En Egypte, Mona Iraqi, journaliste-présentatrice, a orchestré une rafle de gays pour son émission de télévision. Plus que fière de son opération qui s’est conclue par l’arrestation de plus de trente jeunes Égyptiens homosexuels, elle a par la suite démenti toute implication dans la rafle, mais la justice a annoncé ce 17 décembre qu’ils seraient jugés dans quatre jours.
>> C’est donc un nouveau scandale, un de plus, qui secoue non seulement le monde journalistique mais aussi et surtout celui des défenseurs des droits de l’homme, et des homosexuels en particulier.
Le teaser de l’émission « Ce qu’on nous cache » annonçait des « révélations sur le plus grand marécage de déviance collective en plein Caire », avec « des images du hammam où l’on pratique la déviance sexuelle ». Et d’ajouter que ce que les téléspectateurs allaient découvrir était « une première dans l’histoire des médias en Egypte et dans le monde arabe ». Une recette pour booster l’audimat de la chaine privée pro-gouvernementale Al Kahera Wal Nas le 8 décembre dernier.
Mona Iraqi est donc allée au hammam avec son équipe filmer et prendre en photo avec son téléphone l’arrestation d’une trentaine d’hommes, les clients, mais également le propriétaire et ses employés. Une arrestation qu’elle a dit avoir initiée avant de se rétracter face au tollé provoqué : https://www.stophomophobie.com//rafles-de-masse-en-egypte-trente-trois-personnes-interpellees-pour-homosexualite/
Sur les images publiées sur sa page Facebook peu de temps après figurent des hommes nus ou vêtus de caleçon, la tête baissée pour ne pas être reconnus, entourés des forces de police. Autour d’eux, la lumière des projecteurs de l’émission de Mona Iraqi qui dit vouloir montrer au public « les causes de la propagation du virus du sida ». Le programme devait être diffusé le 1er décembre, journée mondiale contre le sida. Les mandats d’arrestation étant arrivés trop tard, le reportage a dû être repoussé au 8 décembre.
Durant 26 minutes, sur une musique digne d’un film de science-fiction – ou d’horreur -, la journaliste explique qu’elle a investigué, et trouvé « un lieu où des gays ont des relations sexuelles ». Le téléspectateur est alors entraîné dans une atmosphère d’angoisse. Et l’audimat explose.
Un acteur a été envoyé dans le hammam, réservé aux hommes, pour décrire la situation. « Des scènes inimaginables, au-delà de toute compréhension humaine », témoigne-t-il. Mais sans images à l’appui.
Mobilisation générale
La page Facebook de Mona Iraqi déborde de commentaires en toutes langues suite à la rafle d’homosexuels.
Depuis ce « scoop » des plus scandaleux, la société civile du monde arabe se mobilise et condamne l’action crapuleuse de Mona Iraqi. Un appel est aussitôt lancé pour abreuver la page Facebook de la journaliste de critiques et de condamnations. C’est un déchaînement de violences verbales. Cause ou conséquence, la journaliste, qui s’était félicitée de la fermeture de ces « nids de débauche », rétropédale le 11 décembre en affirmant n’avoir jamais donné l’adresse du bain maure à la police. Mona Iraqi enlève de sa page et de son compte Twitter ce dont elle s’enorgueillissait quelques heures auparavant ; à savoir ces photos non floutées d’hommes humiliés durant leur arrestation. Mais certaines personnes ont gardé des traces de cette triste histoire, à l’instar d’un défenseur des droits LGBT qui a publié sur son blog les captures d’écran : https://www.stophomophobie.com//au-dela-de-limmonde-mona-iraqi-la-journaliste-egyptienne-qui-se-felicite-de-traquer-les-homosexuels/
Aussi, lundi 15 décembre, de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme ont publié un communiqué pour dénoncer et condamner cette arrestation massive d’homosexuels au Caire : https://www.stophomophobie.com//des-organisations-influentes-dans-le-monde-arabe-denoncent-la-persecution-des-homosexuels-et-la-complicite-des-medias-en-egypte/
« Mona Iraqi a déshonoré de part ses agissements le métier de journaliste. Nous affirmons que c’est cette personne qui a violé la loi et non les hommes qui ont été arrêtés, peut-on lire. Nous exigeons que la présentatrice soit tenue responsable devant la loi pour avoir usé abusivement de sa profession afin de violer la vie privée d’autrui et les diffamer, ceci pour poursuivre des avantages professionnels sans tenir compte des conséquences. »
La répression des homosexuels ne faiblit pas
Le régime de Sissi semble ainsi agir de la même manière que celui de Moubarak, sous lequel s’était produite l’affaire du Queens Boat en 2001 (une boîte de nuit dans laquelle une cinquantaine d’homosexuels avaient été arrêtés), à savoir donner des gages aux islamistes. Les exemples foisonnent. Début novembre, huit hommes poursuivis pour « incitation à la débauche et outrage à la morale publique » ont été condamnés à trois ans de prison : ils sont accusés d’être apparus dans une vidéo montrant un mariage gay.
En Egypte, la communauté homosexuelle demeure victime d’une féroce répression. Si l’homosexualité n’est pas formellement interdite par la loi, la « débauche » l’est. Et c’est ce terme qui est utilisé par la justice pour condamner les homosexuels. Depuis un an et demi, plus de 150 personnes ont été interpellées sur la base de fausses allégations. Le discours officiel qui tend à diffuser des stéréotypes assimilant l’homosexualité au sida est loin d’améliorer la situation de cette communauté au sein de la société égyptienne. Les procès intentés aux homosexuels dans le pays n’ont pourtant de cesse d’être dénoncés par les ONG.
En septembre, Human Rights Watch soulignait que « les autorités égyptiennes ont à plusieurs reprises arrêté, torturé et détenu des hommes soupçonnés de conduite homosexuelle ». HRW condamne par exemple le fait que les personnes accusées d’homosexualité subissent un examen anal.
En 2013, un sondage du Centre de recherches américain Pew montrait que seulement 3% des Egyptiens pensaient que « la société devait accepter l’homosexualité ». Et l’émission de Mona Iraqi ne risque pas de faire changer la tendance. Les jeunes arrêtés lors de la préparation de son émission doivent être jugés le 21 décembre prochain.
Par Anne Bernas