Evolving. Le mot restera peut-être dans l’histoire. Le président Obama a lentement «évolué» sur la question du mariage gay. Et cette politique des petits pas, qui fut d’abord moquée, est désormais saluée. Elle lui permettra, quels que soient les résultats électoraux des élections de mi-mandat du mardi 4 novembre, de rester dans l’histoire.
Le tournant a eu lieu le 9 mai 2012. Ce jour-là, dans l’émission Good Morning America du network ABC, le président déclare: «À un moment donné, et à titre personnel, j’ai fini par me dire qu’il était important d’avancer et d’affirmer que, pour moi, les couples de même sexe doivent pouvoir se marier.» Barack Obama reconnaît qu’il a longtemps «hésité parce qu’il a pensé que les unions civiles seraient suffisantes», mais après des échanges avec des amis gays, avec sa femme Michelle et ses filles, il a choisi de s’engager. Annonce symbolique certes, mais pari audacieux, aussi. Et même risqué: quelques mois plus tard, en novembre 2012, le candidat démocrate affronte une réélection tendue. Sera-t-il reconduit pour un second mandat?
Rarement dans l’histoire politique des États-Unis un président aura pris un risque aussi gros; et rarement une prise de position présidentielle se sera traduite par une évolution aussi significative, et aussi rapide, de l’opinion publique.
Le vote gay a contribué à la réélection d’Obama
En mai 2012, une majorité d’Américains hésite encore sur le mariage gay. L’homosexualité n’a été vraiment dépénalisée au Texas que récemment, avec la décision Lawrence v. Texas, qui a aboli les sodomy laws en 2003. Pour compliquer la donne, de nombreux États sont en train, en 2010-2012, de figer dans leur Constitution le mariage comme étant réservé à «un homme et une femme». A la Maison Blanche, les conseillers d’Obama s’inquiètent: et si le président braquait l’opinion et faisait pencher une frange d’indécis du côté du candidat républicain Mitt Romney, très anti-mariage? Obama a pesé le pour et le contre, puis il a tranché. Il dit «I do». Il bascule en faveur du mariage. Et l’Amérique avec lui.
Pari gagné. Il est réélu en novembre 2012 et, pour la première fois, les pro-mariages emportent les quatre référendums sur la question du same-sex marriage. On estime même que les trois quarts des 5% d’électeurs se déclarant «homosexuels» ont voté pour Obama. Avec le vote latino et celui des femmes, le vote gay a contribué de manière significative, comme l’affirmeront The Economist et le New York Times, à la victoire du président. «La réélection de Barack Obama a été le signal que l’hégémonie du mâle blanc hétérosexuel a pris fin en Amérique», a commenté pour sa part Paul West, journaliste au Los Angeles Times.
Pourquoi Obama a-t-il pris le risque considérable de défendre le mariage, sujet pourtant clivant dans l’opinion publique américaine? Il y a, bien sûr, des contingences électorales: la nécessité d’un thème rassembleur à gauche; un signe fort donné à la jeunesse; et sans doute, les nécessités du fundraising, ces collectes de fond pour financer la campagne électorale, lesquelles dépendant notamment des patrons de la Silicon Valley et d’Hollywood, majoritairement pro-mariages (ce qu’atteste encore le très médiatique coming out de Tim Cook, le patron d’Apple, cette semaine).
Mais la véritable raison est ailleurs: le président a voulu «être du bon côté de l’histoire», pour reprendre les mots inscrits sur les tee-shirts de la principale association pro-mariage, Human Rights Campaign. Obama se souvient que lorsque ses propres parents se sont mariés, les mariages mixtes étaient encore interdits dans certains États américains (la Cour Suprême a mis fin à ce racisme en 1967 dans la célèbre décision Loving v. Virginia). «Le droit de se marier avec qui l’on veut est un droit humain élémentaire», dénonçait à ce sujet la philosophe Hannah Arendt en 1959. Pour Obama, le «mariage» apparaît donc comme la suite de ce combat des droits civiques. C’est, répètent ses conseillers, «the next civil right».
Dans son discours inaugural de janvier 2013, le président réélu va plus loin. Il déclare fièrement que tous les citoyens sont égaux et que cela nous est rappelé par les activistes des droits de l’homme de «Seneca Falls, Selma et Stonewall». Par cette formule subtile, Obama relie symboliquement trois dates clés du mouvement des femmes (et leur première convention en 1848 à Seneca Falls, une ville de l’État de New York), du mouvement Noir (où en Alabama, à Selma, en 1965, la police a brutalement réprimé une manifestation des droits civiques) et bien sûr la date de naissance du mouvement gay moderne, dans un petit café de Christopher Street à New York, le Stonewall Inn, en 1969. Pour Obama, les droits des gays et des lesbiennes font partie des droits de l’homme.
Une trentaine d’États autorisent déjà le mariage
Une majorité d’Américains et de membres de la Cour Suprême pensent aujourd’hui comme lui. Les sondages confirment que l’opinion publique a basculé. Et la justice aussi.
