Comment j’ai appris à vraiment aimer mon fils gay !

Ce texte a été écrit le 5 décembre 2012, publié la première fois le 14 janvier 2013, son auteure tient le blog « Just because he breathes », ouvert après la mort de son fils Ryan, traduction : J. Grauling. Note du traducteur : paraît-il que le témoignage de Linda n’était pas étranger au volte-face d’Allan Chambers, président d’Exodus, l’une des plus grandes organisations internationales prônant les fameuses thérapies « Ex-gay », qui a présenté mi-juin des excuses complètes aux familles et aux personnes LGBT passées par ces thérapies.

Dans la soirée du 20 novembre 2001, une conversation par messagerie instantanée changea nos vies à jamais. Notre garçon âgé de 12 ans m’envoie des messages dans mon bureau à partir de l’ordinateur qui se trouve dans sa chambre.
Ryan : je peux te parler ?
Maman : Oui, j’écoute
Ryan : bien je ne sais pas vraiment comment le dire… Mais je ne peux continuer à me mentir à moi-même. J’ai caché ça depuis trop longtemps et j’ai pensé qu’il fallait te le dire maintenant. Bon, sûrement que tu as une petite idée maintenant de ce que vais te dire.
Ryan : Je suis gay
Ryan : j’arrive pas à croire que je te l’ai dit comme ça
Maman : Est-ce que c’est une blague ?
Ryan : non
Ryan : je pensais que tu comprendrais à cause d’oncle Don
Maman : bien sûr que oui
Maman : mais qu’est-ce qui te fait penser que tu l’es
Ryan : je le sais, c’est tout
Ryan : je n’aime pas Hannah
Ryan : c’est juste une couverture
Maman : mais ça ne fait pas de toi une personne homosexuelle…
Ryan : je sais
Ryan : mais tu comprends pas
Ryan : je suis gay
Maman : dis-m’en plus
Ryan : c’est que je suis comme ça et j’en suis sûr
Ryan : toi, t’es pas lesbienne et tu le sais… moi c’est la même chose
Maman : qu’est-ce que tu veux dire ?
Ryan : je suis gay, c’est tout
Ryan : je suis… ça
Maman : Je t’aime quoiqu’il en soit
Ryan : je sais
Ryan : je suis un garçon, pas une fille
Ryan : je suis attiré par les garçons, pas les filles
Ryan : tu sais ce qu’il en est pour toi, moi je sais pour moi
Maman : Dieu, que pense-t-il de ces désirs ? Tu y as réfléchi ?
Ryan : je sais
Maman : merci de m’en avoir parlé
Ryan : et je suis terriblement confus de tout ça, juste là
Maman : Je t’aime encore plus pour être honnête
Ryan : je sais
Ryan : merci

Nous étions complètement sous le choc. Pas que nous ne connaissions pas et n’aimions pas des personnes homosexuelles – mon propre frère unique avait fait son coming-out, il y quelques années, et nous avons énormément d’affection pour lui. Mais Ryan ? Il n’avait peur de rien, il était fort comme l’acier, et complètement garçon. Nous n’avions pas vu venir ça, et l’émotion qui nous submergea au point de ne plus en dormir la nuit et qui, tristement, influença toutes nos réactions pendant les six années à venir, cette émotion était la peur.

Nous disions toutes ces choses que nous pensions que des parents chrétiens croyant que la Bible est la Parole de Dieu devaient dire :
Nous t’aimons. Nous t’aimerons toujours. Et c’est dur. Vraiment dur. Mais nous savons ce que Dieu dit de ça, et tu vas donc devoir faire des choix vraiment difficiles.
Nous t’aimons. Mais d’autres ont affronté ce même combat, et Dieu a œuvré en eux afin de changer leurs désirs. On va te trouver les livres qu’ils ont écrits… tu pourras écouter leurs témoignages. Et nous mettrons notre confiance en Dieu pour cela.
Nous t’aimons. Mais tu es jeune, et ton orientation sexuelle évolue encore. Ces sentiments que tu as eus pour d’autres gars ne font pas de toi un gay. Alors, nous t’en prions, ne dis à personne que tu es gay. Tu ne sais pas qui tu es, pour l’instant. Ton identité n’est pas que tu es gay – ton identité est que tu es un enfant de Dieu.

Nous t’aimons. Nous t’aimerons toujours. Mais si tu penses suivre Jésus, la sainteté est ta seule option. Tu auras à choisir de suivre Jésus, quoiqu’il en soit. Et comme tu sais ce que la Bible dit et que tu veux suivre Dieu, accueillir ta sexualité n’est pasune option.

