Une enquête sur l’égalité homme/femme et les stéréotypes sexués transmis par la famille réalisée par Womenology révèle que les parents sont encore très réticents à l’idée de voir leurs petits garçons pratiquer des activités ou utiliser des objets à connotation très féminine, notamment par peur d’influencer leur orientation sexuelle. A tort ou à raison ? Nous avons demandé à Stéphane Clerget, pédopsychiatre.
Alors que la société française se bat actuellement pour que l’égalité homme/femme soit une réalité, une étude réalisée par Womenology pour aufeminin.com*, révèle que les plus grands freins à cette parité pourraient bien venir du sein même des foyers qui aspirent pourtant à cet idéal. En bref, les stéréotypes sexués qu’elles combattent, les mères sont les premières à les transmettre inconsciemment à leurs enfants. Une différence entre paroles et actes qui traduit des malaises encore très présents dans les esprits et qui se trouvent justement exacerbés par cette quête de l’égalité. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce sont les garçons qui en font le plus les frais.
Cette enquête met, en effet, en lumière un net contraste entre l’éducation des petites filles aujourd’hui, et celle des garçons. Si ces demoiselles tendent à s’approprier sans mal des activités et des traits de caractère qui étaient plus volontiers attribués aux garçons, que ce soit via les jeux, les loisirs sportifs ou l’école, l’inverse se révèle beaucoup moins évident. Ainsi, alors que 84% des mamans ont déjà acheté un jeu de construction à leur fille, seules 40% des mères ayant un garçon ont déjà acheté une poupée à ce dernier. De même, la couleur rose, symbole de la féminité, provoque une réticence chez les parents assez révélatrice. Alors que les filles peuvent porter n’importe quelle couleur, vêtir son fils de rose évoquerait pour certains parents l’homosexualité. Les femmes interrogées sont effectivement 22% à être « tout à fait d’accord » et « plutôt d’accord » avec les parents ayant « peur d’influencer la sexualité de leur enfant » en l’habillant avec des vêtements de cette teinte.
L’éternelle virilité
Pourquoi un tel déséquilibre s’il s’agit d’avancer vers l’égalité ? Comment expliquer ces blocages vis-à-vis d’une évolution des garçons ?
« Nous en revenons toujours au problème de la supériorité d’un sexe sur l’autre, analyse Stéphane Clerget, pédopsychiatre et auteur de Nos enfants aussi ont un sexe (éd. Robert Laffont). Aujourd’hui, si une fille va vers des activités masculines, elle va vers le meilleur, alors qu’un garçon tendra à rejoindre le sexe dit faible. » Mais l’homosexualité dans tout ça ? « L’homosexualité masculine, dans nos sociétés occidentales, a toujours été moins bien perçue que l’homosexualité féminine. Pourquoi ? Parce qu’une fille lesbienne peut quand même devenir mère, porter un enfant. Par ailleurs, cette homosexualité masculine est souvent associée à la féminisation et vice versa. » C’est donc la virilité telle qu’elle est définie actuellement, et éventuellement sa perte, ou du moins sa transformation, qui cristalliserait les principales craintes des parents. Si on ne virilise pas les filles en leur permettant de faire des « trucs de garçons », on touche paradoxalement à la virilité de ces derniers s’ils entrent dans un univers féminin.
Ces freins, très ancrés, sont-ils immuables ?
L’égalité est-elle finalement, comme le pensent 47% des répondantes, une simple utopie ? « Ces aprioris sont effectivement très inscrits dans l’inconscient des gens mais ils vont évoluer. Il y a déjà des avancées, nuance Stéphane Clerget. Par exemple, le fait que les petits garçons s’occupent de la cuisine ou du ménage, ça ne bloque plus, contrairement à la danse (classique). Je suis optimiste, mais cela va prendre encore une ou deux générations. » Le processus est lancé, les progrès sont d’ores et déjà visibles. Avançons lentement, mais sûrement, donc sur les chemins de l’égalité. Chemins visiblement semés d’embûches qui passent, pour le moment, par une virilité désacralisée. Cette égalité ne peut-elle être autrement atteinte qu’aux frais de ce symbole ? « A agir ainsi, on limite les compétences des garçons, prévient-il. Plutôt que de voir la chose comme l’acquisition de pouvoirs nouveaux, comme on le fait avec les filles, on voit ces activités « féminines » comme dévirilisantes. Ce qu’il faut, c’est redéfinir cette virilité. Ce n’est pas impossible. Après tout, montrer ses émotions était considéré comme viril autrefois. »
Le modèle à suivre
Comme le note le pédopsychiatre, il ne s’agit pas d’acheter une poupée à un garçon simplement pour acheter une poupée. Cet achat doit se faire si l’enfant la demande. Par ailleurs, l’école représente une véritable carte à jouer, non seulement dans la cour d’école, où se matérialise dans la bouche et l’attitude des enfants l’homophobie sociale présente autour d’eux, mais aussi dans son personnel. « La parité parmi les enseignants est inexistante, constate Stéphane Clerget. Elle serait pourtant un excellent modèle à suivre pour les enfants. Si les garçons sont devenus moins bons à l’école, c’est aussi parce qu’ils l’associent à une compétence féminine, la majorité des enseignants étant des femmes. »
Autre levier : les médias, terrain miné pour l’égalité. Si, côté adulte, on souffre d’une sous-représentation des femmes, il en va autrement pour les émissions pour enfants. « Ces émissions oeuvrent pour l’égalité, explique-t-il, en mettant en scène des personnages principaux féminins de caractère, mais les personnages masculins sont souvent un peu neuneu ou moins combatifs. On voit ça aussi dans les pubs, où les pères sont presque des incapables. » Un virage un peu trop brusque qui inverse la tendance plutôt que de l’égaliser. Il est donc important de trouver un juste milieu. Le travail étant récent, il est normal que la trajectoire doive encore s’ajuster.
*Enquête quantitative réalisée auprès de 631 femmes en octobre 2013 (en ligne), et qualitative auprès de 7 mamans âgées de 31 à 47 ans (entretiens)
aufeminin.com