Droits des personnes trans : des réformes alarmantes aux États-Unis, quelles protections en Europe ?

Dans une interview pour STOP homophobie, Étienne Deshoulières, avocat spécialisé en droits LGBT+, s’exprime sur les réformes anti-transgenres mises en place par Donald Trump depuis son retour à la présidence en janvier 2025. Son analyse met en lumière la gravité de ces mesures et les implications pour les droits des personnes transgenres aux États-Unis.

Ces réformes, qui vont au-delà de simples déclarations, incluent en effet des décrets exécutifs restreignant les droits des personnes transgenres, tels que la limitation de la reconnaissance du genre à celui assigné à la naissance, l’interdiction pour les femmes transgenres de participer aux sports féminins, et l’interdiction de traitements médicaux pour les jeunes de moins de 19 ans.

L’avocat souligne que des actions en justice ont déjà été menées contre ces mesures, mais que la composition conservatrice de la Cour suprême rend l’avenir incertain. Il exprime également des inquiétudes quant à la montée de l’extrême droite en France, qui pourrait s’inspirer des politiques américaines. Enfin, il mentionne les protections offertes par l’Union européenne et le Conseil de l’Europe, qui, bien que perfectibles, garantissent des droits aux personnes transgenres, notamment grâce à des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme et potentiellement à un changement de jurisprudence sur la reconnaissance du genre dans les registres officiels.

STOP homophobie : Quelles sont précisément les réformes entreprises par Trump concernant les droits des personnes transgenres aux États-Unis depuis son arrivée au pouvoir en 2025 ? S’agit-il uniquement de déclarations ou des changements législatifs sont-ils réellement intervenus ?

Étienne Deshoulières : Depuis son retour à la présidence en janvier 2025, Donald Trump a mis en œuvre une série de mesures qui restreignent significativement les droits des personnes transgenres aux États-Unis. Ces actions vont bien au-delà de simples déclarations et se traduisent par des changements concrets dans les politiques fédérales. Le rythme des attaques contre les droits de personnes transgenres est sans précédent. Le 20 janvier 2025, Trump a signé le décret exécutif intitulé « Défendre les femmes contre l’extrémisme idéologique de genre et rétablir la vérité biologique au sein du gouvernement fédéral ». Ce décret impose une reconnaissance du genre strictement limitée au sexe assigné à la naissance, éliminant ainsi la reconnaissance des identités transgenres et non binaires dans les documents officiels tels que les passeports et les documents fédéraux. Le 27 janvier 2025, le décret exécutif, « Prioriser l’excellence et la préparation militaires », interdit aux individus s’identifiant à un genre différent de leur sexe biologique de servir dans les forces armées. Cette mesure est justifiée par des préoccupations concernant la cohésion des unités et l’efficacité militaire. Le 28 janvier 2025, Trump a signé le décret exécutif, « Protéger les enfants des mutilations chimiques et chirurgicales », qui vise à interdire les traitements médicaux affirmant le genre pour les personnes de moins de 19 ans. Ce décret ordonne aux agences fédérales de cesser tout financement pour ces procédures, qualifiées de « mutilations » par l’administration. Le 5 février 2025, un décret intitulé « Garder les hommes hors des sports féminins » interdit aux femmes transgenres de participer aux compétitions sportives féminines. Les établissements scolaires qui ne se conforment pas à cette directive risquent de perdre leurs financements fédéraux. Enfin l’administration Trump a mis en place une politique visant à transférer les détenu·e·s transgenres vers des établissements correspondant à leur sexe assigné à la naissance, plutôt qu’à leur identité de genre. Cette mesure a été critiquée pour les risques accrus de violence et d’agressions sexuelles qu’elle fait peser sur les personnes transgenres incarcérées.

STOP homophobie : Les personnes transgenres ne pourraient-elles pas saisir la Cour suprême des États-Unis pour faire annuler ces nouvelles règles ?

Étienne Deshoulières : Elles l’ont déjà fait, et elles continueront à le faire ! Aux États-Unis, les associations de défense des droits LGBT ont systématiquement attaqué ces décisions en justice. Prenons l’exemple de Bostock v. Clayton County en 2020 : la Cour suprême a reconnu que la discrimination fondée sur l’identité de genre était interdite par le Civil Rights Act, contredisant ainsi la position de l’administration Trump. C’est une victoire majeure qui prouve que la Cour suprême peut être un rempart, même face à des attaques frontales contre les droits des minorités. Cependant, l’équilibre de la Cour a changé avec la nomination de juges ultraconservateurs par Trump, ce qui rend les prochaines batailles judiciaires plus incertaines. La Cour peut toujours être saisie, mais il y a un vrai risque de décisions régressives, surtout si une majorité conservatrice y voit une opportunité de revenir sur certaines avancées.

STOP homophobie : Est-ce que l’extrême-droite prévoit dans son programme électoral d’apporter des modifications similaires en France ?

Étienne Deshoulières : Ce n’est pas encore écrit noir sur blanc, mais on voit bien la tendance. L’extrême-droite française s’inspire de ce qui se fait aux États-Unis et dans d’autres pays où les droits LGBT sont attaqués. Marine Le Pen et Éric Zemmour ont déjà exprimé leur hostilité envers les droits des personnes transgenres, notamment en s’opposant à l’autodétermination de genre à l’état civil ou aux droits des personnes transgenre dans le sport et les espaces genrés. On peut donc craindre qu’une arrivée au pouvoir pourrait amener des reculs comparables à ceux qu’on a vus sous Trump. Une interdiction pour les mineurs trans d’accéder aux traitements hormonaux pourrait notamment être décidée, comme cela se fait déjà en Italie ou au Royaume-Uni.

STOP homophobie : Est-ce qu’il existe des garde-fous au niveau européen pour garantir les droits des personnes transgenres ?

Étienne Deshoulières : Oui, et heureusement ! L’Union européenne (27 Etats) et le Conseil de l’Europe (46 Etats) ont posé des principes clairs qui protègent les personnes transgenres, même si tout n’est pas encore parfait. Depuis les arrêts Goodwin c. Royaume-Uni (2002) et Garçon et Nicot c. France (2017), la Cour européenne des droits de l’homme affirme que le refus de reconnaître juridiquement l’identité de genre d’une personne trans viole la Convention européenne des droits de l’homme. Les États membres du Conseil de l’Europe sont donc obligés de prévoir une procédure de changement de genre à l’état civil et ne peuvent pas exiger de stérilisation pour la reconnaissance d’un changement de genre à l’état civil. L’affaire Deldit en cours devant la Cour de justice de l’Union européenne pourrait être un tournant majeur au niveau de l’Union européenne. L’avocat général a déjà donné un avis favorable dans cette affaire pour opérer un changement de genre dans des registres officiels sur le fondement du droit de rectification reconnu par Règlement général sur la protection des données. Si la CJUE reconnaît que les États membres doivent respecter le choix du genre tel que déclaré par la personne, cela créerait une nouvelle base juridique pour protéger les droits des personnes trans à travers l’Union européenne. Tant que la France est membre du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne, nous disposerons d’outils juridiques efficaces pour lutter contre les attaques visant les droits des personnes transgenres.