Au premier rang, le cortège des officiels : déportés, anciens combattants, porteurs de drapeaux, élus, représentants d’État. À l’arrière, la cohorte des bannis, en rangs serrés, un triangle rose renversé sur la poitrine. L’image est saisissante.
Hier midi, dans la cour de l’ENM, tandis que Roger Joly, président de la Fédération nationale des déportés, lit le message en hommage aux « juifs, tziganes et résistants », il n’aura pas un mot pour la mémoire des homosexuels. « En Europe, même si les historiens ne sont pas d’accord sur les chiffres, on estime leur nombre à 10 000 », rappelle Julien Pellet, délégué régional du mémorial de la déportation homosexuelle, déçu de voir sa communauté mise à l’index. « Surtout dans le contexte actuel où l’on voit refleurir les discours et les agressions homophobes. »
Malgré le changement de majorité gouvernementale, il déplore « l’inertie ». Dans un courrier, Kader Arif, ministre délégué chargé des Anciens combattants, enjoignait les préfets à faire participer à l’hommage officiel « toutes les associations de victimes de la déportation sans aucune exclusive ». En vain. « Dans d’autres villes, cela se passe autrement. Il y a des prises de parole homosexuelle. À La Rochelle, une banderole est affichée », glisse Julien Pellet. « La cérémonie de Roger Joly est magnifique, mais ça nous laisse sur notre faim », regrette Matthieu Rouveyre, conseiller général et ancien président de la Lesbian and Gay Pride.
Michèle Delaunay absente
Favorable aux revendications des homosexuels, l’ancienne députée socialiste Michèle Delaunay, ministre déléguée aux Personnes âgées, figurait au rang des absents de marque. Pour certains, une façon de ne pas se déjuger, et un soutien en creux à ceux qu’elle défendait ouvertement hier (1). Le cortège officiel dispersé, une cérémonie officieuse a rassemblé une vingtaine d’homosexuels. Ces derniers ont reçu l’appui de Cécile Chapuis, présidente de la Licra. « Dans le cadre de notre travail, nous considérons qu’aucune victime ne doit être oubliée. Ce combat est le nôtre et celui de la République. Nous espérons que l’année prochaine, vous ferez partie de la cérémonie officielle. » C’est aussi le souhait de Julien Pellet qui saura, s’il le faut, hausser le ton. « On n’hésitera pas à rappeler à la gauche ses promesses. » Au risque de reconsidérer sa position sur la cérémonie actuelle ? « Si on ne parvient pas à la faire évoluer, on finira par ne plus la reconnaître. »
(1) Michèle Delaunay n’était pas joignable hier après-midi.
Par Thierry Châtellier