Au fond, nous disions à notre fils qu’il devait choisir entre Jésus et sa sexualité. Nous l’obligions à faire un choix entre Dieu et le fait d’être une personne sexuelle. Choisir Dieu signifiait en pratique de mener une existence de solitude (ne jamais tomber amoureux, recevoir un premier baiser, se tenir par la main, partager un compagnonnage intime, faire des expériences romantiques), mais cela signifiait aussi la vie en abondance, la paix parfaite et des récompenses éternelles. Alors, pendant les six prochaines années, il essayait de choisir Jésus. Comme tant d’autres avant lui, il adjurait Dieu de l’aider à être attiré par les filles. Il mémorisait les Ecritures, rencontrait son pasteur responsable de la jeunesse, semaine après semaine, participait avec enthousiasme à tous les événements de son groupe de jeunes ecclésial et aux études bibliques, se fit baptiser, lisait tous les livres qui prétendaient savoir où ses sentiments gays trouvaient leur origine, plongeait dans les consultations pour mieux comprendre les « pourquoi » de son attraction non-souhaitée pour les garçons, suivait une douloureuse thérapie de résolution de conflits avec mon mari et moi, et construisait des amitiés fortes avec des garçons – des garçons straight (=hétéros), suivant en tout les conseils qu’il avait reçus. Il a même fait son coming-out devant son groupe de jeunes, en donnant son témoignage sur la manière dont Dieu l’a sauvé des pièges tendus par l’ennemi, tout en partageant – de mémoire – les versets, les uns après les autres, que Dieu avait utilisés pour mener Ryan vers Lui-même.

Mais rien n’avait changé. Dieu ne répondait pas à ses prières – ni aux nôtres – alors même que nous croyions fermement que le Dieu de l’univers – ce Dieu pour qui rien n’est impossible – pouvait rendre Ryan straight (non gay). Mais Il ne le faisait pas.

Alors que nos cœurs étaient sans doute bons (nous croyions vraiment que ce que nous faisions était de l’amour), nous n’avions même pas donné la chance à Ryan de lutter avec Dieu, de découvrir lui-même ce que Dieu pouvait lui signifier concernant sa sexualité, à travers les Ecritures. Nous pensions fermement avoir donné à chacun de nos quatre enfants suffisamment d’espace pour mettre en question le christianisme, pour décider par eux-mêmes s’ils voulaient suivre Jésus, pour réellement acquérir leur propre foi. Mais nous avions trop peur de laisser à Ryan cette liberté quand il s’agissait de sa sexualité, par crainte qu’il puisse faire le mauvais choix.

Ainsi, juste avant son 18e anniversaire, Ryan – déprimé, suicidaire, désillusionné et convaincu qu’il n’arriverait jamais à se faire aimer de Dieu – fit un nouveau choix. Il décida de virer sa Bible par-dessus bord, et sa foi avec, et d’essayer de chercher ce qu’il souhaitait désespérément – la paix – d’une autre manière. Et la première chose qu’il essaya était la drogue.

Sans en avoir l’intention, nous avions appris à Ryan à haïr sa sexualité. Et comme la sexualité ne peut être séparée de la personne, nous avons inculqué à Ryan de se haïr lui-même. Ainsi, en consommant les drogues, il le faisait avec une telle imprudence et un manque de précaution pour sa propre sécurité que tous ceux qui le connaissaient s’en alarmaient.

Tout à coup, notre peur que Ryan pourrait un jour avoir un petit ami (possibilité qui honnêtement me terrifiait) parût triviale en comparaison avec celle qu’il pourrait mourir, d’autant plus qu’il venait de rejeter le christianisme et que sa colère contre Dieu grandissait.

Ryan commença avec de l’herbe et de la bière… mais en seulement six mois, il passa à la cocaïne, le crack et l’héroïne. Il était accro dès le début, et son aversion vis-à-vis de lui-même et sa rage contre Dieu ne faisaient que renforcer son addiction. Peu après, nous perdîmes le contact avec lui.
Pendant les un an et demi qui suivirent, nous ne savions ni où il était, ni même s’il était mort ou vivant. Et pendant cette période épouvantable, Dieu eut notre entière attention. Nous cessâmes de prier pour que Ryan devînt straight. Nous commençâmes à prier pour qu’il sût que Dieu l’aime. Nous cessâmes de prier qu’il n’eût jamais un petit ami. Nous commençâmes à prier qu’un jour il revînt à Jésus. Nous cessâmes même de prier qu’il revînt chez nous à la maison… nous souhaitions seulement qu’il revînt à la maison de Dieu.

Le jour où notre fils appela, après 18 longs mois de silence, Dieu avait complètement changé notre perspective. Comme Ryan avait commis certains actes vraiment terribles en consommant des drogues, la première chose qu’il me demanda était :

Penses-tu pouvoir me pardonner un jour ? (Je lui dis, bien sûr que oui, qu’il était déjà pardonné. Qu’il avait toujours été pardonné.)

