Suite à la plainte déposée par 64 personnes, accompagnées par les associations STOP homophobie et Mousse, contre la SNCF – qui impose de renseigner « M. » ou « Mme » lors de l’achat d’un billet de train – une audience capitale pour la reconnaissance légale d’un sexe neutre aura lieu le mercredi 31 mai 2023 au Conseil d’Etat.
En janvier 2021, STOP homophobie, Mousse et 64 personnes ont déposé plainte devant la Commission nationale informatique et liberté (Cnil) contre la SNCF, qui impose la binarité de genre en obligeant les voyageurs à s’identifier en tant que « M. » ou « Mme » lors de l’achat d’un billet de train. Cette mention exclut les personnes qui s’identifient comme non binaires, notamment parmi les personnes trans ou intersexes, ou qui ne souhaitent pas restreindre leur identité.
Décision défavorable de la Cnil
Mais la Commission n’a pas fait droit aux demandes des associations, estimant que « les opérateurs économiques ou administrations peuvent, dans le cadre de leurs relations avec des personnes physiques, indiquer la civilité, au lieu de se limiter aux seuls prénom et nom de famille ».
« Si le destinataire de la communication peut effectivement être désigné sans l’indication de la civilité, celle-ci correspond aux usages en matière de communications civiles, commerciales et administratives, de sorte que le traitement de cette donnée peut être jugé nécessaire par le responsable de traitement, dont la finalité est non seulement de désigner précisément le destinataire mais également de correspondre avec lui selon des modalités conformes aux usages courants. Rien n’interdit évidemment, à un responsable de traitement, de ne pas utiliser de civilité », écrit la Cnil.
Recours devant le Conseil d’Etat
Les associations ont donc formé un recours devant le Conseil d’État, invoquant surtout les principes de minimisation et d’exactitude. La SNCF n’a pas besoin en effet de connaître le genre d’une personne pour lui fournir une prestation de transport. L’entreprise ne peut exiger cette donnée personnelle. Il y a une atteinte au principe de minimisation. Et, pareillement, certaines personnes vivant dans l’Union européenne sont de sexe neutre. Or, en l’état actuel de ses formulaires, la SNCF ne permet pas de connecter cette information correctement. Il y a donc une atteinte au principe d’exactitude.
Cette question étant relative au règlement général sur la protection des données (RGPD) dans l’UE, Mousse et STOP homophobie ont également demandé un renvoi devant la Cour de justice de l’union. Proposition soutenue par la Cnil, qui maintient néanmoins sa position :
« Si le Conseil d’Etat puis la CJUE font droit aux demandes des associations, la CNIL tient à souligner que cette décision aurait des impacts pratiques et économiques forts :
- beaucoup de juridictions (comme le Conseil d’Etat) ou d’autorités administratives (au nombre desquelles la CNIL)), ainsi que beaucoup d’entreprises (à titre d’exemple, après vérification informelle : FNAC, Darty, Leclerc, Rakuten, … ) demandent à remplir une civilité, avec un choix M./Mme pour une inscription en ligne ;
- les civilités sont utilisées dans un certain nombre de documents officiels ou professionnels (cartes des CAF, cartes professionnels, cartes bancaires, … ) éditées automatiquement à partir de bases de données incluant la civilité : sa suppression n’est pas impossible mais nécessite un reparamétrage informatique qui a un coût ;
- les opérations pour modifier les téléservices ne sont pas triviales : le fait qu’une civilité peut ou non être choisie modifie la base de données sous-jacente, qui doit être structurée, selon les cas, avec deux (M/Mme) ou trois (M/Mme/néant) variables; ce changement impacte les éventuels traitements informatiques ultérieurs de ces données (générateurs de courrier, statistiques, … ). La modification est évidemment faisable et n’est pas d’une grande complexité mais devra être reportée sur l’ensemble des téléservices français, publics et privés, lorsqu’ils n’ont pas été structurés ainsi ;
- l’impact, le coût et les délais de mise en oeuvre de cette modification de ce qui était compris comme l’état du droit jusqu’ici ne doivent donc pas être négligés. Quoiqu’il ne s’agisse pas, à proprement parler, d’un revirement de jurisprudence, la CNIL invite le Conseil d’Etat et la CJUE à s’interroger sur la possibilité de moduler les effets dans le temps de cette éventuelle nouvelle interprétation du droit. »
Position du rapporteur public du Conseil d’Etat
Le rapporteur public s’apprête à renvoyer l’affaire au niveau européen, via la procédure dire de « renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l’Union européenne ».
Si la Cour européenne prend une décision favorable pour les associations, elle aura un impact majeur qui pourrait aboutir, d’une part, à la modification de tous les formulaires, web et papier, afin de respecter les identités de genre non binaires, mais aussi à l’obligation pour les Etats membres de l’Union européenne de permettre aux personnes d’inscrire une telle identité de genre non binaire sur les registre de l’état civil, consacrant dans les faits la reconnaissance du sexe neutre dans tous les Etats de l’UE.