Les pressions se font de plus en plus fortes depuis quelques années pour que les homosexuels et bisexuels puissent donner leur sang comme tout le monde. De nombreuses pétitions circulent à travers le monde pour changer une législation qui date des premières années de l’épidémie du sida, quand le scandale du sang contaminé a mis l’accent sur la nécessité de dépister les stocks contre tous les virus comme le VIH et le l’hépatite C.
Depuis, de nombreux gays estiment qu’on les prive d’un droit élémentaire, celui de participer à un effort commun et que cette stigmatisation doit cesser. Lentement, les recommandations internationales évoluent et il semble probable que ces restrictions seront levées. Mais pourquoi tant de temps perdu?
Actuellement, tous les pays occidentaux voient l’épidémie de sida se stabiliser avec, cependant, une constante augmentation dans la population des HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes) et des transgenres. Parallèlement, ces pays sont sur le point de lever l’interdiction du don du sang chez les gays.
La FDA américaine a émis un avis qui pourrait libérer les gays de cette interdiction. Mais cela prend beaucoup de temps. Partout, les stocks de sang sont à la limite de la demande alors que les produits de transfusion sont plus que jamais nécessaires dans les hôpitaux.
L’amélioration thérapeutique du VIH touche indirectement tout le monde. Les personnes séropositives sont mieux suivies, l’attirail médical des antirétroviraux ne cesse de s’élargir, les traitements sont plus faciles à prendre avec moins d’effets secondaires.
De son côté, la PreP ne fait plus de doute en matière de prévention du VIH, comment l’attestent les nombreuses publications scientifiques sorties lors de la dernière conférence internationale de la CROI de Boston.
Avec le dépistage rapide, il est enfin possible d’imaginer un asséchèrent progressif du noyau des contaminations
En France, on compte 6.000 nouvelles contaminations par an et ce chiffre reste stable depuis plusieurs années maintenant. Cela encourage les personnes séronégatives qui ont envie de donner leur sang. Car aujourd’hui, si vous êtes homosexuel, ce geste généreux est à nouveau théoriquement envisageable pour le bien de tous.
Depuis la circulaire du 23 juin 1983, les homosexuels et bisexuels sont considérés comme «personnes à risque». L’évolution des recommandations américaines influence les pays européens où la question se pose. En Grande-Bretagne, on attend que la loi évolue. L’Irlande considère aussi qu’il est temps de tourner la page.
En France, la balle est toujours du côté du ministère de la Santé et Marisol Touraine semble s’endormir sur le dossier, comme sur beaucoup d’autres d’ailleurs. De son côté, la justice européenne critique vivement le statu quo français.
Pourtant, autoriser le don du sang pour les homosexuels coûterait peu au gouvernement, bien que l’épidémiologiste Dominique Costagliola pense que certaines dépenses supplémentaires sont à envisager pour un meilleur tri des dons. Mais le bénéfice tiré par une meilleure récolte de dons compenserait sûrement ces frais. Il s’agit d’une décision hautement symbolique qui concerne a priori tout le monde, comme le mariage gay.
Donner son sang est un droit universel. Les partisans du don du sang estiment tous que la situation de l’épidémie a évolué dans le bon sens. S’ils sont séronégatifs, ils doivent avoir les mêmes droits que les hétérosexuels.
Une régulation absurde, sinon comique
Le nouveau cadre proposé par la FDA exige que les homosexuels qui veulent donner leur sang doivent déclarer ne pas avoir eu de relations sexuelles depuis… un an. On ne demande sûrement pas cela aux personnes hétérosexuelles. Et puis d’ailleurs, qui n’a pas de relation sexuelle pendant une si longue période à l’époque de la hookup culture? Bien sûr, il existe de nombreux gays avec un nombre très réduit de partenaires (ou presque pas, ça m’est arrivé) mais n’est-ce pas un moyen de stigmatiser une partie de la population?
De toute manière, la loi change d’un pays à l’autre, ce qui prouve l’aspect aléatoire de cette mise à l’écart. En Espagne, on demande 6 mois d’abstinence, en Italie 4 mois et au Canada, c’est… 5 ans.
