CNRS de Lyon : Attirance et pratiques homosexuelles des adolescents

Résultats d’une enquête au sujet de l’homosexualité des jeunes réalisée par Brigitte LHOMOND du CNRS de Lyon avec une équipe de recherche. L’enquête en fait, concernait « le » comportement sexuel des jeunes de 15 à 18 ans.

Le mot  » homosexualité  » pour des adolescents ne sera employé que pour nommer des relations, des partenaires ou une attirance pour le même sexe afin d’éviter d’imposer une définition identitaire ou étiquetante pour des jeunes. S’identifier comme homosexuel ou lesbienne nécessite un processus long rarement réalisé à l’adolescence.
L’orientation hétérosexuelle ou homosexuelle nous est donnée à notre naissance, mais la manière dont elle s’exprime est influencée par une grande variété d’expériences précoces.

On rencontre des comportements homosexuels plus fréquemment à l’âge de l’adolescence qu’à l’âge adulte et plus souvent pratiqué par les hommes que par les femmes. L’homosexualité à l’adolescence semble être perçue dans une tension entre deux pôles : la  » normalité  » d’une phase d’indécision qui ne saurait durer et le résultat d’une séduction par quelqu’un de plus âgé qu’il faudrait condamner.

Déclarer une attirance pour le même sexe implique d’en avoir pleinement conscience et aussi de l’assumer assez nettement pour pouvoir en parler.

Il ne s’agit pas de déclarer ou non quelque chose que l’on a fait mais bien d’énoncer quelque chose que l’on ressent, avec le flou ou la difficulté d’une telle reconnaissance pour soi et face à autrui. La sociabilité différenciée des garçons et des filles à l’adolescence induit des comportements différents : les filles s’entourent de garçons comme s’ils étaient nécessaires à leur champ social, alors que les garçons évoluent plus facilement dans un univers où les filles sont absentes, voire exclues. L’attirance pour le même sexe s’exprime par des comportements inverses chez les filles et chez les garçons : les filles se précipitent dans les différentes étapes de l’entrée dans la sexualité alors que les garçons attendent avant d’aborder les différentes pratiques.
L’attitude des adultes peut influencer la détermination des jeunes qui vivent avec grande difficulté leur situation familiale et sexuelle.

Le rapport avec les parents est difficile, aucun des jeunes interrogés n’a parlé de ses relations homosexuelles avec ses parents. Avoir une relation homosexuelle serait plus envisageable quand on n’est plus sous l’autorité et le regard direct de sa famille. Les jeunes qui ont des pratiques homosexuelles sont plus nombreux parmi les jeunes qui habitent seuls ou avec d’autres jeunes dans un appartement ou dans un foyer. On peut supposer que ces jeunes quittent plus volontiers leur famille pour pouvoir vivre des relations homosexuelles ou que ces jeunes ont été exclus du lieu de vie familial. En raison même de leur homosexualité.

La filière scolaire, la région d’habitation, l’origine ethnoculturelle, la profession des parents, la religion dans laquelle on a été élevé ne jouent pas un rôle déterminant dans le fait de se déclarer homosexuel, néanmoins on peut noter un lien entre pratique religieuse et attirance pour le même sexe : les filles homosexuelles sont plus nombreuses à n’avoir aucune pratique religieuse alors que les garçons pratiquants déclarent plus souvent une attirance homosexuelle. Une attirance pour le même sexe entraîne une légère résistance au mariage et à la procréation. Les garçons restent majoritairement favorables au mariage même lorsqu’ils ont des relations homosexuelles. Pour les filles, en revanche, avoir des relations homosexuelles entraîne un rejet net du mariage. Elles semblent plus cohérentes et moins soumises aux pressions normatives que les garçons. Peut-être sont-elles aussi plus sensibles qu’eux à ce que représente le mariage comme perte d’autonomie pour les femmes, mais elles souhaitent avoir des enfants, dissociant de ce fait, la procréation du mariage. Le réseau amical des filles qui ont une attirance homosexuelle est plus mixte, leur groupe d’amis plus large. L’attirance pour le même sexe favorise le choix de ses amis proches parmi les personnes du sexe opposé. Les jeunes ayant une attirance homosexuelle ont toujours dans leurs amis, des camarades attirés par le même sexe qu’eux… Leur groupe de copains est très rétréci. De plus, la supposée absence de virilité, souvent encore associée à l’homosexualité masculine, entraîne un certain nombre de garçons à écarter ou à refuser de reconnaître toute proximité avec des garçons attirés par le même sexe qu’eux. Qu’un adolescent soit hétérosexuel ou homosexuel, son apparence ou son comportement  » féminin  » peuvent amener ses parents, ses professeurs, les animateurs à réagir de manière cruelle et à le rejeter, affectant ainsi ses capacités de confiance et d’intimité. Les copains des garçons sont aussi plus âgés et se retrouvent plus souvent dans l’univers de l’établissement, signe d’une sociabilité qui se développe dans un monde plus clos. Les filles ont en général une sociabilité plus diversifiée que celle des garçons ; le réseau des filles est plus extérieur au cadre du lycée et ses membres sont en moyenne plus âgés. Elles sont souvent les confidentes des garçons homosexuels. Pour nombre de ces jeunes, l’attirance homosexuelle est une chose qu’ils peuvent vivre de façon toute particulière, comme s’ils étaient seul(es) dans ce cas, avec le poids que peut représenter un tel sentiment, les garçons étant dans ce contexte plus isolés que les filles. On peut penser aussi que cette attirance est pour certains trop indécise pour être dite et pour s’inscrire dans l’échange amical.

