Droits des LGBT en Azerbaïdjan : l’exil forcé d’un jeune azéri

Atilla se bat depuis 6 ans pour un changement dans son pays qu’il a dû fuir l’année dernière après avoir reçu et subi des menaces de mort et des agressions pour son engagement pour les droits de l’Homme et la cause LGBT.

En Septembre 2014, il s’est fiancé à son copain en privé avec quelques amis proches, et comme tout jeune homme connecté de sa génération, il a mis à jour son statut sur Facebook. Le lendemain, les médias azéri divulguaient des photos privés de lui avec ses détails personnels. Son copain et lui ont dû faire face à de grave menaces, actes et attaques à caractère homophobe, ce qui les a mené à fuir l’Azerbaïdjan et à demander l’asile en Allemagne où Atilla tente, tant bien que mal, de continuer son combat pour pouvoir un jour lever fièrement le drapeau arc-en-ciel à Bakou.

Comment as-tu été amené à t’engager si jeune dans le processus démocratique et la cause LGBT en Azerbaïdjan ?

Mon nom est Javid (Atilla) Nabiyev, j’ai 25 ans et je suis gay.
Cela fait plus de 6 ans que je travaille dans le domaine des droits de l’Homme. J’ai commencé en 2008 en rentrant à l’université. J’ai rejoint l’organisation “Common sense” et continué pendant 2 ans comme membre du bureau. En 2010, j’ai créé l’organisation “Association pour le futur” défendant des valeurs libérales dans ma ville, Sumquavit. Je suis l’un des fondateurs et actuel membre du réseau Jeunesse “Liberal” du Caucase du Sud et du JA Alumni Club d’Azerbaïdjan. J’ai également été membre d’AEGEE-Bakou. J’ai été l’un des premiers diplômés de l’Ecole de formateurs jeunesse et élève à l’école de journalisme de Bakou. Ma principale activité dans le domaine des droits de l’Homme a commencé avec l’Election Monitoring and Democracy Studies Center. Dans le cadre de mon travail, je coordonnais plus de 200 personnes dans 12 régions différentes. Après toutes ces expériences, j’ai réfléchi et je me suis dit qu’étant homosexuel, je pourrais utiliser toutes les compétences que j’ai acquises pour me battre en faveur des droits LGBT. Cela fait deux ans, déjà, que je suis engagé pour une égalité des droits en Azerbaïdjan. J’ai créé et je préside Nefes LGBT Azerbaijan Alliance. “Nefes” veut dire “le souffle” en azéri.

Comment pourrais-tu décrire la mainmise du pouvoir sur la société civile en Azerbaïdjan 

À cause du régime politique azéri, l’engagement dans la société civile reste faible. Les gens ne parlent pas, ne mentionnent pas, ni même ne pensent à un processus de changement. Ayant travaillé à l’observation du bon déroulement des élections pour des organismes internationaux, j’ai pu constater que la participation était en dessous de 40%, si on ne prend pas en compte les rapports pro-gouvernementaux, bien sûr.
Le niveau d’éducation est terrible, et si on veut contrôler une population, il suffit de lui enlever la culture et l’éducation. L’idée derrière ce manque d’enseignement est d’empêcher les azéris de s’engager dans la société civile, de se poser des questions et de demander plus de droits, en les laissant ignorants. Ainsi, ils ne croient pas qu’une révolution puisse apporter du changement. Le gouvernement azéri peut être appelé un gouvernement « policier », tant la présence des forces de l’ordre à travers le pays est forte. En plus, leur salaire est bien supérieur à la majorité des travailleurs.

Le régime tient également sa force du conflit Azerbaïdjan – Arménie. On nous dit : “Nous vivons dans un état de guerre, nous devons rester unis autour de notre président [Aliyev] contre notre ennemi.” Ilham Aliyev a profité du conflit du Haut-Karabagh pour changer la Constitution par référendum et en y faisant ajouter un nouvel article : “en temps de guerre, le président peut rester au pouvoir jusqu’à ce que celle-ci soit résolue”. Évidemment, c’est un moyen de garder le pouvoir plus longtemps.
Pour revenir à l’engagement dans la société civile, si l’on compare les générations, il existe une réelle coopération chez les plus jeunes. Les nouvelles générations sont plus enclines à montrer leurs opinions et volontés de changement. Si les choses continuent comme cela, la société civile en Azerbaïdjan sera de plus en plus forte et engagée.

Ces dernières années, l’Union européenne a signé plusieurs marchés avec l’Azerbaïdjan sur des pipelines allant ou passant par Bakou jusqu’en Europe centrale – servant ainsi de source alternative aux ressources naturelles de gaz et de pétrole russes. Penses-tu que la ruée vers le pétrole et le gaz amène l’Union européenne à fermer les yeux sur la situation actuelle des droits fondamentaux en Azerbaïdjan ?

