En juin 2013, Michel Teychenné remettait un rapport à Vincent Peillon, alors ministre de l’éducation nationale, afin de sensibiliser aux discriminations vécues par les lesbiennes, les bissexuels, les gays et les trans à l’école.
Depuis, qu’en est-il de la lutte contre les discriminations ? Si une campagne de sensibilisation a été lancée cette année, dans la plus grande discrétion, les chiffres des violences physiques et verbales à l’encontre des gays ou des lesbiennes par exemple, incitent toujours à plus de vigilance, comme le rappellent dans le Plus du nouvelobs, Johanna Dagorn et Arnaud Alessandrin, tou.te.s deux chercheuse et chercheur à l’université de Bordeaux.
Dans une enquête publiée fin 2015 dans la revue « Le sujet dans la cité », ils mettaient ainsi en avant certaines données visant à éclairer le chiffre noir des violences homophobes (la transphobie étant plus compliquée à mettre à jour). Les chiffres des établissements sont, en la matière, excessivement trompeurs.
Par manque de formation ou par absence de prise en compte de ces questions, rares sont les actes et les propos homophobes qui sont pénalisés au sein des collèges et lycées. Encore plus rares sont les actes et propos que les établissements enregistrent formellement.
Se tourner vers les élèves permet de montrer toute l’ambivalence de l’expérience des discriminations, et d’interroger le désajustement des mesures statistiques et la difficile mise en œuvre des dispositifs.
Du point de vue des élèves, les preuves s’accumulent pour les uns, en particulier quand leur univers est celui de la ségrégation scolaire. Mais les élèves qui se savent discriminables doutent aussi : ils connaissent le poids des normes scolaires, l’embarras des équipes pédagogiques qui souhaitent à la fois être indifférentes aux différences, sans jamais pouvoir les oublier. Ils éprouvent le paradoxe du monde juvénile qui vit la mixité et les différences comme une évidence, le plus souvent heureuse, mais qui est aussi source de stigmatisations, d’ostracisme, et de violences.
Ambivalente et incertaine, la discrimination est alors le mobile de stratégies d’anticipation et d’évitement, qui finissent par produire les situations que les élèves redoutent.
Homophobie dans la cour de récréation
Parmi les incidents signalés par l’institution chaque année, 11% sont clairement identifiés comme discriminants (ce chiffre ne varie pas depuis cinq ans) et seulement moins de 1% d’actes homophobes sont relevés. Ce chiffre est loin de refléter la réalité. Il suffit d’observer quelques minutes une cour de récréation pour entendre des propos à caractère ouvertement homophobe.
Si, le plus souvent, les victimes ne déclarent pas les propos homophobes (par peur ou par lassitude), les questionnaires administrés aux élèves donnent à voir l’ampleur des épreuves homophobes.
En effet, 16% des filles et 24% des garçons disent avoir entendu ou avoir été victimes de propos homophobes au cours de l’année écoulée (2014-2015). Sans extrapoler sur les actes traumatiques au cours d’une scolarité complète, soulignons que 4% des filles et 10% des garçons ont subi ces insultes plus de cinq fois durant les douze derniers mois.
Ces chiffres font également écho au dernier rapport de l’association SOS Homophobie qui note que 6% des témoignages reçus en 2015 s’inscrivent dans le cadre scolaire. Plus encore, 80% des discriminations ont eu lieu au collège et au lycée, et 13.5% ont des enseignant.e.s, des personnels d’encadrement ou de direction comme auteurs présumés !
Face à la timidité de l’action publique, il nous semble donc urgent de prendre en considération ces chiffres et les expériences qu’ils dévoilent par des actions plus volontaires de lutte contre l’homophobie et la transphobie.
L’espace public, second théâtre de discriminations
Un second théâtre de discriminations nous interpelle dans le cadre de nos recherches : l’espace public. S’il est aujourd’hui plus évident de démontrer l’emprise des comportements sexistes dans l’espace public, il est en revanche assez compliqué de chiffrer l’expérience des homophobies dans la ville, dans les rues, dans les transports etc…
Une enquête menée en 2015 par Arnaud Alessandrin sur la ville de Bordeaux montre pourtant les parallèles importants entre les craintes sexistes et les peurs homophobes dans la ville. Dans cette enquête en effet, 73% des femmes et 74% des homosexuel.le.s (tous sexes confondus) disent éviter des espaces publics de peur d’une insulte ou d’une agression sexiste et/ou homophobe.
Concernant les transports publics, la proportion d’utilisateurs et d’utilisatrice ayant subi des remarques à caractère raciste, homophobe ou sexiste tend à s’équivaloir (environ 30% pour chacune des discriminations précitées).
Tous concernés, tous responsables
En creux des chiffres sur le sexisme dans l’espace public, ceux concernant l’homophobie restent tout aussi alarmants.
Les témoignages de violence et de harcèlement n’en sont pas moins importants. Toutefois, on s’étonnera du peu d’intérêt que cette question suscite, alors même que les débats sur le mariage pour tous ont fortement libéré la parole homophobe, notamment dans les espaces publics.
S’approprier la rue, dans des manifestations plus ou moins visibles, allant d’une marche des fiertés à un baiser en public, n’est jamais chose aisée pour les gays ou les lesbiennes. De même, pour les personnes transidentitaires : selon une récente enquête plus de 25% des discriminations transphobes subies au cours de l’année écoulées se sont déroulées dans la rue !
Là encore, les politiques publiques restent étrangement muettes, alors même que les chiffres produits par les chercheurs vont inlassablement dans le même sens.
À deux jours d’une nouvelle journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie, nous en appelons à une prise de conscience qui n’évince aucun théâtre de la discrimination. Ces violences à l’encontre de certains individus discriminés pour des raisons arbitraires, sont individuellement inhumaines et collectivement intolérables. Il ne s’agit donc pas là d’une question marginale, mais l’affaire de toutes et de tous, venant une nouvelle fois accréditer l’idée que le privé est politique.