Au Liban, un magistrat refuse de criminaliser l’orientation sexuelle « du fait de sa simple pratique »

Dans une affaire opposant au parquet un groupe de 9 personnes, « incriminées d’homosexualité », le juge unique du tribunal pénal du Metn (à l’est de la capitale, Beyrouth), Rabih Maalouf, a décidé d’écarter l’usage de « l’article 534 » du code pénal libanais qui pénalise les relations sexuelles « contraires aux lois de la nature » d’une peine d’un mois à un an d’emprisonnement et d’une amende entre 200 000 et un million de livres libanaises (environ 62 000 euros).

Estimant que cet article ne s’applique pas « tant que l’homosexualité est exercée comme un droit et de manière non abusive », dans le respect d’autrui (et entre adultes consentants), le magistrat a refusé de criminaliser « une orientation sexuelle du fait de sa simple pratique. » Il a par ailleurs invoqué « le droit à la vie privée ».

Certains sont universels, a réagi sur L’Orient-Le Jour l’avocat et ancien parlementaire libanais Salah Honein, pour qui « criminaliser, punir ou étouffer un sentiment » relève d’une dictature. Et « à l’heure où le monde est en train d’évoluer, que certains pays ont reconnu et instauré le « mariage homosexuel », la moindre des choses est de dépénaliser au Liban, ce qui constitue véritablement une liberté personnelle », souligne-t-il, en rappelant « la nécessité de sortir la société de l’hypocrisie dans laquelle elle est plongée sous le couvert du conservatisme ».

Rien dans le texte de l’article 534 ne fait en effet mention de l’homosexualité en tant que telle, « même si, il a traditionnellement été interprété pour criminaliser les faits et gestes de la communauté homosexuelle au Liban. » Ce texte offre en outre sur le plan juridique « une certaine marge propice à l’interprétation. Comment traduire l’expression « relations contre nature » », s’interroge Me Honein. « Elle ne désigne pas forcément l’homosexualité » dont le mot ne figure d’ailleurs nulle part dans le code pénal. De plus, « ce qui était contre nature lorsque le code pénal a été rédigé ne l’est plus aujourd’hui ».

Ce manque de précision aura sans aucun doute été souhaité par le législateur, qui ouvre ainsi une brèche et permet au juge d’exercer « sa libre appréciation », ajoute-t-il.

Pour étayer sa décision, le magistrat s’est notamment fondé sur les travaux de Jack Donnelly, « Universal Human Rights in Theory and Practice », qui estime que « les droits de l’homme reposent sur l’idée que tous les êtres humains bénéficient de certains droits simplement parce qu’ils sont humains : Ils n’ont pas besoin d’être gagnés, et ne peuvent être perdus à cause des opinions ou croyances contraires de la plupart des membres de la société ».

Et puis, le Liban a adopté en 1990 les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé qui considère dans ce cadre que l’homosexualité ne saurait constituer, « dans aucun de ses aspects individuels, un trouble ou une maladie, et ne requiert pas par conséquent de traitement ».

La société libanaise de psychiatrie l’a confirmé dans un communiqué publié en juillet 2013, dénonçant dans la foulée les « thérapies réparatrices », censées soi-disant modifier l’orientation sexuelle des gays : « l’homosexualité n’implique aucune altération du jugement, de la stabilité ou des capacités sociales générales ou professionnelles ».

« Il est grand temps de commencer à prendre des décisions modernes, humaines », note Salah Honein, saluant ainsi le courage du juge Maalouf « contre la pensée barbare. » Une impulsion de plus « dans le sens de la modernisation, de l’humanisation de la société. »

« La jurisprudence est en marche et tout retour en arrière semble aujourd’hui difficile », poursuit l’ancien député. « Quelques fois, les juges ont besoin d’un arrêt qui casse la jurisprudence classique pour les aider à se libérer du poids de l’hypocrisie sociale. C’est ce que ce juge a fait ».

Sélim, étudiant gay en génie chimique, se réjouit aussi « d’un progrès sur le plan juridique », qui lui redonne « l’espoir de voir un jour les droits de la communauté LGBT complètement acquis au Liban. »

Mais le jeune homme reste inquiet, « tant que le vrai changement, qui s’opère sur le plan social, ne s’est pas encore manifesté », se plaint-il. « La société est-elle prête à accepter les homosexuels ? L’éventuelle abrogation de la loi ne me permettra toujours pas de révéler ma vraie identité à ma famille, ne réduira pas la marginalisation souvent imposée aux homosexuels, et ne mettra pas fin au harcèlement auquel nous sommes confrontés tous les jours, dans la rue, dans le milieu professionnel et même au sein de nos propres familles. La lutte doit être menée à tous les niveaux, et essentiellement par les médias, qui contribuent à consacrer une image stéréotypée des homosexuels à travers des caractères et des personnages qui ne ressemblent pas du tout à ce que nous sommes en réalité », ajoute Sélim.

Pour Rima, étudiante « en master de littérature anglaise » aux États-Unis et qui devrait rentrer à Beyrouth tout de suite après l’obtention de son diplôme, « de pareilles décisions donnent non seulement de l’espoir, mais un certain sentiment de sécurité. Dans mon pays, je dois constamment cacher et camoufler mon identité sexuelle. Aux États-Unis, je ne crie pas cela sur les toits, mais au moins, je me balade tranquillement dans la rue sachant que quoi qu’il m’arrive, il y aura toujours une loi pour me protéger, ce qui n’est pas le cas au Liban », raconte-t-elle . « Toute cette affaire éveille en moi les questions sur l’identité, les racines et le bien-être… Et pourtant, j’ai été heureuse d’apprendre que cette décision a été prise au Liban parce que tout se fait progressivement dans ce genre de lutte. »

Mais si « l’idéal serait d’abroger la loi elle-même, pour le moment, nous pouvons nous féliciter de sa non-application dans les tribunaux », insiste encore Georges Azzi, fondateur de l’organisation « Helem » (l’une des rares dans le monde arabe à défendre les droits des LGBT) et directeur de la « Fondation AFEE » pour la liberté et l’égalité (Arab Foundation for freedoms and equality).

Quant à l’aspect social de l’affaire, qui n’est pas moins important que son aspect légal, le Défenseur écarte tout pessimisme. Sa fondation a réalisé un sondage en collaboration avec l’institut Ipsos, dont les résultats sont encourageants : « Environ 70 % des personnes interviewées sont contre l’homosexualité et la qualifient de contre nature. Mais 68 % parmi celles-ci sont contre la loi 534 et 90 % sont contre tout acte de violence physique contre les personnes homosexuelles. Cela prouve que la société est prête pour l’abrogation de l’article 534, mais que la vraie bataille à mener reste ailleurs », déplore-t-il, dans une allusion aux arrestations brutales et menaces de la police, dont les agents recourent même au viol lorsqu’il s’agit « de traiter » avec des personnes homosexuelles ou transgenres.

Alors, « réclamer les droits de la communauté LGBT au Liban ne veut pas dire que nous revendiquons le mariage pour tous ou l’adoption d’un enfant par un couple homosexuel. Loin de là, nous sommes toujours au stade de la revendication des droits de l’homme les plus élémentaires, ceux de la liberté et de la dignité », conclut Georges Azzi.

Valentine Monceau
stophomophobie.com