Parmi les facteurs qui favorisent ou renforcent une attirance homosexuelle, on trouve d’abord les caractéristiques de socialisation

L’attirance pour le même sexe est liée à la vie collective entre garçons ou entre filles : ainsi les jeunes qui sont ou qui ont été pensionnaires, ceux qui vivent en foyer sont plus souvent attirés par le même sexe que la moyenne. Cette attirance est encore encouragée, pour les garçons, lorsqu’ils vivent seuls avec un membre de leur famille qui n’est ni leur père ni leur mère. L’attirance homosexuelle est également plus fréquente parmi les jeunes dont les parents sont séparés et dont la mère avec laquelle ils vivent, n’a pas reformé de couple. Les garçons sortent beaucoup, plutôt dans des lieux privés ou au concert de rock, rap… Ils se tiennent à l’écart des grandes bandes de copains et se confient à des filles plus facilement que les autres garçons. Ce qui caractérise les filles homosexuelles c’est un comportement moins soumis aux recommandations de prudence qu’on leur prodigue. Les jeunes homosexuels sont plus immergés dans des groupes où la consommation de drogue est présente. La consommation de produits considérés comme nuisibles pour la santé, qu’ils soient licites ou illicites est un indicateur intéressant des comportements des jeunes. Il signale une volonté d’émancipation, un refus des contraintes, voire une attitude de rébellion par rapport aux injonctions ou aux interdits que donne la famille ou le milieu scolaire, spécialement pour les filles homosexuelles. Elles sont plus consommatrices et connaissent plus de gens qui consomment du cannabis, haschisch. Elles prennent plus facilement des antidépresseurs ou des excitants, laissant voir ainsi une forme de difficulté de vie. Les garçons consomment peu de somnifères, calmants et leur homosexualité n’entraîne pas de différence quand à la consommation de tabac, alcool ou drogue par rapport aux autres garçons.

L’attirance pour le même sexe n’entraîne pas nécessairement des pratiques homosexuelles.

La majorité de ceux qui ont des rapports homosexuels ont eu aussi des rapports hétérosexuels. Pour les filles il y a une cohérence plus forte entre attirance et comportement, même si elles ont des relations hétérosexuelles, elles choisissent leurs relations homosexuelles. Pour les garçons on peut penser que leurs rapports homosexuels seraient en quelque sorte  » accidentels  » comme si ils niaient leur attirance ou refusaient de reconnaître leur sentiment, même s’ils ont des pratiques homosexuelles. Pour les uns la pratique sexuelle n’est qu’une seule et unique relation, même une simple expérimentation. Pour d’autres, c’est un mode de vie clairement choisi. D’où la difficulté d’avoir des conclusions à propos des jeunes de 13 à 18 ans qui ont des relations homosexuelles. Les comportements des jeunes ayant une attirance homosexuelle montrent que l’homosexualité se vit pour certains dès le début de leur vie sexuelle, qu’elle va souvent de pair avec l’amour et la vie de couple. Il est fondamental de prendre en compte ces réalités quand on s’intéresse à la sexualité des jeunes, tant pour la prévention que d’une manière plus large dans la vie scolaire et sociale.

Compte-rendu de Nelcy BERANGER