A Abidjan, en Côte d’Ivoire, les homosexuels ont aussi leurs bars, où ils peuvent vivre leur différence : Murs rouges, plafonds noirs, sono qui crache du coupé décalé, trois hommes souriants qui se déhanchent en rythme, sous le regard amusé d’une clientèle à 95% masculine…
« Dans une boîte gay, on est beaucoup plus libre, par rapport aux endroits hétéros. Il n’y a pas de regards bizarres », observe Jacques. « Ici, on peut déstresser, se sentir à l’aise, s’oublier », confie cet étudiant de 22 ans.
Les clients sont pourtant étonnamment sages. Un hommes caresse doucement le cou de son compagnon. Mais personne ne s’embrasse, ne fricote. Les codes sociaux stricts en vigueur en Côte d’Ivoire sont aussi respectés ici.
Dans le public, plusieurs travestis, comme Malika, qui refuse de communiquer son nom civil. Âgée de 20 ans, cet éducateur vit depuis trois ans une double vie : homme de jour, femme la nuit.
« J’habite chez un ami. Par respect pour ses amis, ses occupations, je vis en homme sous son toit. Mais quand je vaque à mes occupations, je suis comme j’aime l’être », glisse Malika, au maquillage discret, coiffée d’une perruque courte et habillée d’une élégante robe à motifs.
Bars homosexuels, transgenres… la Côte d’Ivoire fait office d’exception du fait de sa tolérance par rapport à nombre d’autres pays africains, où l’homophobie est érigée en règle.
Une trentaine d’États du continent ont déclaré l’homosexualité illégale. Le Nigeria et l’Ouganda ont récemment défrayé la chronique pour avoir voté des lois très sévères punissant de longues années de prison l’homosexualité. Même si le président ougandais a finalement fait marche arrière. En Mauritanie, la peine de mort est prévue pour les contrevenants.
« Ce n’est pas le paradis ici, mais c’est nettement mieux que dans d’autres pays », analyse Malika, dont une amie transsexuelle, poignardée à la poitrine, a eu beaucoup de mal à être soignée à l’hôpital.
Moussa, le gérant d’un des trois bars homosexuels de la ville, raconte de son côté les « insultes » des passants et les velléités d’expropriation du propriétaire des lieux « parce que le bar est gay ».
Mais il reste possible de vivre sa différence à Abidjan, affirment tous les personnes LGBT rencontrées par l’AFP. La Côte d’Ivoire fait même office d’« eldorado » pour les gays du continent, remarque Malika.
Marinette, bisexuelle, qui se sentait « menacée dans sa commune » du Cameroun après plusieurs relations homosexuelles, a ainsi mis le cap sur Abidjan il y a quatre mois, « tentée » par le côté « free » de la ville.
« Rien à voir avec mon pays, où l’une de mes amies a été menacée de viol parce qu’elle n’avait jamais couché avec un mec », compare cette jeune trentenaire, le corps moulé dans une robe rouge.
Pourquoi alors cette tolérance ivoirienne vis-à-vis de l’homosexualité ? « Parce qu’on n’a pas encore subi d’acte homophobe venant du législateur », explique Fabrice, 26 ans, responsable des affaires juridiques d’Alternative, une ONG défendant les droits des homosexuels.
En Côte d’Ivoire, poursuit-il, aucune loi « ne promulgue la discrimination du fait de l’orientation sexuelle ».
Interrogé sur les raisons de cette exception, un cadre du gouvernement explique que l’État ivoirien, confronté de 2000 à 2011 à une crise politico-militaire sanglante, a eu d’ »autres problèmes » à gérer.
« Ici, il y a le chômage important, le banditisme qui règne à grande échelle. L’homosexualité du coup est une histoire mineure », réfléchit Fabrice.
Même dans les campagnes, traditionnellement plus étroites d’esprit, celle-ci est « stigmatisée sans que cela aille trop loin », observe-t-il. « Il y a des critiques, des agression verbales, mais ce n’est pas la charia. »
Reste que la différence, pour être bien vécue en Côte d’Ivoire, se pratique cachée.
« Ce soir, tout le monde est homo ! », lance Armand, 32 ans, devant le bar gay où il travaille comme serveur. « Mais demain matin, on ne se connaît plus. Chacun masque son identité. »