En Tunisie, une émission sur « la propagation de l’homosexualité » avec en invité, un imam qui appelle au meurtre des LGBT

Journalisme ? « Nous allons essayer de connaitre les facteurs qui créent l’homosexualité (…) et comment poser des limites à sa propagation en Tunisie »

Dans la soirée du 20 décembre, une émission présentée sur Cap Fm par Ala Chebbi a choisi pour thème « L’homosexualité et les raisons de sa propagation ». Cet intitulé inadéquat a été suivi plus tard par une avalanche de remarques homophobes. Le contexte général traite le sujet comme une perversité qu’il faut « corriger ».

Le discours global du présentateur tend plus vers le voyeurisme que le journalisme. Un des intervenants essaie de clarifier la différence entre l’homosexualité et la « perversité » mais sera tout de suite interrompu par le présentateur qui le menace de rompre l’appel. Tout l’intérêt tourne autour des détails intimes « croustillants » de la vie privée des personnes homosexuelles.

Le religieux présent sur le plateau, Nabil Ben Younes, parle de maladie psychologique. Interrogé par Chebbi au sujet de la charia, le religieux répond que l’assassinat des homosexuels est la règle. A ce sujet il dit:

« Coupez la tête et vous immobiliserez les racines »

Le discours haineux de Nabil Ben Younes se poursuit, en réponse à un intervenant homosexuel.

« C’est vous qui avez humilié la Tunisie. Vous l’avez trainée dans la boue (…) Vous ne faites pas partie du peuple du prophète Mohamed », lance-t-il.

Selon M. Ben Younes si la loi islamique était en vigueur et les preuves de l’homosexualité avérées, l’intéressé doit « être tué ».

L’imam affirme en outre que l’homosexualité est punie dans la nouvelle constitution tunisienne, ce qui est erroné. Cependant, si la protection de la vie privée des personnes est consacrée dans la Constitution tunisienne, le Code pénal prévoit toujours une peine allant jusqu’à 3 ans de prison ferme contre les personnes jugées coupables de pratiques homosexuelles (article 230).

Contacté par la rédaction du HuffPost Tunisie, le ministère des affaires religieuses a confirmé la certification de ce religieux en décembre 2011, en tant qu’imam pour les prières et non pour les prêches du vendredi. Le ministère confirme ainsi le statut de ce dernier comme fonctionnaire sous sa tutelle.

Ce n’est pas la première fois que cet imam fait parler de lui. En octobre dernier, l’imam Ben Younes a en effet été accusé d’avoir organisé et participé à l’agression verbale et physique de Khemais Ksila et d’autres membres de Nidaa Tounes. Néanmoins aucune plainte écrite n’a été déposée, selon le ministère des Affaires religieuses. Ainsi, cet individu serait connu pour ses opinions religieuses extrémistes.

Dans une déclaration au HuffPost Tunisie, la co-productrice de l’émission sur Cap FM affirme ignorer l’existence des faits reprochés à Nabil Ben Younes.

« Nous condamnons les propos de cet Imam qui est un fonctionnaire du ministère des Affaires religieuses. Les conditions du direct ont rendu difficile la modération du débat et nous ne portons pas la responsabilité de ces déclarations », a assuré Ali Trabelsi, également co-producteur de l’émission.

Par ailleurs, le débat sur le plateau était clairement orienté. En effet, Chebbi a été plusieurs fois repris par les intervenants au sujet des termes employés spécialement concernant l’amalgame qu’il fait entre la « délinquance sexuelle » et « l’orientation sexuelle ». Aussi, l’hétérosexualité est considérée comme étant l’état « normal » en comparaison avec l’homosexualité jugée comme un phénomène hors normes et contraire à la « nature » par l’animateur.

Le discours entre Chebbi et le sociologue Zouhair Azouzi est limité à un cadre hétéronomatif. Ce dernier est catégorique dans son constat « l’homosexualité est un choix ». Il ignore donc, en ne se référant à aucune preuve scientifique, les thèses développées à travers le temps sur les interactions entre l’inné et l’acquis et corrobore les propos de Chebbi qui prône « la réforme sociale », cherchant ainsi les moyens de prévenir ce « phénomène ».

Andi Mankollek ou la banalisation de la violence faite aux femmes

En termes de « réforme sociale », Ala Chebbi excelle dans son émission hebdomadaire « Andi Mankolek » (j’ai quelque chose à te dire) diffusée sur Ettounsiya.

Cette émission est perçue par les associations féminines et féministes comme banalisant la violence à l’égard des femmes. En effet, Ala Chebbi expose plusieurs cas sociaux où les femmes sont victimes d’abus.

Néanmoins, la méthodologie employée ainsi que les propos ont tendance à promouvoir la misogynie et les exemples sont nombreux.

Lors d’une émission diffusée en mai 2013, Chebbi demande à une femme poignardée cinq fois par son ex-mari de se remettre avec lui en justifiant parfois le comportement de ce dernier. Malgré le fait que la victime se sente clairement menacée, l’animateur use de tous les moyens pour la convaincre.

Une émission diffusée le 18 décembre dernier fait clairement l’apologie de la violence contre les femmes. L’animateur invite une femme battue qui confie l’avoir été par son mari chômeur qui essayait de l’éduquer. Chebbi lui répond ouvertement en souriant:

« Et après cette correction, est ce que vous êtes devenue bien éduquée? »

Ce même couple invité par rapport à un conflit au sujet du choix du pays d’habitation se voit donner des leçons par Chebbi qui ajoute:

« Prenez vos bagages et évitez les problèmes Madame… Votre place est auprès de votre conjoint… Vous devez habiter là où décide votre mari (…) C’est votre mari. C’est le propriétaire de votre maison. C’est le chef de la famille. »

Ces remarques misogynes font l’objet de critiques par les organisations luttant pour les droits des femmes. Sachant qu’une femme sur deux en Tunisie est victime de violence, un discours tel que celui de Ala Chebbi normalise ce phénomène social déjà trop présent.

Une parodie du concept de cette émission et plus précisément du personnage Ala Chebbi a été crée par Beity qui se fixe pour objectif d’apporter de l’aide et du soutien aux femmes marginalisées. Le but est de dénoncer les stéréotypes véhiculés par l’émission de Chebbi et de dire halte à la violence.

En 2013, l’émission « Andi Man9olék » a déjà été sanctionnée par la HAICA. L’instance a décidé d’interrompre la diffusion de l’émission pendant un mois et d’infliger une amende de 200.000 dinars.

La Haute autorité chargée de la régulation du paysage audiovisuel a, à de nombreuses reprises, sanctionné des émissions sur la base l’article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en se référant à l’article 5 du décret-loi 116 relatif à la liberté de la communication audiovisuelle et portant création de la HAICA, qui prévoit le respect des conventions internationales.

Article 20 du Pacte: « (…) Tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence est interdit par la loi ».

L’article 5 du décret-loi impose également le respect de la dignité de l’individu et de la vie privée.

Riadh Ferjani, membre de la HAICA, a déclaré au HuffPost Tunisie que ces dépassements étaient en cours d’examen et que des dispositions seront prises rapidement. Selon l’article 34 du décret-loi 116, l’instance a le pouvoir de statuer sur tous les faits advenus depuis moins de trois ans.

HuffPost Tunisie  |  Par Najma Kousri Labidi
https://www.youtube.com/watch?v=3e6HczAS_UE