Dans un pays où être homosexuel présente bien des dangers et où les femmes aux postes de pouvoir ne sont pas la majorité, les lesbiennes, discriminées parmi les discriminées, sont décidées à prendre leur destin en main. Elles ont profité du combat pour l’union civile pour dire « ça suffit ».
« #Patriarcabro ». Un mot que l’on peut traduire par le “patriarcat des gamins”, mais aussi le « patriarcat des gays« . C’est avec ce terme, devenu un hashtag ou mot dièse sur Twitter, que les lesbiennes décrivent leur situation dans le mouvement LGBT au Pérou, discriminées comme partout ailleurs.
Dans ce pays très machiste, les gays se comportent comme les hétérosexuels. « Des gays qui reproduisent les rôles patriarcaux dans leurs liens affectifs, politiques et organisationnels » résume ainsi Mali Machuca, une activiste féministe dans un tweet du 7 octobre.
« Etre gay n’empêche pas d’être machiste ou sexiste, explique Liurka Otsuka, lesbienne et avocate de l’organisation Promsex, le Centre de promotion et de défense des droits sexuels. Jusque-là, les lesbiennes géraient toute la partie organisationnelle, technique et les gays allaient dans les médias, étaient les porte-paroles de la communauté en se mettant en avant partout »
Etre gay n’empêche pas d’être machiste ou sexiste
Indépendantes !
Jusque-là. Car il y aura un avant et un après l’union civile. Si sur le plan législatif, la bataille pour ce droit semble compromise pour les populations LGBT péruviennes, elle a permis l’émergence d’un mouvement inattendu. Le texte a été présenté devant le Congrès (le parlement péruvien) à la mi mars 2015, mais le débat a été reporté.
« Unión Civil ya ! » (Union civile maintenant !) , le cœur du combat pour l’Union civile à la péruvienne a été pensé, porté et animé par des lesbiennes. Elles s’appellent Liliana, Gabriela ou encore Ana. Issues d’ONG ou militantes indépendantes, elles ont pris les rênes du mouvement. Mais si cela a été possible, c’est aussi parce que la mobilisation est née en dehors des circuits habituels. Le Mouvement homosexuel de Lima (MHOL), considéré comme la principale organisation LGBT du Pérou n’y a ainsi participé qu’à la marge. Giovanni Infante, son jeune président dresse un amer constat de la situation. « Normalement, il y a un gay et une lesbienne à la tête du MHOL. Aujourd’hui nous sommes deux gays, les lesbiennes qui avaient des responsabilités sont parties les unes après les autres ».
Manque d’organisation, manque de promotion en interne, manque de reconnaissance du travail des femmes, les raisons qui expliquent l’évolution de cette situation sont aussi nombreuses que les interlocuteurs. Mais une chose reste sûre, la prédominance du MHOL n’est plus assurée. « Le mouvement Unión Civil ya veut se transformer en quelque chose de plus grand une fois grandes échéances actuelles terminées. Nous souhaitons aussi organiser les premières rencontres lesbiennes nationales » précise Liurka Otsuka.
Une évolution possible en partie parce qu’elle se fait à plusieurs niveaux de la société en même temps. Si le pays n’a pas encore eu le droit au coming-out d’une politique lesbienne comme ce fut le cas avec le parlementaire Carlos Bruce pour les hommes, leur visibilité s’est accrue.
Le temps de l’affirmation de soi
L’université de Lima, considérée comme « coincée » compte ainsi une association lesbienne. Inimaginable il y a quelques années insistent de nombreux acteurs LGBT. Une prise de conscience collective aussi.
A l’image de Ana Paula Canales par exemple. Etudiante sans histoire, la jeune lesbienne de 24 ans aurait pu rester dans son coin et attendre de voir évoluer les choses. Elle fait exactement le contraire.
Dans ce pays où un couple homosexuel s’embrassant dans un parc peut vous valoir une remarque acerbe des forces de l’ordre, elle s’affiche. « Je vais dans la rue et je dis aux gens ‘Bonjour je suis lesbienne. J’ai été à l’université, je n’ai pas trois yeux, je suis une personne normale’.
Les gens comprennent quand on prend le temps de leur expliquer ».
Ou encore Pilar Fachin, une jeune femme sauvagement agressée par le frère de sa compagne. Sur son visage, on ne peut que constater les traces des coups de machette qu’on lui a infligée. Si elle a du fuir, son combat ne s’est pas arrêté là. Installée à Lima, elle aide pour les manifestations et a surtout assuré un espace médiatique croissant au mouvement.
Cet espace ce sont aussi des femmes qui l’ont pris. Figure de proue du mouvement, Ana Lizbeth Araujo Rodriguez était encore « dans le placard », il y un an.
Elle est devenue en quelques mois, organisatrice, porte-parole et animatrice des plus importantes manifestations.
« Les femmes occupent enfin un vrai rôle fondamental, sont les moteurs du changement. C’est la prise du pouvoir des femmes dans la lutte pour leurs droits et le chemin est encore long.»
Sur cette route jonchée d’obstacles, prochaine étape lors d’une grande marche à Lima le 11 avril 2015 !