Daniel Borrillo, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université Paris Nanterre et chercheur associé au sein du think tank Generation Libre, nous livre son point de vue sur le durcissement de la législation en matière de pornographie.
Monsieur Borrillo, le rapport « Porno : l’enfer du décor » publié par la Délégation sénatoriale aux droits des femmes a alerté sur les violences systémiques perpétrées à l’encontre des femmes dans l’industrie de la pornographie. Pourriez-vous nous donner votre avis sur la proposition de durcissement de la législation en matière de pornographie ?
Si l’interdiction de la pornographie aux mineurs est incontestable, le dispositif proposé par le rapport pour les adultes mérite la plus grande attention. Il est essentiel de ne pas compromettre des libertés fondamentales telles que la liberté d’expression, la protection de la vie privée, la liberté sexuelle et la liberté d’entreprise. Si le problème ce sont les conditions dans lesquelles s’est produit la pornographie, il faut s’attaquer à l’environnement et non pas à la pornographie en tant que telle.
Un projet de loi visant à empêcher l’accès des mineurs aux sites pornographiques et à sanctionner leur consultation sera prochainement présenté par le gouvernement. Pensez-vous que cette mesure est justifiée ou qu’elle crée une confusion entre la consommation de pornographie par des adultes consentants et les comportements criminels liés à cette industrie ?
Il est indéniable que l’interdiction effective de la pornographie aux mineurs est nécessaire. Toutefois, il est problématique d’amalgamer la consommation d’images pornographiques par des adultes consentants avec des infractions pénales et des relations consenties, regroupées sous le terme de « violence pornographique ». Ce type d’amalgame risque de compromettre des libertés fondamentales et de générer une panique morale.
Le rapport « Porno : l’enfer du décor » dénonce les méthodes de travail de l’industrie pornographique et met en avant des termes tels que « machine à broyer les femmes » ou « esclavage et traite d’êtres humains ». N’est-ce pas un argument solide en faveur d’un dispositif de censure plus strict ?
Il est important de distinguer les abus et la violence dans l’industrie pornographique des insuffisances juridiques qui lui sont liées, telles que les pratiques contractuelles informelles et les inégalités salariales. Plutôt que de se concentrer sur les abus, il convient de remédier à ces lacunes juridiques tout en respectant les droits des actrices et acteurs pornographiques.
Cependant, l’amélioration des conditions de travail et la lutte contre les abus ne nécessitent pas nécessairement un durcissement généralisé de la législation en matière de pornographie.
La question du droit à la vie privée est également soulevée dans ce débat. Selon vous, la législation devrait-elle s’immiscer dans la sphère privée en limitant la possession et la consommation de pornographie par les adultes ?
La question du droit à la vie privée est cruciale. La Cour européenne des droits de l’homme a affirmé que la possession et la consommation de pornographie par les adultes relevaient de la sphère privée et que toute ingérence de l’État devait être considérée comme une violation des droits fondamentaux. Il est donc primordial de trouver un équilibre entre la protection des droits individuels et la nécessité de protéger les mineurs. Autrement, on risque de se faire traiter tous comme des enfants !
Certains défenseurs du durcissement de la législation en matière de pornographie soutiennent que cela permettrait de prévenir les violences sexuelles et d’éviter la diffusion de contenus potentiellement dangereux. Qu’en pensez-vous ?
L’argument est fallacieux, avant même l’existence de la pornographie il y avait des violences envers les femmes…. Il est essentiel de dissocier la morale du droit dans l’analyse juridique de la pornographie. La liberté d’expression, telle que la conçoit le juge européen, garantit le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture. Les solutions basées sur la censure et la restriction des contenus risquent de nuire à ces principes fondamentaux. Plutôt que de réprimer l’expression, il serait plus efficace d’investir dans l’éducation sexuelle, le consentement et la prévention des violences sexuelles.
Merci Monsieur Borrillo pour votre temps et vous réponse à nos questions.