Avec toujours pour thématiques l’adolescence, la figure parentale et la remise en question, Riad Sattouf nous livre ainsi une comédie sentimentale atypique aux allures de fable sociale et politique sur fond du conte de fées de Cendrillon. Jacky au Royaume des Filles devient une intéressante allégorie contemporaine sur l’autorité des sexes, l’oppression, la domination/soumission, le refoulement, le conformisme et la pensée unique, mais aussi sur le courage, la force et la liberté d’aimer. Notre beau gosse Vincent Lacoste – ici plein de délicatesse et d’obligeance – révèle son physique androgyne, vêtu de pied en cap par des ‘voileries’ – renvoyant à la burqa – aux couleurs rouge et orange safran rappelant les kesas bouddhistes. A ses côtés, un casting détonant : Michel Hazanavicius (THE ARTIST – notre critique) est tout en séduction dans son rôle d’oncle/bonne fée en mode prostitué. Valérie Bonneton est dérangeante en militaire lubrique. Quant à Noémie Lvovsky, elle est efficace en méchante belle-mère autoritaire mariée à un Didier Bourdon ici lâche, hypocrite et veule, avec pour l’un des deux fils mesquins, l’autre beau gosse Anthony Sonigo.
Riad Sattouf détourne avec intelligence toutes ces formes dictatoriales dans ce royaume voué au culte du chevalin/poney aux pouvoirs télépathiques. Mais s’il propose un concept inversé – comme un peu le thriller White Man où les Noirs détenaient le pouvoir et les Blancs étaient au plus bas de l’échelle sociale -, on peut lui reprocher justement de ne pas pousser plus avant son exploration. Le cinéaste se contente finalement de rester en terrain balisé mettant en scène des femmes réagissant comme des hommes, à l’instar de cette scène avec Valérie Bonneton se caressant l’anatomie devant Jacky, ligoté contre un arbre par deux femmes militaires. C’est sans doute ce qui limite vraiment le potentiel de Jacky au Royaume des Filles dans sa réflexion sur le matriarcat reprenant à l’identique le modèle patriarcal. De même, les quelques gags et dialogues loufoques – si bien écrits soient-ils – peinent souvent à atteindre leur cible.
Nonobstant ces quelques défauts et/ou imbroglios dans le scénario, Riad Sattouf évite soigneusement l’aspect moralisateur et sa verve comique trouve son terrain d’expression sur différentes tonalités ; de la première partie à l’atmosphère un peu glaçante saupoudrée d’humour noir, jusqu’au dernier acte bien plus optimiste et léger. Certaines séquences sont par ailleurs visuellement superbes à l’instar de celle où Charlotte Gainsbourg, en ce jour du grand bal des Gueux de la Bubunnerie, est entourée d’une myriade d’hommes en ‘voilerie’ blanche, fins prêts aux épousailles, secouant leur laisse reliée au cou pour devenir l’éventuel élu. Si l’on préférait la vivacité et la drôlerie des Beaux Gosses, Riad Sattouf conçoit ici une œuvre singulière qui résonne comme un appel à la tolérance. A la fois teinté d’une naïveté touchante tout en dénonçant les conventions, les vieux schémas, l’absurdité des idéologies extrémistes et la bêtise d’une nature humaine aux prises à l’asservissement et aux inégalités, Jacky au Royaume des Filles parvient à se démarquer dans le paysage cinématographique français en ce début de nouvelle année.
Jacky au royaume des filles, de Riad Sattouf, France, 1h30, avec Vincent Lacoste, Charlotte Gainsbourg, Didier Bourdon, Anémone, Valérie Bonneton, Michel Hazanavicius, Noémie Lvovsky, Laure Marsac, William Lebghil, Anthony Sonigo. Sortie le 29 janvier 2014.
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