La surprise LGBT de 2014 est ce film anglais, sorti en septembre, qui raconte la jonction entre le mouvement gay et la grève des mineurs de 1984. Pride a reçu plusieurs prix mais ce qui le rend unique, c’est qu’il célèbre le 30e anniversaire de la grève des mineurs tout en révélant une histoire peu connue où solidarité, humour, engagement politique et jeunesse sont montrées comme les socles d’un combat transversal moderne.
Très peu de personnes connaissent l’histoire de Lesbians & Gays Support the Miners et c’est pourquoi ce film a surpris tout le monde par la précision de son sujet. C’est ce qui s’est passé avec Dallas Buyer’s Club un peu plus tôt dans l’année. Comment peut-on faire un film à succès quand l’origine de l’histoire est si peu connue des spécialistes eux-mêmes? Pride est un classique de cette année car c’est un petit film parfait, dans la retranscription fidèle de ce qui s’est passé tout en étant un feel good movie sur un moment finalement triste, la fin d’une révolte syndicale.
Le scénario est simple, il raconte l’initiative de Mark Ashton, un jeune gay londonien métis qui commence, avec une poignée d’ami(e)s à récolter quelques sous pour aider une petite ville de mineurs en grève dans le Pays de Galles. Cet élan de solidarité est au début forcément mal compris par la scène gay londonienne. Les mineurs ne sont pas particulièrement gay friendly, au contraire, et il n’y a jamais eu d’entraide entre ces deux mouvements politiques. Mais Mark Ashton est un kid populaire, profondément ancré dans l’idéologie de gauche (il est communiste) et 1984 marque l’émergence d’une nouvelle génération de LGBT plus engagés, sur le modèle du groupe Bronski Beat qui s’est créé quelques mois auparavant. Les clubs de Londres et de Paris produisent une nouvelle communauté mixte qui développe un nouveau look et qui refuse le séparatisme gay des homosexuels des années 1970.
1984/ 2014: les usines ferment
Ce sont les années Thatcher dans la crise économique du début des années 1980, ce qui rejoint de nombreux aspects de la crise actuelle. Lors de la Gay Pride de 1984, Ashton prend cette initiative de lancer une quête en faveur des mineurs. Il faut se rappeler que Londres était alors recouverte d’affiches et de stickers appelant à soutenir les mineurs. Ce qui d’ailleurs est une prémonition du New York de 1987 recouvert d’affiches et de stickers d’ACT UP. A la sortie du tube anglais, on voyait toujours, sous la pluie ou le vent, des militants avec des sceaux en plastique pour récolter quelques pièces ou billets.
Après ces débuts hasardeux, un pont de soutien est créé entre la communauté gay de Londres et ce petit village du Pays de Galles qui n’a jamais vu de gays ou de lesbiennes. Le sommet de l’opération arrive quand des groupes comme Bronski Beat s’engagent à travers une série de concerts pour promotionner le combat des mineurs. D’autres artistes «prolétaires» comme Billy Bragg amplifieront ce combat avant la fin définitive de la grève en 1985.
Pride n’est pas seulement séduisant parce qu’il décrit un moment politique grandiose et oublié. Tout est bien fait. Les personnages s’habillent avec le mauvais goût vestimentaire de l’époque, le film ne cherche pas à glamouriser une période finalement pauvre. Les détails du scénario sont presque tous véridiques, chaque personnage est crédité pour son apport, ce n’est pas uniquement un film sur le leader charismatique qu’est Mark Ashton. Le réalisateur Stephen Beresford a en outre choisi comme seconds rôles des acteurs presque trop célèbres pour le format: Dominic West (The Wire, The Affair) ou Bill Nighty apparaissent. On dirait qu’ils se sont battus pour être dans ce film.
Un film transversal
La bande son est aussi très représentative de l’explosion pop anglaise de 1984. Tous les sujets politiques du moment ne sont pas écartés pour privilégier l’intrigue principale. On aborde l’homophobie, les tabassages, le début du sida, etc. Mais Pride est surtout un film qui fait du bien en rassemblant hétéros et gays, mineurs et folles, dans un des rares moments de rencontre entre minorités. Et les femmes sont le trait d’union. Pour une fois, ce sont les gays et les lesbiennes qui font le premier pas vers les mineurs. Cela ressemble à ce qui s’est passé dans le mouvement gay américain en direction des droits civiques et des Black Panthers. C’est ce qui existe en ce moment même contre le pink washing à l’encontre des musulmans, qu’ils soient gays ou non. Ces tractions minoritaires ont tous en commun une conviction viscérale contre le racisme et les préjugés qui immobilisent une minorité contre une autre alors que la nécessité politique consiste précisément dans l’union des revendications.
Sous cet aspect, Pride s’inscrit directement dans la ligne des classiques anglais tels que My Beautiful Launderette ou Billy Elliot. Il n’y a pas de moment ringard dans ce film et pourtant les occasions de faire du pathos étaient innombrables. Finalement, on dirait que les meilleurs films LGBT actuels sont ceux qui racontent des engagements oubliés qui attestent que le mouvement LGBT a été flamboyant, colérique, et joyeux. On est loin du nombrilisme de Xavier Dolan. On est franchement du côté d’Alain Guiraudie et Sébastien Lifshitz.
Un destin interrompu
Je me rappelle avoir suivi Jimmy Somerville lors de plusieurs concerts des Communards pour soutenir les mineurs. Moi aussi, au début, j’avais du mal à comprendre pourquoi il fallait aller vers eux mais j’ai vite compris. C’était intimidant et émouvant de voir un groupe gay s’adresser à un public de prolos dont la grève arrivait à la 50ème semaine. Mark Ashton a été le leader de ce moment. C’était un kid que l’on avait envie d’aimer, tout de suite, drôle et sexy. Il avait le don de vous convaincre que l’on pouvait commencer n’importe quoi de majeur à partir de 5 personnes. Deux ans après la fin de la grève, il décèdera du sida, une semaine après avoir découvert qu’il était séropositif.
C’est une de ces disparitions qui a beaucoup marqué l’engagement gay anglais. Encore une fois, le sida faisait disparaître un jeune qui, s’il avait survécu, serait sûrement devenu l’équivalent londonien d’Harvey Milk ou de Vito Russo. Un héros. Le film Pride raconte ce souvenir, c’est un de ces documents que l’on devrait montrer dans les écoles si notre sinistre pays n’avait pas basculé dans un nouvel ordre oral basé sur la peur, la haine des autres et le retour en arrière.
Pour voir d’autres extraits : http://
Didier Lestrade
http://www.slate.fr/story/