A première vue, comme le dit Latifa, une lesbienne rencontrée à Oran, « la vie des homosexuels est beaucoup plus simple et joyeuse en Algérie. » En effet, dans cette société où chacun vit cloisonné entre personnes du même sexe depuis le plus jeune âge, les possibilités de rencontres et de plaisirs homosexuels sont beaucoup plus nombreux. A 15 ans ou 25 ans, un garçon peut faire venir son amoureux à la maison, s’enfermer avec lui dans sa chambre, et même lui proposer de passer la nuit, sans que ses parents n’y voient malice. Pareil pour les filles. A 30 ans, 40 ans, deux hommes ou deux femmes peuvent partir en week-end, louer une chambre double à l’hôtel, personne ne dira rien.
Selon Zoheir Djazeiri (Zoheir L’Algérien, c’est son pseudonyme), militant à l’association Abu Nawas (son action là encore est strictement clandestine) : « Tout cela est vrai, admet-il, mais attention, le pendant négatif est très lourd ! »
« Nous vivons dans une société machiste. Etre homosexuel, pour un mec, c’est se dégrader au niveau inférieur de la femme »
Sans parler de la loi, qui réprime très durement les pratiques considérées à la fois « contre nature » et interdites par la religion d’Etat. L’article 333 du code pénal sanctionne l’« outrage public à la pudeur ». Et l’article 338 mentionne spécifiquement l’homosexualité : « Tout coupable d’un acte d’homosexualité est puni d’un emprisonnement de deux mois à deux ans et d’une amende de 500 à 2.000 DA. » Il est régulièrement appliqué, sans qu’aucun chiffre ne soit disponible.
« Se faire arrêter pour homosexualité signifie donc la mort sociale, poursuit Zoheir. Tu es obligé de tout quitter : ta ville, ta famille, ton travail, tout ! » Détail important : En Algérie, aucun avocat n’est prêt à défendre publiquement les homosexuels. « Sa carrière serait ruinée. »
Malgré cela, non seulement il est possible d’avoir une vie homosexuelle, avec ses lieux de rendez-vous, ses bars et ses cabarets à Alger, Oran et Bejaia, mais beaucoup d’hétérosexuels algériens ont des pratiques homosexuelles : à l’école, lors du service militaire, à la cité U, etc. « La femme étant un produit rare, on se rabat sur les hommes. », rigole Mourad, 25 ans, rencontré à Alger, qui ne sait pas « si [il] préfère les hommes ou les femmes ». Un universitaire français travaillant sur l’homosexualité masculine à Alger raconte : « Les copains homos que j’ai rencontrés il y a huit ans sont tous en train de se marier. Avec le mariage, ils cessent plus ou moins leur vie homosexuelle. »
Tout engagement social ou politique représente un immense danger. L’association Abu Nawas, qui revendique via le Net 1.500 adhérents, est considérée par l’Etat comme une organisation faisant l’apologie d’un crime. « Nous sommes un noyau d’une vingtaine de militants, tous passibles de 10 ans de prison », explique Zoheir L’Algérien. Lors des mouvements contre un 4e mandat du président Abdelaziz Bouteflika (finalement réélu sur un fauteuil roulant le 17 avril 2014), Zoheir a dû s’enfuir pendant deux mois à l’étranger. Une chaine de télévision avait diffusé un reportage intitulé « Le complot », montrant sa photo entourée d’un cercle. A-t-il eu peur de se faire agresser, voire tuer ? « Non, ce n’est pas ça. Mais comme ma mère et les gens du quartier regardent ces chaines, j’avais trop peur qu’elle apprenne la vérité. »
Pierre Daum,
Journaliste.