Penses-tu pouvoir m’aimer de nouveau ? (Je lui dis que nous n’avions jamais cessé de l’aimer, pas une seconde. Que nous l’aimions plus que nous ne l’avions jamais aimé.)

Penses-tu possible que tu puisses même m’aimer avec un petit ami ? (En pleurant, je lui dis que nous pourrions l’aimer avec quinze petits amis. Que nous voulions juste qu’il revienne faire partie de nos vies. Que nous voulions juste avoir de nouveau une relation avec lui… et avec son petit ami.)

Un nouveau voyage venait de commencer. Un voyage de guérison, de restauration, de communication ouverte et de grâce. Enormément de grâce. Et Dieu était présent à chaque pas du chemin ; Il nous conduisait et nous guidait en nous rappelant gentiment de simplement aimer notre fils, en laissant le reste à Ses soins.

Pendant les prochains dix mois, nous apprenions à aimer notre fils. Point à la ligne. Pas de mais. Pas de préalables. Juste parce qu’il respire. Nous apprenions à aimer quiconque notre fils aimait. Et c’était facile. Ce dont j’avais tellement peur auparavant, devenait une bénédiction. Le cheminement se passait sans erreurs, nous n’avions que de la reconnaissance les uns pour les autres, et le langage des excuses et du pardon devint une part naturelle de notre relation. Pendant que notre fils poursuivait sa rémission des addictions à la drogue et à l’alcool, nous le soutenions. Dieu nous enseignait comment l’aimer, nous réjouir de lui, d’être fier de l’homme qu’il était en train de devenir. Nous étions tous en voie de guérison… et, le plus important, Ryan commença à penser que si nous étions capables de lui pardonner et de l’aimer, Dieu le serait peut-être Lui aussi.

Et puis, Ryan fit l’erreur classique de tout dépendant en rémission… il se remit à fréquenter ses anciens amis… ses amis usuels et usants. Et un soir, qu’il pensait simplement passer à regarder des films, il s’est shooté, pour la première fois depuis dix mois… et pour la dernière. Ryan est mort le 16 juillet 2009. Et nous perdîmes la possibilité d’aimer notre fils gay… parce que nous n’avions plus de fils gay. Ce que nous avions souhaité et espéré, ce pourquoi nous avions prié… de ne pas avoir un fils gay, s’est réalisé. Pas du tout, cependant, de la manière dont nous l’avions envisagé.

Aujourd’hui, quand je repense à la peur qui avait gouverné toutes mes réactions pendant les six premières années après l’annonce de Ryan disant qu’il était gay, j’ai honte de m’apercevoir quelle folle j’étais. J’avais peur des mauvaises choses. Et ce qui me chagrine, ce n’est pas seulement la perte de mon fils aîné qui me manquera chaque jour qui me reste à vivre, mais ce sont les erreurs que j’ai commises. Le chagrin me ronge à cause de ce qui aurait pu être, si nous avions cheminé dans la confiance et non dans la peur. Aujourd’hui, à chaque fois que Rob et moi rejoignons nos amis gays lors d’une soirée, je rumine et me dis combien j’aurais aimé venir dîner avec Ryan et son partenaire. Au lieu de cela, nous visitons sa pierre tombale. Nous célébrons des anniversaires : les aurait-été-anniversaires et le jour inoubliable de sa mort. Nous nous habillons en orange – sa couleur. Nous amassons des souvenirs : photos, vêtements qu’il a portés, notes manuscrites, listes d’affaires qu’il aimait, les bribes de ses passions, collections de chansons drôles qu’il avait inventées, son maillot Curious George et son maillot de baseball, tout, absolument tout ce qui peut nous rappeler notre merveilleux garçon… car c’est tout ce qui nous reste, il n’y aura plus de nouveaux souvenirs. Nous nous réjouissons de nos enfants devenus adultes et de la famille qui s’agrandit quand ils se marient… mais nous souffrons à cause de celui qui manque dans notre « bande de quatre ». Nous inscrivons l’existence avec des dates marquées AC (avant-coma) et AD (après-décès), parce que nous sommes des gens différents maintenant ; notre vie a changé irrévocablement – en un million de façons – par sa mort. Nous soignons les amitiés avec d’autres qui « peuvent comprendre »… parce qu’eux aussi ont perdu un enfant.

Nous versons des larmes. Nous implorons le Ciel de nous accorder grâce et miséricorde et rédemption, tout comme nous tentons non de devenir meilleurs, mais d’être meilleurs. Et nous prions que Dieu puisse employer notre histoire, de quelque manière que ce soit, pour aider d’autres parents à apprendre à aimer leurs enfants, en vérité. Simplement parce qu’ils respirent.

Directrice du Centre chrétien de sensibilisation sur l’épidémie du Sida, dans l’état de Washington