Wu était étendu sur un canapé quand il vit entrer le praticien portant un appareil à électrochocs. Le boitier lui rappelait un peu les ampèremètres de ses cours de physique du lycée, mais il portait les mots « thérapie par aversion ». Le thérapeute lui demanda de s’installer confortablement, de bien se détendre et de fermer les yeux en pensant à la bouche et au corps d’un partenaire homosexuel avec lequel il aurait des relations.
Mais l’imagination de Wu était complètement bloquée par cet appareil cubique, qui, telle une paire d’yeux monstrueux, le stressait. Cinq à six minutes plus tard, le thérapeute appliqua brièvement les électrodes sur son bras. Le froid glacial de la décharge électrique le fit bondir. A l’issue de cette expérience qui lui avait coûté 500 yuans [près de 60 euros], Wu obtint un reçu sur lequel il était indiqué « conversion de l’homosexualité« .
Des « thérapies réparatrices des tendances homosexuelles »
En mars dernier, Wu a assigné en justice le Centre de consultation psychologique Xinyupiaoxiang de Chongqing, ainsi que le moteur de recherche Baidu, dont les résultats de recherche l’avaient mené à ce centre. Celui-ci ne constitue que la partie émergée de l’iceberg. Ainsi, en 2013, le centre LGBT de Pékin a porté plainte – sans aboutir – contre dix organismes proposant des « thérapies réparatrices des tendances homosexuelles », répartis dans dix provinces du pays.
En automne 2012, une jeune fille avait demandé de l’aide via un microblog au centre LGBT de Pékin, car son amie avait été envoyée par ses parents dans un établissement psychiatrique pour y être soignée. L’association avait bien tenté d’intervenir, mais les enfants ne pouvant s’opposer à la volonté de leurs parents, elle avait échoué à prendre contact. Suite à cela, le centre a commencé à s’intéresser aux traitements thérapeutiques infligés aux homosexuels en Chine. Il a notamment recueilli le témoignage de Li, l’ami de Wu, qui a suivi une thérapie de ce type durant trois mois avant de devenir un farouche opposant à ce genre de pratiques.
Renoncer à l’homosexualité
Tout a commencé pour Li en 2011 quand ses amours clandestines avec un autre homme furent connues des parents de celui-ci. Son ami fut forcé de regagner sa région natale pour s’y marier. Désespéré de n’avoir pu le retenir, Li en perdit le sommeil. Alors qu’il était au fond du trou, il prit la décision radicale de renoncer à l’homosexualité. Un centre de soins psychologiques de Shenzhen présentait l’homosexualité comme une maladie mentale et affirmait avoir déjà plusieurs cas de guérison à son actif.
Trois séries de séances thérapeutiques suffisaient ; chacune d’elle coûtait 3 000 yuans [355 euros], mais une réduction de 20 % était accordée si l’on payait en une seule fois. Cela faisait moins d’un an que Li était sorti diplômé de l’université ; toutes ses économies passèrent dans ces soins et il dut même emprunter de l’argent. On lui colla des électrodes d’une froideur très désagréable sur le bas du corps. Avant même d’avoir eu le temps d’en être gêné, le thérapeute lui avait passé des vidéos de scènes de sexe entre homosexuels, en l’encourageant à se détendre et à laisser libre cours à ses fantasmes. Puis les décharges électriques avaient commencé.
Une thérapie à base d’électrochocs
« Une douleur horrible ! » se souvient encore Li en serrant les dents. L’appareil lui envoyait automatiquement un électrochoc chaque fois qu’il ressentait une excitation sexuelle ; les décharges, telles des aiguilles, lui traversaient le corps, le laissant tout tremblant. A la forte douleur succédaient des vertiges. Au bout d’une demi-douzaine de fois de ce traitement, il était étourdi, mais le thérapeute l’avait encouragé à continuer, arguant que sinon il ne viendrait jamais à bout de sa maladie et qu’il devait pensait à ce qui se passerait si ses parents l’apprenaient. Il avait donc continué au rythme d’une séance d’électrochocs par semaine.
