer ce jeune homme policé et soigné s’arrêtant en pleine nuit ce 10 avril 2009 sur un parking où se retrouvent certains homosexuels bisontins. « Un lieu glauque, inquiétant », il en convient. Mais après avoir passé deux ou trois heures dans sa voiture à sillonner le secteur entre Montbéliard à Besançon, « en repérage » assure-t-il pour une future randonnée avec son club de moto, le besoin de « faire une pause » l’a emporté.
L’accusé s’est arrêté simplement « pour uriner » et se dégourdir les jambes. Curieuse halte alors qu’il était tout près de son domicile du Valdahon, « 30 kilomètres environ ».« Une vingtaine seulement », corrige le président Ardiet que cet arrêt insolite interpelle. Et pour cause. Stationné dans un secteur sombre du parking, Arnaud Gérard descend de sa voiture en prenant son couteau. Et pas n’importe lequel. Un « poignard commando » avec une lame à deux tranchants. « Un réflexe », explique l’ex-sergent du 13 e génie. Parce qu’il était stressé, que le secteur ne lui inspirait pas confiance même s’il assure qu’il « ne connaissait pas la réputation de cet endroit ». De fait cette nuit-là les toilettes publiques sont condamnées en raison de dégradations. Tout naturellement il les contourne et s’avance dans le sous-bois du marais de Saône par « discrétion et pudeur » pour se soulager. Mais dans son dos un homme approche « Calmement sans agressivité. Je m’éloigne mais il me suit, me dit bonsoir… » L’inconnu lui aurait ensuite touché l’entrejambe avant de tenter de l’embrasser. « J’ai cru être en situation de danger, je n’arrivais pas à me défaire de cette idée ».
Dans sa poche, la main du sergent se crispe sur le poignard. Elle jaillit, balaye alentour et l’arme blanche se plante dans le cou de l’inconnu qui pousse un cri. « Je croyais l’avoir touché au niveau de l’épaule ». En réalité, la lame redoutablement tranchante a traversé la gorge sur une dizaine de centimètres en sectionnant une veine jugulaire. Si sa victime s’en est tirée, ce n’est pas grâce à lui. Le coup porté, Arnaud Gérard s’est enfui comme il était venu.
Sa victime en proie à une impressionnante hémorragie a eu la présence d’esprit de se glisser au volant de sa voiture pour regagner Besançon et le CHU. Y serait-il arrivé à temps ? Rien de moins sûr. Par chance, il croisait sur le chemin un véhicule du Smur à qui il faisait des appels de phare désespérés. Pris en charge aussitôt, il recevait sur place les premiers soins et avait finalement la vie sauve après une intervention chirurgicale d’urgence qui durait plus de trois heures. À peine sorti d’affaire, il pouvait donner sa version aux gendarmes. Bien éloignée de celle servie hier par son agresseur. Certes, il était ce soir-là en quête d’une aventure sur le parking.
Mais après son « bonsoir », l’inconnu en Rangers, gants noirs et col roulé sombre lui aurait dit « viens » en l’invitant à aller dans le sous-bois. Une parade sans équivoque bien qu’à chaque tentative de l’embrasser le mystérieux personnage se dérobait. Avant de le contourner, de lui immobiliser l’épaule gauche d’une main pour lui planter de l’autre le couteau à droite du cou. « Un geste qui peut s’apparenter à l’attaque d’une sentinelle que l’on apprend dans les stages commando », explique le chef d’enquête. Comme celui effectué par l’accusé.
Mais s’ils l’ont finalement soupçonné, c’est pour une erreur infime commise cette nuit-là. Sur la route de Valdahon, après son acte, le sergent décidait de faire demi-tour « pour lui porter secours mais sa voiture n’était plus là ». En revanche une patrouille de gendarmerie a vu cette manœuvre au milieu de la nationale et l’un des hommes a eu la présence d’esprit de relever le numéro d’immatriculation. Celui du sergent. Lors des perquisitions à son domicile, une dizaine de couteaux dont l’un portait encore d’infimes traces de sang de la victime. Il n’a pu que reconnaître son acte tout en excluant tout mobile homophobe.
Hier devant la cour, l’homme a pourtant admis avoir eu « des idées un peu dures » à l’égard de ceux qu’il considérait comme des « marginaux ». « Mais depuis j’ai travaillé avec mon psychiatre, j’ai évolué ». Reste à en convaincre les jurés du Doubs qui rendront leur verdict ce soir.
Pascal Busy