Certes, la question divise encore. Certains sondeurs et analystes pensent que la question du mariage peut encore jouer un rôle dans quelques batailles électorales ce mardi, comme en Caroline du Nord, en Alaska ou en Louisiane. Mais désormais les jeux semblent faits. Le Parti républicain veut changer de «conversation» et plus personne, même dans le camp pro-mariage, ne parle plus de same-sex marriage, et moins encore de gay marriage, mais de marriage equality. En français, on dirait «mariage pour tous».
Même évolution au niveau de la Cour Suprême. Tout récemment, le 6 octobre dernier, la plus haute juridiction américaine a refusé de juger sur le fond plusieurs appels sur le mariage. Une non-décision très technique dont la portée n’en est pas moins historique: elle restera sans doute comme l’une des dates clés de la bataille pour le mariage gay. Les militants pro-mariage considèrent que la bataille a été gagnée ce jour-là; et les anti-mariages restent sonnés par les conséquences irréversibles de ce séisme juridique. De fait, la Cour suprême a confirmé les décisions autorisant le mariage de trois «Circuit courts» (les cours d’appels des 4e, 7e et 10e circuits): automatiquement, elle validait ainsi, quoique indirectement, le mariage dans les États de l’Oklahoma, l’Utah, la Virginie, l’Indiana et le Wisconsin.
Désormais, une trentaine d’États, dont certains ultra-conservateurs comme l’Utah, autorisent le mariage aux États-Unis. Par le jeu des appels, quatre ou cinq autres devraient l’autoriser sous peu dont, peut-être, la Caroline du Sud, le Montana, le Kansas et le Missouri. Cela ferait une large majorité, et une plus large majorité encore si on tient compte de la population. La Cour suprême peut-elle faire autre chose, dès lors, que d’unifier le droit et légaliser le mariage partout? Une question de quelques mois, selon la plupart des analystes. Les pro-mariage attendent la décision avec optimisme. Les anti-mariage gardent espoir, même si le pessimisme prévaut désormais.
Pour comprendre ce qui est en train de se passer au niveau de la Cour suprême, il suffit de suivre les «évolutions» de deux de ses membres les plus emblématiques. D’abord, le juge Anthony Kennedy, considéré comme conservateur, et qui devrait être le swing vote, celui qui fera pencher la balance d’un côté ou de l’autre sur le mariage. Or, de manière constante, Kennedy s’est montré «libéral» sur les droits des homosexuels, notamment en 1996 pour lutter contre les discriminations dans l’État du Colorado, en 2000 pour interdire aux associations de boy-scouts de bannir les homosexuels, en 2003 dans la décision abolissant les lois «anti-sodomie» et, en 2013, dans une décision déjà pro-mariage, qui a réautorisé le mariage en Californie.
Autre juge clé: Ruth Ginsburg, considérée comme libérale et féministe. A rebours de Kennedy, cette adepte de la politique des «petits pas» considère que la Cour suprême s’est trompé sur l’avortement (qu’elle approuve toutefois), parce qu’elle l’a autorisé trop rapidement. Avec la décision historique Roe v. Wade, dès 1973, la Cour a engendré une opposition anti-avortement de plusieurs décennies qui aurait finalement été contre-productive pour les femmes.
Pour éviter de tels effets pervers, la juge Ginsburg entend donner la priorité au consensus sur l’affrontement: la Cour doit se donner du temps pour légaliser le mariage, comme elle aurait dû le faire pour l’avortement. Mieux vaut patienter avant de se prononcer, et attendre que l’opinion publique ait «évolué» et que le débat se soit stabilisé. Pour Ginsburg, la Cour ne doit juger la question du marriage equality sur le fond que lorsqu’une majorité d’États l’aura autorisé. Nous y sommes.
Une questions de mois
Avec une trentaine d’États pratiquant désormais l’union de personnes de même sexe, le «mariage» est en train de se généraliser sur le sol américain. Si, à ce stade, il existe encore, comme le rappelle la presse, «fifty states of gay marriage» (cinquante nuances sur le mariage gay, comme autant d’États), la situation devrait s’unifier dans les prochains mois.
Sous peu, une cour d’appel considérée comme conservatrice (le 5e circuit) devrait confirmer l’interdiction du mariage au Texas et en Louisiane. Avec des jurisprudences différentes au niveau des cours fédérales d’appel, la Cour suprême sera nécessairement appelée à trancher. Elle pourrait alors accepter de discuter le sujet sur le fond et le mettre à son agenda juridique en janvier prochain. Si tel est le cas, une décision historique serait attendue pour juin 2015.
Plus personne ne pense à ce stade, même parmi les opposants très radicaux au mariage, qu’elle pourrait ne pas unifier le droit en généralisant le mariage. Ce n’est qu’une question de temps. Les États-Unis suivraient alors, quoique avec retard, les Pays-Bas, l’Afrique du Sud, l’Argentine, l’Uruguay, l’Espagne, le Portugal, la France et une vingtaine d’autres pays ayant légalisé le mariage. Pour Obama, ce serait une victoire essentielle. Et une belle revanche.