Réglementer les prêches de certains religieux trop zélés qui se croient tout permis au nom de l’islam et déroutent les citoyens ? La question est le devant de la scène à Bamako. Politiques, Magistrats, leaders se prononcent sur le sujet après les tollés soulevés par les propos de Mahmoud Dicko, Président du Haut Conseil Islamique du Mali (HCIM) sur l’attaque terroriste du 20 novembre dernier, ayant fait 20 morts dont 14 étrangers à l’hôtel Radisson Blu, dans l’ouest de la capitale malienne.
Il avait déclaré sur les ondes de la Voix de l’Amérique, le jour même des funérailles des victimes, que « la colère de Dieu » était liée à la présence d’homosexuels et de bars dans son pays : « Les terroristes nous ont été envoyés par Dieu pour nous punir de la promotion de l’homosexualité, importée d’Occident et qui prospère dans notre société. »
« Des propos qui ont eu un effet de contagion immédiat », explique David Dembélé, Contributeur Le Monde Afrique : « en une semaine, l’homophobie a gagné les prêches dans les mosquées de la capitale, et cela alors que le cadre juridique malien ne souffre d’aucune ambiguïté et consacre les libertés individuelles. »
Mahmoud Dicko, qui préside depuis 2008 le Haut Conseil islamique malien, est coutumier de déclarations enflammées. Lors d’un meeting organisé par le HCIM à la grande mosquée de Bamako, le 12 décembre, l’imam est allé plus loin dans la diatribe, dénonçant pêle-mêle une forme d’occupation de son pays par les casques bleus de la Minusma et de la force française « Barkhane », ainsi qu’un « djihadisme » créé de toute pièce « par les Occidentaux » pour « recoloniser le Mali ».
Dans les milieux proches de Mahmoud Dicko, on estime que cet imam, qui se réclame du wahabisme, est dans son rôle. « L’homosexualité résulte d’une délinquance morale de l’Occident, lequel veut imposer un autre modèle de société à l’humanité », lance à visage découvert Moussa Mallé, maître coranique à Torokorobougou, un quartier du centre de Bamako. Dans sa classe de secondaire, l’instituteur enseigne à ses quinze élèves les valeurs de l’islam en y mêlant d’acerbes critiques contre l’homosexualité qui, affirme-t-il, éloigne de Dieu.
Ces mots, qui sonnent comme une déclaration de guerre aux libertés fondamentales consacrées par la Constitution malienne du 25 février 1992, ont choqué l’opinion, qui attendait plutôt un appel à la cohésion nationale, à la compassion et à la solidarité. Les militants des droits de l’homme et autres partisans des libertés individuelles n’ont pas tardé à se manifester via des lettres ouvertes et des déclarations reprise à la volée par les médias.
L’acteur culturel Alioune Ifra N’Diaye est de ceux qui ont osé dénoncer les déclarations homophobes du chef musulman, lequel, juge-t-il, devrait tenir un discours d’unité. Et de lui adresser cette réponse : « J’aimerais mieux vous entendre sur le sort des milliers d’enfants mendiants exploités par les marabouts qui sont transformés en kamikazes pour ceux dont vous justifiez l’acte. »
A son tour, le procureur de la République près la cour d’appel de Bamako, Daniel Tessougué, a qualifié les déclarations de l’iman Dicko d’apologie du terrorisme. « C’est une sorte d’apologie du terrorisme. C’est vraiment regrettable, surtout venant d’un leader religieux. Le terrorisme ne s’explique pas, du tout. » L’homme de droit avait également demandé au rasage des barbes et contrôle de provenance des fonds pour la construction des mosquées au Mali. Il s’est aussitôt fait tancer par une pléiade de réactions partisanes : « Dénoncer la promotion de l’homosexualité dans notre pays ne signifie nullement faire l’apologie du terrorisme », réagit Maroudiè Niaré, un inconditionnel de l’imam. Derrière son étal de vêtements de prêt-à-porter, à la périphérie du grand marché de Bamako, le jeune commerçant dit ne ménager aucun effort pour protéger l’image de Mahmoud Dicko.
Message similaire pour le coordinateur du Groupement des Leaders Spirituels du Mali, Seïd Chérif Ousmane Madani Haïdara, qui exhorte les autorités à contrôler les prêches, censés « apaiser les cœurs et les esprits » : « Tout le monde s’est rendu compte de la nécessité de bien communiquer… Les propos va en guerre sont à bannir parce qu’ils sont à la base des mécontentements populaires aux conséquences fâcheuses. La communauté musulmane du Mali doit comprendre ce message et se donner la main pour construire le grand Mali en quête de repères. »
Quant aux responsables politiques, leur silence témoigne cependant de leur crainte de s’exposer au courroux des leaders religieux qui avaient appelé à voter, lors de la présidentielle de 2013, en faveur de l’actuel président Ibrahim Boubacar Keïta. Les imams maliens ont ainsi réussi à renvoyer dans les placards de nombreuses réformes, dont le projet de loi sur l’abolition de la peine de mort et celui du Code de la famille.
Avec source : David Dembélé
Bamako