Confession d’un prêtre gay en Russie : « nous vivons sous un régime totalitaire, où l’on n’a pas le droit de revendiquer sa différence »

Artiom Wiecielkowski, 34 ans, vit à Samara. Pendant plus de dix ans, il a enseigné au séminaire orthodoxe et assuré le service religieux dans une église de la région, avant de démissionner, en juin dernier. Il s’est confié dans une interview exclusive au Courrier de Russie, comparant l’Église orthodoxe russe à une matriochka, ces poupées de tailles décroissantes qui s’emboitent les unes dans les autres. Car si elle peut paraître démocratique de l’extérieur, elle fait plutôt penser, de l’intérieur, à un État féodal, assure-t-il. Les prêtres sont soumis à l’archevêque, qui jouit sur eux d’un pourvoir total.

« Nous devons tous être d’accord avec la position officielle, celle du patriarche, ou du moins faire en sorte de l’accepter. Il n’y a pas d’alternative. Ceux qui ont une famille et des enfants à nourrir se laissent manipuler, mais moi, je suis un homme libre, et je n’ai rien à perdre. Les homosexuels sont aussi nombreux dans les milieux religieux qu’ailleurs – c’est le contraire qui serait étonnant ! Le problème, c’est que nous vivons tous ici sous un régime totalitaire, où l’on n’a pas le droit de revendiquer sa différence. Et je ne parle pas seulement de l’orientation sexuelle, mais de toute autre caractéristique humaine. »

Et puis un jour, Artiom s’est mis à porter une boucle d’oreille. Il se demandait quand l’archevêque l’apprendrait : « Eh bien, ça n’a pas manqué – dès le lendemain ! » Le service de dénonciation interne de l’Église fonctionnant à merveille. On lui a aussitôt demandé de changer de paroisse. « Je me suis alors dit : c’est le moment ! J’ai fait mes valises, trouvé un appartement à louer et j’ai démissionné. J’ai cessé d’être prêtre. »

Il était entré au séminaire en 2004. Et jusqu’en juin 2015, il n’aura jamais cessé d’étudier et enseigner en même temps. Mais, en septembre dernier pourtant, le portail d’actualités régional « The Togliatti Room » a publié un article intitulé « Un prêtre de Samara s’est déclaré gay ». À l’origine, il s’agissait d’une conversation privée avec ce journaliste, il n’avait jamais été question d’une publication de l’entretien. Et soudain, tout le monde s’est mis à parler du « prêtre gay », alors qu’il avait quitté l’église et le séminaire des mois plus tôt.

« Je n’avais jamais caché mon orientation sexuelle, même quand j’étais au service religieux, tout mon entourage était au courant. J’ai fait mon coming-out il y a vingt ans ! J’ai toujours été un bon fidèle et mes supérieurs fermaient les yeux sur cet aspect. Le vrai problème, dans cette histoire, c’est que mon homosexualité ne choquait personne tant qu’elle n’avait pas été rendue publique ! »

Après son départ, il bénéficiera néanmoins du soutien beaucoup de prêtres et d’étudiants. « Vous savez, la plupart des Russes ne sont pas si homophobes qu’on le dit, c’est la presse qui véhicule ces clichés… C’est vrai, je reçois régulièrement des menaces et des insultes sur les réseaux sociaux, mais je reçois aussi des messages de soutien – et ils sont bien plus nombreux ! »

Mais la publication de l’article et la diffusion de sa photo dans les médias affectera jusque son frère jumeau à Togliatti, à une centaine de kilomètres de Samara : « les journalistes n’ont pas toujours été très attentifs aux détails : il est marié et père de cinq enfants, et lui aussi a subi les effets de ma « popularité ». Au départ, j’avais des craintes pour ma famille, mais en fait, tout s’est bien passé. Mon frère m’a même dit qu’il était content pour moi. »

Artiom aurait souhaité rencontrer les députés Milonov et Mizoulina [auteurs des lois contre « la propagande de l’homosexualité auprès des mineurs », adoptées en 2013, pour « leur dire en face : vos lois, c’est de la bêtise pure ! Ces fonctionnaires ne s’intéressent absolument pas aux résultats des recherches scientifiques mondiales, ils se fichent de toutes les connaissances humaines actuelles sur le sujet… C’est de l’ignorance, pure et dure ! Et c’est un phénomène qu’on ne peut combattre que par le biais de l’éducation – ce que j’essaie de faire, aujourd’hui encore, en continuant d’enseigner, dans le privé, désormais. »

Bien sûr, il a des craintes. Mais, « la vie, c’est dangereux », insiste-t-il, peu importe qui l’on est. Et la soif de liberté étant « un des besoins de base de l’être humain », il songe aussi à s’engager dans l’activisme civil. Il a d’ailleurs contacté une association LGBT locale. Il y a en, dit-il, et même des associations de chrétiens homosexuels, mais il n’a pas encore eu le temps de travailler avec eux.

« Être prêtre, c’est presque un métier de psychothérapeute… Je sais que je suis en mesure d’aider les autres, de les soulager. J’ai rencontré des homosexuels parmi mes paroissiens et mes élèves, souvent très jeunes ; et l’essentiel, pour moi, était de les voir rassurés, consolés. »