En 2007, une étude québécoise révélait que 90% des gais et lesbiennes s’affichaient ouvertement avec leur famille et leurs amis, alors que seuls 70% d’entre eux en parlaient avec leurs collègues de travail. Six ans plus tard, la situation n’a pratiquement pas changé.
«Une enquête réalisée en 2013 par un étudiant au postdoctorat a confirmé que la proportion de travailleurs qui optent pour la discrétion ou la dissimulation de leur homosexualité au travail n’a presque pas évolué depuis l’étude que j’ai publiée en 2007», déclare Line Chamberland, professeure au département de sexologie de l’UQAM et titulaire d’une chaire de recherche sur l’homophobie.
Même si une majorité d’homosexuels optent pour la transparence, plusieurs craignent encore les répercussions de leur différence au travail.
«Plusieurs professionnels perçoivent leur milieu comme étant hostile à l’homosexualité, souligne Mme Chamberland. Certains font le choix de ne pas s’afficher, de peur que ça nuise à la perception des collègues et de leurs supérieurs immédiats. Ils craignent d’être moins bien évalués, d’être perçus comme moins combatifs ou de ne pas être considérés dans certains postes de représentation avec les clients.
«D’autres restent dans le placard pour éviter certains types de remarques dans les discussions entre collègues, ajoute-t-elle. Par exemple, plusieurs gais ouvertement affichés se font reprocher d’étaler leur vie privée, même s’ils ne parlent pas plus de leur vie relationnelle que les hétérosexuels.»
L’homophobie peut également se traduire par du harcèlement moral, des insultes ou des «blagues» à la machine à café. «Certaines idées, souvent stéréotypées, sont exprimées sous le couvert de l’humour. C’est difficile de répliquer ou de dire qu’on est affectés par ces propos sans se faire taxer de ne pas avoir le sens de l’humour.»
Généralement, ces expressions d’homophobie ciblent une catégorie d’homosexuels, plutôt qu’une personne en particulier, précise la professeure. «Un peu comme s’il y avait les bons gais et les autres. Ou que le collègue homosexuel était accepté, mais que les autres se faisaient dénigrer avec humour. C’est comme faire des blagues sur les Italiens en les associant à la mafia ou à des choses négatives. On maintient des stéréotypes.»
Empêcher l’homophobie
Plusieurs entreprises s’engagent à créer un climat ouvert à la diversité et prennent des initiatives afin de combattre l’homophobie en milieu de travail: adoption d’un code d’éthique et de sanctions disciplinaires, activités de sensibilisation à l’homophobie, diffusion d’informations concernant les dispositions législatives relatives aux droits des homosexuels, adoption d’un vocabulaire inclusif de la diversité sexuelle, etc.
Si ces mesures ne suffisent pas à régler le problème, les travailleurs victimes d’homophobie doivent réagir. «Quand on prévient son employeur ou qu’on porte plainte, il faut prouver que le comportement est mal intentionné et répétitif, à un certain degré, explique Line Chamberland. Si c’est le cas, l’employé doit prendre des notes et avoir des témoins pour élaborer la preuve. Malheureusement, il existe encore des endroits où tous les collègues sont homophobes. C’est difficile de demander l’aide d’un syndicat qui est le reflet du milieu de travail…»
Line Chamberland voit tout de même de plus en plus de travailleurs qui refusent de garder leur homosexualité sous silence.
«Plusieurs jeunes professionnels en parlent à leurs futurs employeurs en comité de sélection. Ils se disent que si les patrons ne sont pas ouverts, ils ne veulent pas travailler là. Un changement est en train de se faire selon les générations. Je crois qu’il vaut toujours mieux parler de soi et de sa vie plutôt que de se réfugier dans un silence qui ne protège pas vraiment.»
La Presse
http://affaires.lapresse.ca/cv/201312/11/01-4719788-les-homosexuels-discrets-au-travail.php