Les agences de récolte du sang comme le l’Etablissement français du don du Sang (ECF) argumentent que le principe de précaution est inaliénable car les risques de contamination sont trop importants. Mais il est désormais facile de déceler le VIH d’une manière qui ne laisse plus de doute.
Quel est le problème?
Outre le fait qu’il reste difficile de faire évoluer des institutions médicales sur n’importe quel sujet, surtout en période de crise économique où tout est en stand-by, le droit de donner son sang pour les gays concerne finalement peu de monde. Et il faut avoir le courage de le dire: c’est exactement comme le mariage gay. Universel, mais, au final, peu de gays se marient.
Il existe donc une petite minorité à l’intérieur de la minorité homosexuelle qui a envie de donner son sang. Personnellement, autour de moi, je ne connais personne qui en fait une histoire personnelle. Ce n’est donc sûrement pas cette minorité qui va faire en sorte que les stocks de sang puissent faire face à la demande. Les associations qui militent pour ce droit savent que les centres de don du sang ne vont pas être pris d’assaut par des dizaines de milliers d’homosexuels qui attendent impatiemment devant la porte.
Certains pensent même que cette envie de contribuer ne concerne que les homosexuels en bonne santé, une sorte de revendication de privilégiés.
Est-ce un besoin naïf de prouver encore une fois que l’on est tous pareils face au VIH? Où est-ce un autre front de revendication qui veut en finir avec l’idée que les gays sont des citoyens de seconde zone? Plus embêtant: est-ce que ces revendications sectorielles, qui nourrissent pourtant de nombreuses pétitions, ne sont pas une manière d’accorder des droits à une petite minorité d’homosexuels au détriment d’autres revendications concernant l’ensemble des homosexuels? Comme une meilleure éducation sexuelle à l’école, davantage de centres communautaires de santé ou un effort plus global en termes de lutte contre l’homophobie? Est-ce que ce combat minoritaire –mais universel, rappelons-le– ne se fait pas au détriment d’autres espoirs plus courageux? En quoi le don du sang pour les homosexuels fait réellement changer la société?
Le dernier point reste le plus problématique. Actuellement, dans les pays occidentaux, la propagation du VIH reste toujours alimentée par la communauté gay. C’est un fait. Dans la population homosexuelle, l’infection non diagnostiquée est de 100 à 150 fois plus importante que dans la population hétérosexuelle. Le noyau dur de la transmission du VIH se trouve donc chez les gays. Un tiers d’entre eux portent le virus sans le savoir.
La minorité des homosexuels qui veulent donner leur sang s’oppose donc à la minorité des gays qui prennent toujours les plus grands risques sexuels. Le besoin de donner son sang vient aussi de cette envie de se démarquer de ceux qui contribuent activement à l’épidémie. Les nombreux espoirs de voir cette épidémie réduite à zéro contamination d’ici 5 ans passent par un assèchement du réservoir VIH, notamment chez les gays.
Derrière le don du sang, une meilleure prévention?
Le débat sur la prévention, l’accès à la PreP, le dépistage rapide chez les populations à risque est donc le sujet que le don du sang occulte.
Si l’on veut que tout le monde puisse donner son sang, il faut aussi œuvrer pour que le dépistage soit banalisé chez les gays, que la PreP soit autorisée, que les campagnes de prévention ne soient pas oubliées, surtout chez les jeunes. L’effort doit être ciblé, mais constant.
Or, ce n’est pas le cas actuellement. Il est impossible de découpler le droit de donner son sang du problème posé par le statu quo en matière de prévention qui fait que, chaque année, plus de 50% des nouvelles contaminations proviennent d’une toute petite partie de la communauté gay, alors que celle-ci ne représente que 5% à 10% de la population.
Il y a encore des efforts à faire. Oui, les gays devraient pouvoir donner leur sang bientôt, mais il ne faut pas occulter le cadre dans lequel cette épidémie subsiste. Un aspect du sujet oublié par les pétitions qui rassemblent des milliers de personnes de bonne volonté.