Les homosexuels n’ont toujours pas le droit de donner leur sang. Ainsi en a décidé, mardi 31 mars, à la quasi-unanimité, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE). L’instance avait été saisie en décembre 2012 par Marisol Touraine. « Le CCNE considère que si on levait cette contre-indication aujourd’hui, sans mener les campagnes d’informations préalables et sans compléter les enquêtes déjà à notre disposition, il y aurait un possible risque pour le receveur », explique Jean-Claude Ameisen, président du comité. Pour Jean-Louis Vildé, membre du CCNE, « le risque de transmission du VIH est dû à une absence de connaissance. Dans l’attente, nous considérons qu’il ne faut rien changer ».
Les associations de défense des droits des homosexuels réclament de longue date la levée de l’interdit lié à l’orientation sexuelle. Elles considèrent cette exclusion comme une discrimination. La ministre de la santé a de son côté affiché des positions fluctuantes sur ce sujet. En arrivant au ministère en juin 2012, elle avait affirmé vouloir revenir sur le critère de l’inclination sexuelle, avant de faire marche arrière — comme ses prédécesseurs — quelques mois plus tard.
Un coup dur
« Je ne peux lever l’interdiction que si on me donne une garantie absolue que cela n’apportera pas davantage de risques pour ceux qui seront transfusés », avait-elle déclaré en décembre 2012. Sur ce point, le CCNE ne répond pas et préfère botter en touche. « Nous ne pouvons pas dire s’il y aura plus ou moins d’infections si la contre-indication devenait temporaire », déclare son président.
Etudier les pays qui autorisent le don du sang aux homosexuels est l’idée avancée par Jean-Claude Ameisen afin d’en tirer les conclusions statistiques. Toutefois, le comité se défend d’être « une agence sanitaire » et ne veut pas s’inscrire dans un débat sociétal. « Nous ne sommes là que pour donner quelques pistes de réflexion fondamentales », insiste M. Ameisen.
Il n’empêche, c’est un coup dur pour la ministre. D’autant que Marisol Touraine avait annoncé, mardi 17 mars, au premier jour de l’examen du texte en commission des affaires sociales, que le questionnaire préalable au don du sang serait modifié par décret. Celui-ci exclut aujourd’hui les personnes homosexuelles de sexe masculin, en raison de la forte prévalence du VIH parmi cette population.
« Il ne serait pas acceptable que l’orientation sexuelle soit perçue comme un critère d’exclusion », a fait valoir la ministre. Sur ce point de vue, le comité ne se prononce pas. « Il faut s’interroger sur la confiance que l’on peut accorder aux déclarations lors des questionnaires. Est-ce plus fiable de demander à une personne s’il appartient au groupe des homosexuels ou est-ce plus fiable de s’adresser à une personne sans groupe et lui demander s’il a eu récemment des comportements à risque ? Il n’y a pas de réponse à cette question », dit Jean-Claude Ameisen, qui insiste sur la notion de temps. « Un questionnaire c’est bien, mais rien ne remplace le dialogue avec un praticien qui permettrait d’éviter que des personnes à risque ne donnent leur sang », affirme-t-il.
Autre piste : permettre au donneur de revenir en cas de doute sur ses comportements à risque dans la période de douze jours, et ainsi refaire un examen biologique pour savoir si la personne est infectée. Mais pour le comité, qui devra supporter le coût d’un deuxième examen ? Le donneur ou la collectivité ?
Un don contaminé sur 2,5 millions
Pour les autorités sanitaires, l’exclusion des homosexuels du don du sang est une mesure de précaution. Le nombre de personnes contaminées par le VIH est 65 fois plus élevé parmi les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes que parmi les hétérosexuels. Le nombre de nouvelles infections enregistrées chaque année dans cette population est 200 fois plus élevé. Ce sont surtout ces nouvelles contaminations qui posent problème : les personnes qui viennent donner leur sang peuvent ignorer être porteuses du VIH. Et les contrôles ne sont pas infaillibles. Tout le sang donné est testé, mais le virus reste indétectable pendant douze jours, c’est ce que l’on appelle « la fenêtre silencieuse ».
Le risque actuel de contamination du sang destiné à la transfusion lié à ce facteur (du fait d’homosexuels donnant leur sang sans mentionner leur orientation sexuelle) est estimé à un sur 3 millions par l’Institut de veille sanitaire (InVS). Le CCNE estime également que seulement une dizaine de personnes par an, sur près de 2 millions, ont donné leur sang durant la fameuse période des douze jours. Sur ces dix personnes, seulement la moitié a eu des relations homosexuelles. Il n’y a qu’un don contaminé sur 2,5 millions actuellement.
Or, Jean-Claude Ameisen explique que le don du sang « n’est pas un droit » et que seule prime la « sécurité du receveur ». « La sécurité doit être maximum et le risque aussi minime que possible. Aucune augmentation de risque ne doit être acceptée », poursuit Jean-Louis Vildé.
Sur ce sujet, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) se prononcera le 29 avril sur la question préjudicielle posée par Geoffrey Léger. Le jeune homme a attaqué l’Etablissement français du sang, celui-ci ayant refusé son don de sang au motif qu’il est gay. Le tribunal administratif de Strasbourg a été saisi avant de surseoir à statuer. En juillet 2014, l’avocat général de la CJUE, Paolo Mengozzi, a estimé que le fait qu’un homme ait eu une relation sexuelle avec un autre homme ne suffit pas à justifier son exclusion permanente du don de sang.