Théologienne, sœur Véronique Margron est spécialiste des questions de morale sexuelle. Enseignante, elle fait aussi de l’accompagnement individuel. Sur Croire, elle présente la position de l’Eglise sur l’homosexualité.
En fait, la Bible parle peu de l’homosexualité. Le passage, bien connu, sur Sodome et Gomorrhe semble porter condamnation de la violence sexuelle, du viol et de la trahison de l’hospitalité plus que de l’homosexualité elle-même. Le Lévitique est plus explicite. Saint Paul également. Et ils sont très durs. La plupart des moralistes s’accordent néanmoins sur l’idée que c’est trop peu pour pouvoir en tirer une théorie. Cela nous oblige à déplacer la question qui dès lors, devient la suivante: comment la Bible parle-t-elle d’une manière générale, de la sexualité humaine, des relations érotiques et amoureuses, et en quoi cela interpelle-t-il l’homosexualité ?
Précisément, comment en parle-t-elle ?
Le message biblique repose sur la différenciation sexuelle et la place de la parole. Dieu créa l’homme et la femme. Ce n’ est pas un hasard. Cette différenciation reconnue par la parole a quelque chose à voir avec la Révélation chrétienne. C’est dans la relation à l’autre sexe, toujours un peu mystérieux et inaccessible, que nous pressentons la différence de Dieu et sa proximité. C’est grâce à la différence des sexes que le don de la vie est rendu possible et à travers lui la transmission du nom de Dieu au fil des générations. Il y a là une réalité incontournable. Or, c’est une symbolique, le lien entre la parole, les différences des sexes et des générations, que les personnes homosexuelles ne peuvent, de fait, assumer. Dire cela n’est pas porter un jugement sur les personnes.
Que dit l’Eglise catholique aujourd’hui ?
L’Eglise ne condamne pas l’homosexualité en tant que telle. Elle connaît les découvertes opérées dans le domaine des sciences humaines. Elle sait que l’homosexualité n’est pas un choix volontaire de la personne, mais un état de fait, une donnée de la réalité psychosexuelle qui trouve sa source, de façon complexe, sans cause unique, dans la petite enfance. Le catéchisme de l’Église catholique distingue donc les « tendances » homosexuelles, qui sont involontaires et ne justifient ni mépris ni condamnation des personnes, des « actes » homosexuels jugés, eux, « désordonnés » car contraires à cette loi de différenciation.
N’est-ce pas irréaliste et même un peu « sadique » de demander à des personnes dont ce n’est pas le choix une continence absolue en matière sexuelle ?
Je ne vois pas comment le Magistère pourrait, aujourd’hui, dire autre chose puisqu’il ne reconnaît la légitimité des rapports sexuels que dans le cadre d’un mariage hétérosexuel indissoluble, ouvert sur la fécondité du couple par la procréation. Autant de conditions qui ne remplissent, évidemment pas, les personnes homosexuelles.
L’essentiel pour chacun, est d’essayer de comprendre en quoi ce que dit le Magistère, et au-delà la vie chrétienne, peut l’aider à vivre là où il en est pour être plus heureux. Car l’objectif final n’est ni de punir ni de contraindre, mais bien de permettre à chacun de guérir de la mésestime de soi, et d’entrer alors dans ce travail d’altérité et de bonne proximité, auquel nous sommes tous conviés.
Or, bien souvent, l’erreur est de croire qu’il suffirait à la personne homosexuelle d’une société tolérante et d’une vie de couple. L’expérience montre que les choses sont plus complexes. Par ailleurs, depuis l’exhortation apostolique Familiaris Consortio de Jean-Paul II, le Magistère reconnaît un principe de gradualité, de progressivité éthique en matière de sexualité. Ne tombons pas dans le piège du permis et du défendu. Grandir en humanité, pouvoir aimer dans une affectivité homosexuelle reste une démarche de liberté mais ne peut s’opérer sans respecter certains interdits fondateurs. Comme pour chacun d’entre nous.
C’est ce qui justifie l’hostilité de l’Eglise catholique, hier au Pacs, et aujourd’hui au mariage ou à l’adoption pour des couples homosexuels ?
Ce sont là des réalités différentes à ne pas confondre. On ne peut pas à la fois reprocher aux homosexuels une difficulté à se fixer sur une relation stable et instituée et leur contester le droit de bénéficier, précisément, d’une forme d’institution. Le Pacs est une aberration juridique. Mais il a le mérite de reconnaître, socialement, une forme de conjugalité homosexuelle distincte du mariage. Si l’Eglise dit non à l’un et à l’autre pour les homosexuels, c’est pour les raisons anthropologiques et symboliques évoquées plus haut.
Il serait dangereux de laisser croire qu’on peut se dispenser du principe fondateur de la distinction des sexes et des générations. Une relation homosexuelle, marquée par l’amour, si légitime et respectable soit-elle au niveau du vécu des personnes, ne peut pas avoir le même statut social qu’une relation hétérosexuelle. Prétendre le contraire, c’est laisser croire que nous aurions tout pouvoir sur le vivre ensemble, comme si aucune loi fondatrice ne nous précédait.
Sans doutes y a-t-il plus élevé que de considérer un être humain à partir de son sexe. Amour absolu, la lumière spirituelle est bien plus haute que la lumière mentale, celle qui juge et catégorise, rejette et accepte en fonction de ses seules considérations… Le Christ n’a jamais dit qu’il était chrétien ni religieux ni annonciateur d’une religion. Aussi, l’enseignement d’amour du Christ est plus fort que celui de la religion, celle-ci plus forte que l’enseignement des religieux qui se référent constamment à des phrases écrites il y a des milliers d’années, aujourd’hui obsolètes.
En savoir plus : Véronique Margron fut doyenne de la Faculté de théologie à l’Université Catholique de l’Ouest (UCO) entre 2005et 2010. Elle est aujourd’hui professeur de théologie morale dans ce même établissement.Elle travaille plus particulièrement les questions liées à la vie affective et les grandes interrogations de nos sociétés : la bioéthique, la souffrance, la solitude.