Par-delà la souffrance, c’est la peur qui l’emportait. Deux mois plus tard, il avait brusquement été submergé par une peur encore plus grande : et s’il ne guérissait jamais ? Il finit par demander au thérapeute pourquoi il ne constatait aucun résultat ; celui-ci lui répondit que l’on constatait parfois qu’une année de traitement était nécessaire, qu’il lui fallait absolument poursuivre les soins ; il s’agissait de respecter l’engagement pris vis-à-vis de lui et de ses parents, mais Li n’avait plus un sou vaillant.
Une thérapie réparatrice qui comprend cinq sessions de trente séances
Quelques années plus tard, Li raconta son expérience à Wu, ce qui poussa ce dernier à « infiltrer » ce milieu avant de traîner le centre devant les tribunaux, en soulignant dans sa plainte que l’homosexualité n’était pas une maladie et par conséquent ne nécessitait pas de traitements, et encore moins de thérapie réparatrice. Wu se fondait pour cela sur la nouvelle « Classification des désordres mentaux et leurs critères de diagnostic en Chine » de 2001, qui a supprimé l’homosexualité de la liste.
Une décision à portée historique, qui a permis aux plus de 30 millions d’homosexuels chinois de ne plus être considérés comme des malades. Dans le Centre de consultation psychologique Xinyupiaoxiang de Chongqing, une thérapie réparatrice comprend cinq sessions de trente séances au total. Chaque session coûte 6 500 yuans [768 euros], mais les clients qui paient en une seule fois les cinq sessions bénéficient d’un tarif préférentiel à 30 000 yuans [3 550 euros]. C’est la prestation la plus onéreuse proposée par le centre. Jiang Kaicheng, la cinquantaine, est le fondateur du centre et le responsable des soins, il semble d’ailleurs qu’il soit le seul thérapeute. Sur le site du centre, on apprend qu’il a réussi à soigner vingt cas à lui tout seul en 2011 et 2012.
Un demi-succès qui a pleinement satisfait les parents
Il affiche un taux de réussite de plus de 50 % en matière de thérapie réparatrice, une thérapie par aversion et par hypnose. Le premier homosexuel dont M. Jiang a réussi à modifier les orientations sexuelles était un jeune homme de 27 ou 28 ans, incapable de se marier, et qui espérait pouvoir répondre aux pressions en ce sens de sa famille. « A la suite de la thérapie, il a pu avoir des relations sexuelles avec des femmes, même si sur le plan sentimental, il persiste à préférer les hommes. »
Il s’agit donc d’un demi-succès, mais qui a pleinement satisfait les parents. En fait, l’important n’était pas de rompre toute relation avec des hommes mais de parvenir à accepter les relations hétérosexuelles pour pouvoir se marier et avoir des enfants. C’est sur ce critère que M. Jiang a très vite fondé le succès de sa thérapie, un choix sans aucun doute très judicieux dans une culture qui attache beaucoup d’importance au culte des ancêtres [qui ne peut être perpétué sans descendance].
Le taux de mariage des homosexuels en Chine a toujours été non négligeable, que ce soit dans un souhait de faire des concessions ou pour cacher leur véritable identité sexuelle. Il s’agit là d’un phénomène propre à la Chine, où le nombre de femmes mariées à des homosexuels dépasse les 16 millions. Encore une frange de la société qui reste dans l’ombre… Le 16 mai dernier, le centre LGBT de Pékin a publié un rapport sur les thérapies réparatrices proposées aux homosexuels en Chine. On y apprend que plus de 10% de ces derniers envisageraient d’y avoir recours. Dans cette communauté, les troubles dépressifs sont supérieurs à la moyenne, ces personnes-là étant soumises à de fortes pressions provenant surtout de leur famille et de la société. (Wu et Li sont des noms d’emprunt.)
Nanfang Zhoumo
| Zhang Rui, Cen Xinhang, Hu Keyi, Wang Jizhou