Ton approche est assez juste. L’Azerbaïdjan est devenu un pays dont les grandes puissances comme la Russie, l’Iran et l’Europe peuvent tirer profit politiquement. De par sa petite taille, un pays comme l’Azerbaïdjan a d’autant moins de facilités à protéger son indépendance. Malheureusement, les marchés passés entre l’Azerbaïdjan et d’autres pays ne sont majoritairement que des politiques basées sur des aspects économiques. L’Azerbaïdjan a des ressources énergétiques et des infrastructures dont les pays européens tirent profit, et la politique azérie profite de cet avantage pour protéger l’actuel régime.
Grâce aux revenus du pétrole, le régime d’Aliyev a réussi à mener une diplomatie stable et prospère. La Russie et certains pays occidentaux ont essayé de déstabiliser le gouvernement, mais l’avantage des pays européens en Azerbaïdjan en serait réduit. Lors des élections de 2003, les azéris ont pu faire face à ce cas de figure. Alors qu’Heydar Aliyev était président et que les accords de partenariat avec l’Union européenne étaient en cours, un président d’un autre parti politique aurait changé toute la stratégie politique, et il aurait pu mettre à mal les relations économiques stables qui existaient depuis 8 ans entre l’Azerbaïdjan et l’Union européenne. Et même si dans les faits, le candidat de l’opposition gagnait, Ilham Aliyev a pris la présidence comme un héritage de son père avec l’aide des pays européens. Aussi, si le pouvoir avait changé de main, la perspective sur le conflit aurait pu être différente et aurait pu mener à une seconde guerre du Haut-Karabagh. Au vu de la situation, cela aurait pu entraîner une rupture des marchés avec le Kazakhstan et le Turkménistan, puisque l’Azerbaïdjan est un pays transit des ressources naturelles d’Asie Centrale vers l’Europe. Le non-changement du pouvoir politique était alors très important pour protéger les avantages des pays européens.

L’homophobie reste un gros problème à travers toute l’Europe. L’année dernière, le parlement français a adopté une loi autorisant le mariage pour tous et il y a eu de grosses manifestations contre, ainsi qu’une montée d’actes homophobes. Comment penses-tu que cela puisse être résolu ?

Je pense que toute situation peut être résolue en informant les gens. Nous pouvons arrêter les préjugés en donnant plus d’importance au genre dans le système éducatif. L’autre manière pourrait être de limiter le rôle de la religion au sein de la communauté. Mais je ne dis pas de fermer les églises et mosquées. Cela doit être se faire parallèlement. Si les élèves étaient amenés à discuter de l’homosexualité dans leurs écoles, ils analyseraient la situation différemment et y réfléchiraient. Je suis sûr que si on informait les gens, ils ne diraient pas que l’homosexualité est une maladie ou un péché, ils comprendraient que l’homosexualité est indépendante de la sélection humaine ou du processus de désir. Dieu aime l’Homme tel qu’il l’a créé.

Maintenant que tu as dû fuir l’Azerbaïdjan et que les actions de ton organisation NEFES ont été closes, comment continueras-tu à te battre pour les droits de l’Homme et la cause LGBT ?

Ce n’était pas ma volonté de quitter mon pays. Même si tout a vraiment commencé le 23 septembre 2014 [ndlr: Au lendemain, de ses fiançailles avec son copain, la presse azérie a divulgué ses informations personnelles, et tout une campagne homophobe s’est menée contre lui à travers le pays], je suis parti en décembre 2014. Bien sûr, ces choses m’ont poussé à partir, mais la raison principale était la sécurité de ma vie. Il y a assez d’informations sur ce qui se passe en Azerbaïdjan. Y rester et continuer mes actions m’aurait mené en prison. Ou sinon, j’aurais été obligé de me taire et de rentrer dans les rangs du régime politique. Malheureusement, même si je n’aime pas ça, j’ai dû fuir. Je veux rester en dehors de l’Azerbaïdjan mais continuer à me battre pour ce en quoi je crois.

Les premiers Jeux Européens arrivent bientôt [en juin 2015, NDLR] et le but de mon organisation NEFES est de réussir à mettre en place notre projet “Compete 4 Equality”. D’un autre côté, maintenant que je suis en Allemagne, je serai plus proche des institutions européennes et des ONG défendant les droits de l’Homme pour pouvoir sensibiliser les azéris à l’engagement que je mène. Je prévois de coopérer avec beaucoup d’ONG pour atteindre le plus de gens possible et pour leur faire comprendre l’enjeu actuel en Azerbaïdjan. Actuellement, il y a une grosse propagande menée contre mes actions. En plus, les médias nationaux m’empêchent de critiquer le gouvernement. Mais désormais, je ne vais pas nulle part sans but, le moment viendra où je pourrais brandir un drapeau LGBT en Azerbaïdjan et les personnes qui me jugent aujourd’hui auront leurs réponses.

En 2014, l’Azerbaïdjan présidait le Conseil de l’Europe, une organisation inter-gouvernementale fondée sur la Convention européenne des droits de l’Homme : penses-tu que cela a affecté la situation en Azerbaïdjan ?

