Il ne reste donc qu’une solution: partir.
Juillet 2013, la nouvelle produit le même effet qu’une bombe: Éric Lembembe, journaliste et militant des droits des homosexuels est retrouvé mort à son domicile de Yaoundé, la capitale du Cameroun, probablement après avoir été torturé. En effet, les amis du jeune activiste, fondateur d’une association de défense des lesbiennes, gay, bi et trans, ont décrit une scène macabre.
Éric Lembembe avait «le cou et les pieds brisés, ses mains et ses pieds avaient été brûlés avec un fer à repasser et son domicile saccagé», ont confié ses amis de la Camfaids, l’association qu’il dirigeait au Cameroun. Trois mois après, malgré l’insistance des ONG de défense des droits de l’homme, l’enquête piétine, les autorités camerounaises font l’autruche et personne ne sait toujours pas qui a tué Éric Lembembe ni pourquoi il a été tué.
Mais, de toute, évidence, il s’agit d’un crime homophobe. Le jeune homme était devenu, en très peu de temps, l’un des militants les plus en vue de la cause homosexuelle au Cameroun. Il avait reçu des menaces, et souvent de la part des autorités, confient encore aujourd’hui ses amis de la Camfaids.
Sentiment de révolte
La mort d’Éric Lembembe continue de provoquer un sentiment de révolte parce qu’il s’agit d’un meurtre et, vraisemblablement, d’un crime homophobe. Elle continue de choquer parce qu’elle confirme que les menaces de mort adressées aux homosexuels camerounais et à tous ceux qui les défendent là-bas n’ont rien d’une plaisanterie. Jusqu’ici, l’on risquait d’être jeté à prison. Désormais, l’on risque sa vie. Depuis la mort du journaliste et activiste Éric Lembembe, les gays camerounais savent qu’ils ont, plus que jamais, le couteau sur la gorge.
Or, rien n’indique que les choses vont s’améliorer. Bien au contraire, la chasse aux homosexuels risque bien de s’intensifier, avec des condamnations à tour de bras jusqu’à cinq ans de prison, des menaces à répétition, des dénonciations calomnieuses, des règlements de comptes et des assassinats de tous ceux qui se réclament ouvertement LGBT, ceux qui en parlent publiquement ou de ceux qui rencontrent des personnes LGBT. En quelques mots, et en les pesant, une sorte de «nettoyage gay» est en train de se mettre en place dans ce pays, dans le plus grand mépris du respect de la dignité humaine, et malgré la lutte acharnée que mènent les ONG, à l’intérieur comme à l’extérieur.
Dans ces conditions, il n’ y a pas d’autre solution: il faut partir, si on peut, dès qu’on peut. Il faut partir parce que rien ne sert de se battre, sur place, contre un système verrouillé et haineux, qui semble avoir fait du respect des droits humains élémentaires un non-sujet. Rien ne sert se battre pour la justice et l’égalité dans ce pays, dont les autorités elles mêmes n’ont que faire.
Il ne sert à rien de se battre dans un pays, où même la presse, dans sa grande majorité est clairement homophobe et continue de parler de l’homosexualité comme d’une «déviance» et de prôner l’absurde «normalité hétérosexuelle», en taisant allégrement les violences infligées aux gays. Il ne sert à rien de se battre dans ce pays où l’on ne peut même pas compter sur l’élite intellectuelle qui, lorsqu’il s’agit de l’homosexualité, détourne le regard alors que la société est en train de basculer dans la barbarie.
Il ne sert à rien de se battre dans un pays comme le Cameroun, où même les responsables religieux pourtant censés prôner l’amour et la fraternité, attisent la haine et la division. Il est illusoire de penser qu’une lutte efficace pour la justice et l’égalité peut se mener dans un pays où de nombreux gays, ne peuvent pas toujours compter sur le soutien et la protection de leur propre famille.
Principe de survie
Oui, il faut partir, si on peut, dès qu’on peut. Mais il faut partir vite, loin, très loin même. Cela peut ressembler à une fuite, mais il s’agit avant tout d’une question de survie. Il n’ y a aucun intérêt à donner le bâton pour se faire battre, à moins d’avoir quelque propension au sadomasochisme. Il y a encore moins de raison de se jeter dans la gueule du loup. Vouloir rester au Cameroun, aujourd’hui, quand on est gay relève du suicide. Tout peut vous arriver à tout moment, y compris le pire, sans que vous ayez vu cela arriver.
Donc, oui, il faut partir, si on peut, dès qu’on peut. Partir loin, dans ces contrées qui, si elles ne sont pas forcément des eldorados (l’on a vu les horreurs de la résurgence des actes homophobes ces derniers temps en France et en Europe, par exemple), offrent au moins la garantie aux homosexuels de pouvoir se battre à armes égales contre tous ceux qui piétinent leur liberté et leurs droits.
Mener la lutte de l’extérieur apparaît, malheureusement, comme le seul moyen efficace de faire taire les homophobes africains, de porter un coup d’arrêt à cette homophobie d’Etat qui est en train de s’installer sur tout le continent et qui était déjà évoqué dans un rapport d’Amnesty International paru en juin 2013. Partir et mener la lutte depuis des terres moins hostiles permet de donner un plus grand écho aux horreurs infligées aux LGBT en Afrique.
Poudre d’escampette
La campagne mondiale lancée le 24 septembre par All Out, appelant le président camerounais, Paul Biya, à stopper les agressions contre les gays, dépénaliser l’homosexualité et à libérer les nombreux homosexuels emprisonnés a été soutenue en quelques jours, par plus de 70.000 personnes. L’objectif étant d’atteindre cent mille signatures.
Il faut partir, si on peut, dès qu’on peut. C’est une nécessité vitale. Dans ce sens, le témoignage de Dominique est éloquent. Ce jeune militant camerounais s’est exilé en France il y a près d’un an. Il a confié à All Out que ce qu’il se passe aujourd’hui avec les homosexuels dans son pays, est un régime d’exception.
«Aujourd’hui au Cameroun l’homosexuel est traité comme l’était un noir en Afrique du Sud du temps de l’apartheid. Va-t-il être pourchassé et anéanti comme un juif pendant la Shoah?»
Un tel témoignage donne des sueurs froides. On a presqu’envie de dire que si vous êtes un gay camerounais et que vous vivez là-bas, ne partez pas: fuyez!
Raoul Mbog (slateafrique.com)