Au Canada : Des victimes des politiques anti-gay réclament des excuses officielles

Le temps passe, mais ne guérit rien : Des années après avoir été victimes de ce qu’ils appellent une « campagne nationale de purge contre les homosexuels », d’anciens employés de la GRC, de l’armée et de la fonction publique demandent des excuses au gouvernement pour une discrimination qui a parfois ruiné leur vie.

Des victimes des politiques anti-gais demandent des excuses officiellesMembres du « Réseau nous exigeons des excuses », Martine Roy et Paul Richard ont marché dimanche dans les rues de Montréal en compagnie de milliers d’autres homosexuels ou sympathisants de la cause. Mais cette année, le défilé de la Fierté revêtait une signification particulière pour eux : le groupe dans lequel ils militent espère profiter de la campagne électorale pour arracher des promesses d’excuses officielles aux trois partis qui peuvent réalistement prendre le pouvoir le 19 octobre.

« Cela marquerait un autre pas dans notre lutte », indiquait Mme Roy cette semaine. La présidente de la Fondation Émergence rappelle que « faute avouée est à moitié pardonnée… mais encore faut-il que quelqu’un l’avoue, cette faute ».

Les libéraux et les néodémocrates (qui soutiennent le réseau) promettent de passer aux actes s’ils sont élus, ont-ils affirmé au Devoir. Selon Hélène Laverdière, candidate néodémocrate dans Laurier–Sainte-Marie, appuyer publiquement la communauté LGBT passe aussi par la capacité de « reconnaître nos propres torts ». « Ce pan peu reluisant de notre passé [doit être] assumé collectivement, dit-elle. Les personnes ayant vécu de la discrimination en tant qu’employés de notre gouvernement et de nos forces armées à cause de leur identité sexuelle [doivent] recevoir des excuses. »

Le libéral Marc Garneau (candidat dans Westmount–Ville-Marie) opine en disant que ces personnes « ont reçu un traitement répugnant et méritent des excuses ». Quant aux conservateurs (dont l’absence au défilé de la Fierté a été dénoncée par les autres partis dimanche — voir encadré), ils refusent d’évoquer des excuses officielles, mais rappellent que les « gais et lesbiennes servent ouvertement au sein des Forces canadiennes depuis plus de 25 ans », et que « tous les membres des Forces méritent le respect de leurs collègues ».

Purge

L’affaire fait référence à un chapitre méconnu de l’histoire canadienne, que les universitaires Patrizia Gentile et Gary Kinsman ont détaillé dans un livre paru en 2010 — The Canadian War on Queers : National Security as Sexual Regulation.

Leurs travaux soutiennent qu’entre le milieu des années 1950 et la fin des années 1980, différentes instances liées au gouvernement fédéral ont mené une campagne « ultra-secrète » ciblant les homosexuels pour des raisons de sécurité nationale. « Plusieurs ont perdu leur emploi au sein de la fonction publique ou de l’armée, tandis que d’autres ont subi une rétrogradation », résumaient les auteurs dans un article paru dans Bulletin d’histoire politique.

Ils évoquent des « personnes piégées » par des enquêtes où la GRC et l’armée « traquaient la vie privée des personnes dont on soupçonnait les penchants homosexuels ».

Pourquoi ? Au départ, dans « le contexte de la guerre froide, on attribuait une moralité douteuse aux gais et lesbiennes, ce qui les rendait supposément plus vulnérables au chantage de la part d’agents soviétiques », disent Gentile et Kinsman. La GRC a ainsi recensé les noms de milliers de personnes soupçonnées d’être homosexuelles, alors que le gouvernement a « financé la recherche afin de trouver des moyens de déterminer l’orientation sexuelle d’une personne ».

Pour ce faire, des tests variés ont été utilisés : le pléthysmographe (mesure du volume sanguin du doigt) ; tests de sudation ; d’association de mots ; de réflexe involontaire pupillaire ; etc. « Un niveau élevé d’anxiété en réponse à des questions à connotation homosexuelle présumait de l’intérêt probable pour des personnes de même sexe », rappellent les chercheurs. Tout le mécanisme de détection des gais et lesbiennes s’appelait la « trieuse à fruits ».

Le Globe and Mail avait révélé des détails de cette chasse aux sorcières en 1992. Le premier ministre Brian Mulroney avait alors commenté cette pratique en parlant d’une « façon d’agir odieuse » et d’une « des plus graves atteintes à la liberté fondamentale de la personne que nous ayons vues ». Aucun geste de réparation n’a toutefois été fait.

Discrimination

Ces méthodes d’enquête imaginatives n’ont duré qu’un temps, au début des années 60. Mais pas la discrimination basée sur l’orientation sexuelle. En 1985, Martine Roy a ainsi été remerciée de l’armée pour l’unique fait de son homosexualité.

Avant d’être « démasquée », cette adjointe médicale a notamment subi « un interrogatoire pendant cinq heures dans une petite maison, où on me demandait plein de détails sur ma vie sexuelle. Ça n’avait aucun sens », se souvient-elle. Mme Roy dit avoir mis 15 ans avant de s’en remettre. Aujourd’hui, elle milite activement pour démystifier l’homophobie sur les lieux de travail.

« Je pensais que le dossier de la discrimination dans l’armée était réglé depuis 1992 [année où les forces armées ont modifié leurs règles pour que les soldats homosexuels puissent se révéler sans crainte d’être expulsés], poursuit Martine Roy. Mais on vient de voir avec le rapport de Marie Deschamps [sur l’inconduite sexuelle dans l’armée, qui met en lumière une culture « homophobe »] que ce n’est pas le cas. Dans ce contexte, je crois qu’il est important qu’on continue d’en parler et de faire de la sensibilisation. »

Économiste de formation, Paul Richard a pour sa part passé 20 ans à lutter contre une dépression suivant son congédiement de la fonction publique, lui aussi en 1985. Il soutient avoir subi une « discrimination systémique après avoir été identifié comme un homosexuel par la GRC ». « Le traitement homophobe par le gouvernement fédéral a complètement ruiné ma vie », affirme M. Richard, aujourd’hui âgé de 74 ans.

Il est difficile de dire exactement combien de personnes ont été victimes de cette campagne. Gary Kinsman parle de centaines de cas, voire d’un millier. Mais pour Paul Richard, peu importe le nombre, « les victimes méritent des excuses et des compensations. Pour l’instant, nous sommes des vétérans de la lutte pour les droits des gais — mais moi, j’ai l’impression d’être simplement tombé au combat. »

Guillaume Bourgault-Côté