En remettant les choses dans la perspective de ces dernières années, le fait que l’Azerbaïdjan ait rejoint le Conseil de l’Europe [en 2001, NDLR] ou qu’il l’ait présidé pendant six mois n’a rien changé dans la politique des droits de l’Homme du pays. Au contraire, cela a empiré. Huit membres de Nida Vatandaş Hareketi (un parti politique d’Azerbaïdjan) ont été emprisonnés juste avant les élections de 2013. Leyla Yunus et son mari Rasul Jafarov ont été incarcérés. Alors que le tribunal rendait son jugement, mes managers ont été condamnés à trois et cinq années de prison. Ilham Aliyev a déclaré devant l’assemblée que l’Azerbaïdjan n’avait aucun problème avec les droits de l’Homme. Pendant le Conseil de l’Europe, la présidence de l’Azerbaïdjan a suspendu pendant six mois toutes pressions politiques sur notre gouvernement. C’était comme si le régime politique d’Azerbaïdjan défiait toute l’Europe en leur disant “Nous n’en avons rien à faire de ce que vous dites, nous n’avons pas peur !”

Est-ce que tu penses que le Partenariat oriental et les accords de partenariat et de coopération avec l’Union européenne, ainsi que l’adhésion de l’Azerbaïdjan au Conseil de l’Europe influent positivement la situation de l’Azerbaïdjan ?

Malheureusement, je n’ai pas beaucoup d’espoir dans le futur proche. Si tu observes la situation actuelle, les avocats, les membres d’ONG et les journalistes indépendants défendant un État de droit sont emprisonnés ou fuient le pays à cause de pressions politiques. Le gouvernement d’Aliyev ignore ses obligations internationales et se garde la liberté de faire n’importe quoi. Je ne vois qu’une porte de sortie : que l’Union européenne demande à l’Azerbaïdjan de mettre en pratique des avancées dans les domaines des droits de l’Homme, de la liberté de la presse et des élections plus libres. Selon moi cela devrait être inévitable que l’Azerbaïdjan ait à payer des sanctions économiques.

Ton organisation NEFES s’est vue refuser sa reconnaissance par le gouvernement azéri. Pour autant que l’homosexualité soit dite “légale” en Azerbaïdjan, y aurait-il la possibilité de mener un recours contre leur décision de ne pas reconnaître l’organisation NEFES ?

Oui, l’homosexualité a été soustraite de l’équivalent du Code pénal azéri par Heydar Aliyev en 1998. Mais c’est l’Azerbaïdjan, aucune loi n’est applicable, alors c’est sans surprise que nous n’avons pas pu être enregistré. En 2014, l’Azerbaïdjan a pris la 48ème place du classement de ILGA Europe (International Lesbian Gay Association Europe) sur la situation des droits LGBT en Europe. L’Azerbaïdjan est juste devant la Russie, dernière de la liste et considérée comme l’endroit le plus dangereux en Europe pour les personnes LGBT. Et bien que l’Azerbaïdjan soit membre du Conseil de l’Europe et fasse partie du Partenariat oriental de l’UE, il faillit à remplir ses engagements sur les droits LGBT. Aucun acte légal ou même aucune loi relative au crime de haine n’ont été adoptés jusqu’à maintenant.

La population en Azerbaïdjan est de confession musulmane, mais on doit prendre en compte que selon la Constitution, l’État et la religion sont séparés, et tout le monde est égal devant la loi. Pourtant, l’année dernière, trois députés azéris ont déclaré dans les médias que jamais l’Azerbaïdjan ne reconnaîtrait les droits des LGBT. Tout cela montre que l’homophobie est flagrante au niveau gouvernemental. Néanmoins, il existe une organisation LGBT validée officiellement par le gouvernement, appelée “Genre et Développement”. Ils sont financés par le Ministère de la Santé de la République d’Azerbaïdjan. Ils ne répondent donc pas aux critères d’indépendance et ils ne peuvent pas s’exprimer librement sans des pressions externes.
Cela montre que ce n’est pas une question d’être LGBT ou non, mais que le gouvernement n’est pas préoccupé par le domaine des droits de l’Homme et bloque une évolution de n’importe quelle manière.

Les premiers Jeux européens auront lieu en juin à Bakou. Ce n’est pas la première fois que l’Azerbaïdjan accueille un évènement d’audience internationale (l’Eurovision en 2012), est-ce que tu penses que l’attention des médias internationaux sur l’Azerbaïdjan aide la sensibilisation de la communauté internationale à la situation des droits de l’Homme et au processus démocratique en Azerbaïdjan ?

Le gouvernement azéri dépense des sommes monstrueuses pour créer une image positive du pays à destination de la communauté internationale.Ces grands événements ne sont organisés que pour cela. De cette manière, le gouvernement tente de cacher la réalité de l’Azerbaïdjan en créant une image idéale d’un État développé autant socialement qu’économiquement. Par des campagnes comme notre projet “Compete 4 Equality”, nous pouvons attirer l’attention de la communauté internationale et ainsi, faire pression. Il n’y a pas de doute qu’il existe des groupes sensibles aux droits de l’Homme et avec le soutien de la communauté internationale, nous pouvons créer un cercle vertueux.

Marine Betrancourt, présidente d’AEGEE Lyon