Ce mercredi 3 juillet, la loi-cadre pour l’égalité entre les femmes et les hommes est présentée au Conseil des ministres. Au menu : une réforme du congé parental pour « favoriser un meilleur partage des responsabilités parentales et la conciliation de la vie personnelle et professionnelle ». Décryptage de la sociologue au CNRS Christine Castelain Meunier, à l’origine du congé de paternité.
Le 8 mars 2013, le président a annoncé une réforme du congé parental. Le texte, préparé par la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, est examiné par le Conseil des ministres ce 3 juillet.
Et, s’il y a bien évidemment des éléments positifs, notamment le fait que cela pousse la société à prendre ce problème en considération, les femmes à laisser la place aux pères et les pères à assumer leurs nouvelles formes de responsabilités, je trouve le dispositif proposé insuffisant.
Avant tout, toucher au congé parental au lieu d’allonger le congé paternité – ce que je préconise depuis le début des années 2000 –, c’est pour moi une réforme a minima, qui a été entreprise pour dire que l’on changeait quelque chose. Ce projet de loi concerne moins de personnes que s’il s’était emparé du congé paternité. Résultat : le gouvernement n’accompagne pas le paysage contemporain de la famille.
Priorité existentielle
Si ces mesures sont timorées, c’est pour des raisons économiques. Les responsables politiques ont peur de dire que l’homme doit lâcher du lest par rapport à son investissement professionnel.
Puisque les salaires des hommes sont supérieurs aux salaires des femmes, on préfère ne pas trop toucher à la carrière de ces messieurs. La bousculer risquerait d’avoir des retombées sur la consommation. Ce que ne veut pas le gouvernement en période de crise.
Mais les ministres font fausse route. Il faut prendre le problème à la racine et donc combattre les inégalités. Et faire en sorte que les priorités existentielles prennent le pas sur celles économiques. La réforme du congé parental n’assume pas le virage de la société.
Révolution de la paternité
La majorité des jeunes pères veulent s’investir dans l’éducation de leurs enfants et être présents plus longtemps auprès de leur enfant après ce chamboulement qu’est sa naissance. À l’échelle de l’histoire, on a assisté à une révolution de la paternité. On est passé d’une paternité institutionnelle, avec des rôles différenciés attribués à chaque parent, à une paternité relationnelle, qui existe par les liens tissés entre le père, également responsable éducatif, et l’enfant.
Avant, la paternité commençait lorsque l’enfant avait 7 ans, la naissance et la toute petite enfance étaient une affaire de femmes. Dans cet univers, l’homme était tabou. Aujourd’hui, lorsque les parents se séparent alors que les enfants sont en bas âge, les mères jugent fondamental que le tout petit voie son père.
Il y a une trentaine d’années, c’était impensable : les femmes elles-mêmes étaient frileuses à l’idée de laisser une place au père. Preuve s’il en est que les mentalités changent. Pourquoi continuer de dissocier vies professionnelle et personnelle pour l’homme alors qu’elles sont mélangées pour la femme ?
Entériner des valeurs de l’Ancien Régime
Si la France se targue d’être une République, la frilosité à réformer les dispositifs autour de la parentalité donne l’impression que l’Hexagone suit des valeurs obsolètes, quasi dignes de l’Ancien Régime. Comme si l’homme qui investit la sphère familiale se dévirilisait et que la paternité ne pouvait exister sans empiéter sur le territoire de la mère, l’idée étant que le père s’occupant de son enfant prend alors le rôle maternel.
Ne pas adopter de mesure-phare, c’est entériner cette situation-là, où l’on fait subsister une concurrence ou une hiérarchie entre les deux rôles parentaux. Allonger le congé paternité pour qu’il soit l’équivalent du congé maternité, même si la femme a aussi besoin de se recomposer dans son corps, ce n’est pas une cerise sur le gâteau : c’est le minimum.
C’est seulement ainsi que la sphère professionnelle prendra conscience que le travailleur est aussi un père. Et qu’au sein de l’entreprise les hommes pourront bénéficier d’aménagements, avec l’aide de l’État. Il faudrait ainsi instaurer une charte parentale des entreprises, mettant en place des mesures concrètes (par exemple, que les réunions importantes n’aient pas lieu systématiquement le soir ou le mercredi).
Un plus pour l’entreprise
Lorsqu’un homme qui postule à un poste demande un 80% de temps, de plus en plus de jeunes DRH pensent que c’est un homme qui réfléchit à ses priorités et que, s’il sera bien dans sa vie, c’est un plus pour l’entreprise. Progressivement, s’instaure l’idée selon laquelle l’homme peut être performant du point de vue professionnel alors qu’il s’occupe aussi de ses enfants.
En 2000, quand il a été question de créer le congé paternité, les opposants nous rétorquaient que les pères ne le prendraient pas, qu’ils l’utiliseraient pour parfaire leur formation et donc dans un objectif de promotion. Pourtant, déjà, j’avais discuté avec des associations d’agriculteurs et ces hommes étaient loin d’être réactionnaires : ils se réjouissaient de ce congé.
Aujourd’hui, c’est un grand succès. Ceux qui peuvent le prendre le prennent. Les réticences sont le fait de structures professionnelles (parmi les professions libérales, les commerçants), mais pas individuelles. Mais si l’on montre que la présence à la maison du père est fondamentale et n’a rien de dévalorisant, cela deviendra la norme sur le marché du travail. C’est pourquoi cette réforme du congé parental va peut-être créer un passif dans le bon sens du terme, mais elle reste insuffisante.
Propos recueillis par Daphnée Leportois.
http://leplus.nouvelobs.com
Par Christine Castelain Meunier
Sociologue au CNRS