Hambourg, une nuit de l’été 1980. Armé d’un marteau, Corny Littmann, un activiste homosexuel allemand, alors candidat des Verts au Bundestag, s’attaque au miroir vissé à l’intérieur d’une pissotière du quartier de Saint-Pauli. Entouré d’une nuée de journalistes, il veut montrer les basses méthodes employées par la police de l’époque pour traquer les homosexuels.
Derrière le miroir se trouve une cache depuis laquelle les policiers peuvent surveiller tout ce qui se passe à l’intérieur des toilettes –et prendre en flagrant délit les hommes qui s’y retrouvent pour avoir des relations sexuelles. Car à cette époque, l’homosexualité est toujours considérée comme un délit passible d’une peine de prison en Allemagne.
L’action menée par Corny Littmann déclencha un scandale dans tout le pays, rappelle Der Spiegel, qui consacre une série d’articles à un phénomène tombé dans l’oubli en Allemagne: la persécution des homosexuels dans les décennies qui suivirent la Seconde Guerre mondiale. Comme l’écrit l’hebdomadaire:
«La police a mené une véritable chasse aux homosexuels dans les années 1950 et les années 1960 et faisait régulièrement des descentes dans les bars qui étaient connus pour être des lieux de rencontre gay. Des dizaines de milliers d’homosexuels ont atterri en prison dans les jeunes années de la République fédérale.»
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, malgré les crimes perpétrés par les nazis à l’encontre des homosexuels –environ 50.000 ont été condamnés entre 1933 et 1945 et plus de 15.000 d’entre eux sont morts dans les camps– la jeune République fédérale reprend le paragraphe 175 du Code pénal tel qu’il avait été renforcé par les nazis.
D’après les estimations de la fondation fédérale Magnus-Hirschfeld, créée en 2011 à l’initiative du ministère de la Justice allemand, environ 50.000 homosexuels auraient été condamnés à des amendes et des peines de prison rien que jusqu’à 1969, année où la loi a été assouplie. Mais il faudra attendre jusqu’en 1994 pour que le paragraphe 175 soit abrogé.
A titre de comparaison, l’homosexualité a été dépénalisée en France en 1982. Comme le rappelait en 2012 le magazine queer Yagg, Robert Badinter, alors garde des Sceaux, avait prononcé un discours mémorable à l’Assemblée nationale, condamnant l’article 331, alinéa 2 du Code pénal, instauré sous Pétain, avec ces mots:
«Il n’est que temps de prendre conscience de tout ce que la France doit aux homosexuels comme à tous ses autres citoyens dans tant de domaines. La discrimination, la flétrissure qu’implique à leur égard l’existence d’une infraction particulière d’homosexualité les atteint –nous atteint tous– à travers une loi qui exprime l’idéologie, la pesanteur d’une époque odieuse de notre histoire.»
Contrairement aux homosexuels persécutés par les nazis, ceux qui ont été pourchassés des décennies durant par la police allemande n’ont reçu aucune réparation. La fondation fédérale-Magnus Hirschfeld s’est donc donnée pour objectif de recueillir les témoignages des victimes du paragraphe 175 afin de documenter cette période sombre de l’Allemagne contemporaine et réhabiliter les victimes.
En 1970, le cinéaste gay allemand Rosa von Praunheim avait lui aussi dénoncé à sa façon les discriminations dont étaient victimes les homosexuels avec le film Nicht der Homosexuelle ist pervers sondern die Situation, in der er lebt («Ce n’est pas l’homosexuel qui est pervers, mais la situation dans laquelle il se trouve»), provoquant un scandale lors de sa diffusion. Un monument de la conscience queer outre-Rhin.
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