Je me suis longtemps demandé ce qu’était l’âme profonde de Toronto. Tantôt plus britannique que la reine, tantôt une wannabe New York qui s’est affublé du titre de métropole du Canada en oubliant qu’elle ne règne que sur le Canada anglais, la ville semble avoir autant d’identités que de communautés culturelles qui s’y côtoient. Son identité réelle semble insaisissable. En visitant la ville à l’occasion de la Fierté, je me suis dit finalement que la Ville Reine est une drag queen, qu’elle se travestit tour à tour pour parodier les unes et les autres, parfois pour démontrer son amour pour ses idoles, parfois pour nous impressionner par son extravagance et son élégance nouveau riche.
On raconte que l’expression drag queen viendrait de l’acronyme de ‘Dressed as a girl’ utilisé dans le théâtre anglais pour désigner les hommes incarnant des rôles féminins, et de queen, en français ‘une folle’. Cela semble bien coller à cette ville fondée par des Loyalistes de l’Empire Uni après la Révolution américaine. Alors que l’Amérique amorçait avec éclat une vie indépendante des métropoles, en affirmant son identité propre, Toronto a été fondée sous le nom de York par des Américains qui refusaient d’être américains pour démontrer leur attachement à la mère-patrie. Le réputé guide gai Bruce Bell s’est fait un plaisir de nous faire découvrir ces racines très britanniques de la Ville Reine. Que ce soit dans les vitraux de la cathédrale Saint-James dédiés non pas à la gloire de Dieu, mais à la gloire de la monarchie et de l’Empire ou dans les fantasmes aristocratiques de l’hôtel Royal York. Son tour du minuscule Vieux-Toronto vaut la peine et est rempli d’anecdotes savoureuses qui nous rappellent cette époque où Toronto ne jurait que par son appartenance à l’Empire.`
En cheminant à travers les rues du vieux Toronto, en foulant la mythique Bay Street, Bell nous fait réaliser comment, aux débuts du XXe siècle, quand la ville devint un centre financier nord-américain, elle se mit tout à coup à vouloir imiter New York. L’antiaméricaine primaire devient alors une wannabe convaincue de pouvoir faire mieux que son idole en invitant de célèbres architectes américains. En revenant vers le quartier gai, vous ne pourrez manquer de sourire en traversant Dundas Square, un pastiche de Times Square créé de toutes pièces par la Ville au début du 3e millénaire.
Mais vous vous rapprocherez de l’âme intime de Toronto en visitant le marché Saint. Lawrence où se termine toute bonne visite du vieux Toronto. Ce marché public fait le bonheur des épicuriens. Outre les produits frais, voilà une excellente occasion de profiter de la diversité ethnique de Toronto, très bien représentée dans les centaines d’étalages. Et aussi de découvrir le sandwich au bacon peameal qui est à Toronto ce que le sandwich au bœuf fumé est à Montréal.
À l’est de la vieille ville, l’ancien quartier des distilleries est en plein redéveloppement. Cet ancien site industriel est en train d’être transformé en quartier piétonnier réservé aux artistes et artisans, avec animation culturelle, restos, pubs et terrasses. En réservant l’espace aux artistes et artisans de la ville, vous pouvez y découvrir son âme… et aussi sa fascination pour d’autres cultures. Je vous conseille les délicieux sakés de l’Ontario Spring Water Sake et, pour les nostalgiques, A Taste of Québec, où vous trouverez parmi nos meilleurs produits du terroir et une galerie d’artistes d’ici.
Si vous vous intéressez à l’histoire GLBT de Toronto, le Queer Walking Tours vous permet de découvrir les origines du mouvement qui a fait en 30 ans de la fierté de la Ville Reine une des plus grandes fiertés au monde et la plus grande au Canada. Là encore, comme Québécois, vous sourirez d’entendre la diva se prendre le plus sérieusement du monde pour LE centre de la vie gaie au Canada. Au-delà des déclarations bitchs à l’effet que son Village (qui tient sur quatre quadrilatères)est le plus grand au Canada (Hello darling, le Village de Montréal s’étend sur 17 coins de rue!), que le journal GLBT de Toronto Xtra! est disponible partout au Canada (décidément le Québec ne doit déjà plus faire partie du Canada!), on peut découvrir ce qui fait la force réelle de la communauté GLBT de Toronto, une histoire qui a son propre Stonewall, les descentes dans les saunas de Toronto il y a trente ans et la riposte massive qui s’ensuivit. La tradition militante que la riposte à ces descentes a initiée est certes une grande différence avec l’histoire de notre communauté au Québec où l’octroi rapide de droits n’a pas consolidé de tradition de militantisme.
Et Toronto, malgré son caractère indéniablement canadien-anglais, sait aussi intégrer un peu de Québécois dans sa personnalité, surtout quand ça lui donne un peu d’originalité par rapport à ses idoles. Et il n’y a pas que la poutine que vous trouverez partout. Pour une touche d’exotisme de bon goût, notre influence culinaire se fait sentir chez Fabarnak (oui, oui, c’est une contraction entre fabulous et tabarnak!), le casse-croûte BCBG du Centre communautaire 519, rue Church, au cœur du Village. Et pour un séjour de première classe au cœur de la métropole, le dernier-né de la chaîne québécoise d’hôtels-boutiques Le Germain au Maple Leaf Square saura vous charmer par sa classe, sa modernité et son élégance. Et en prime, c’est probablement un des rares hôtels à Toronto où vous pourrez être assez facilement être servi en français.
par André Gagnon