Le mouvement «pro famille» revendique les soutiens en pagaille de candidats aux élections municipales. Parmi lesquels de nombreux frontistes et élus ruraux sans étiquette.
Opération municipales. Après avoir combattu la loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples homosexuels et s’être mobilisée contre un supposé enseignement de la «théorie du genre» dans les écoles, la Manif pour tous s’engage dans la campagne des élections municipales. Le mouvement a fait signer à plus de 1 000 personnes – maires, conseillers municipaux, ou têtes de liste au prochain scrutin – une charte de défense des «valeurs de la famille» où les élus et aspirants s’engagent, entre autres, à «préserver l’enfant de toute expérimentation basée sur les concepts du genre» ou à soutenir aux élections sénatoriales les candidats réclamant l’abrogation de la loi sur le mariage pour tous.
Sur son site internet, la Manif pour tous présente une carte généreusement garnie, qui donne l’impression d’un raz-de-marée pro famille. La réalité est plus contrastée. Si les habituelles têtes de pont de l’UMP tradi sont mises en avant dans le trombinoscope, l’étude approfondie des signataires révèle une surreprésentation des candidats FN dans les villes de plus de 50 000 habitants. Une bonne partie des troupes est également constituée d’élus ruraux, souvent «sans étiquette», qui ont été approchés par les très actifs réseaux de la Manif pour tous. Décryptage.
Dans les grandes villes, des signataires «bleu marine»
Selon le recensement effectué par Libération, on dénombrait, mercredi, 40 villes de plus de 50 000 habitants comptant au moins un candidat signataire de la charte. Au total, dans ces 40 communes, 51 têtes de liste ont paraphé le document. Ce qui, précisent d’emblée les organisateurs, «ne constitue pas un soutien de la Manif pour tous envers le candidat».
On remarque néanmoins que 58% de ces signataires s’engagent sous les couleurs du Front national et du Rassemblement Bleu Marine, 18% sous celles de l’UMP et 24% sous une bannière divers droite. Dans les trois plus grandes villes françaises, le parti de Marine Le Pen réalise un triplé avec Wallerand de Saint-Just (Paris), Christophe Boudot (Lyon) et Stéphane Ravier (Marseille). D’autres candidats dans des municipalités majeures (Nice, Bordeaux, Nantes, Metz) s’engagent aussi à défendre les sacro-saintes valeurs familiales. Louis Aliot, vice-président du parti et candidat à Perpignan, est aussi de la partie.
Un signe que les candidats frontistes espèrent capitaliser sur la colère tradi qui agite la France depuis plus d’un an, mais également une demi-surprise, tant la direction nationale du parti avait préféré rester discrète sur le sujet. Marine Le Pen, par exemple, avait parlé de la loi sur le mariage gay comme d’une «diversion» et refusé de se joindre aux défilés dominicaux de la Manif pour tous. Nicolas Bay, qui pilote la campagne des municipales pour le FN, n’y voit aucun revirement de son parti : «Nous laissons une totale liberté à nos candidats de signer ce texte, qui par ailleurs correspond grosso modo à nos positions.» La surreprésentation des candidats d’extrême droite ne l’étonne pas : «Beaucoup d’entre eux étaient présents dans ces combats. C’est logique qu’ils maintiennent leur engagement.»
La branche tradi de l’UMP en pointe
Ils sont tous là : Philippe Gosselin, Philippe Marini, Jacques Myard, Hervé Mariton, Claude Goasguen, et on en passe. De toutes les mobilisations depuis début 2013, les ultras de l’UMP ont sans hésiter accepté de signer la charte de la Manif pour tous. Parmi les candidats dans les communes les plus importantes, citons Michel Havard (Lyon), François de Mazières (Versailles) ou encore Jean-Marc Pujol (Perpignan). Signataire du texte, Jacques Myard, maire de Maisons-Laffitte et en lice pour un cinquième mandat, y voit «la suite logique de son action pour les familles». «J’ai manifesté avec la Manif pour tous aux côtés de millions de Français», justifie-t-il, martelant son adhésion totale aux valeurs du mouvement piloté par Ludovine de la Rochère : «Je suis primaire : le mariage, jusqu’à nouvel ordre, c’est un homme et une femme. Les gens font ce qu’ils veulent avec leurs fesses, mais pas question de l’inscrire dans la loi.»
Même «continuité» pour Philippe Gosselin, député UMP de la Manche et maire de Remilly-sur-Lozon, qui a été directement abordé, fin novembre, par les cadres de la Manif pour tous. «La philosophie de cette charte me convient. Elle est pleine de bon sens, et d’ailleurs, la mise en musique de certaines mesures est déjà opérationnelle dans ma commune.» Gosselin endosse également la proposition de «déléguer» dans les conseils des écoles une personne en accord avec le texte, notamment en vue de «préserver l’enfant de toute expérimentation basée sur les concepts de Genre» [sic]. «Ça ne sera pas l’œil de Moscou, mais cette personne pourra vérifier s’il y a des difficultés ou non.» Le député-maire salue par ailleurs la «liberté totale» laissée aux élus de l’UMP de signer, ou non, le document. «Les enjeux nationaux de la campagne sont la fiscalité, la sécurité et l’emploi. Mais sur des sujets comme la famille, il me semble que donner des consignes serait voué à l’échec.»
Dans les villages, des maires engagés «à titre personnel»
Dans le lot, on trouve aussi un certain nombre de petites communes rurales, avec des maires pour la plupart sans étiquette politique. Pourquoi donc ont-ils signé cette charte ? Comment en ont-ils eu connaissance ? «Je ne me souviens plus très bien», répond Narcisse Lopes-Gil, tête de liste sans étiquette dans le village de Gaillères dans les Landes, bien incapable de dire comment il s’est retrouvé dans le listing de la Manif pour tous. «Depuis le départ, je reçois leurs courriers. La plupart du temps, c’est pour nous proposer de monter à Paris pour les manifestations, ce que je n’ai jamais fait. J’ai dû recevoir un mail pour me proposer d’adhérer à cette charte sur Internet, j’imagine.»
S’il a signé, c’est pour une seule raison, toute personnelle. «Le mariage pour tous ne me dérange pas, ni la PMA et tout ça. Non, ce qui me pose problème, c’est l’ouverture de l’adoption. Parce que je suis dedans.» Il a lancé les démarches avec sa femme il y a six ans. Ils attendent encore. «Si demain, les couples homosexuels peuvent aussi demander l’agrément, ça va encore plus rallonger les délais. Voilà pourquoi j’ai signé, mais je n’en parlerai pas lors des débats avec les habitants, cela ne les concerne pas.»
Guy Lihoreau, candidat à sa réélection dans le village de Méon (Maine-et-Loire) est sur la même ligne. «J’ai signé parce que cette charte correspond à mes convictions personnelles. Je ne m’en cache pas, mais je ne l’afficherai pas non plus. L’un des gros problèmes de la France aujourd’hui, c’est de ne pas savoir fédérer. Dans les petites communes, on ne fait pas de politique, on ne dresse pas les uns contre les autres.» Il a signé il y a un mois environ, alerté par des amis, «sans connotation politique, ni religieuse : je suis catholique non pratiquant», précise-t-il.
A Gronard, village de 75 âmes dans l’Aisne, le maire sortant Christian Vanneau a été informé par un mail de sa paroisse. «Je n’ai pas signé sans réfléchir. Les valeurs que défend la Manif pour tous correspondent à mon éthique, à mes convictions.» Un choix assumé donc, même si c’est «à titre personnel et que ça n’engage que moi». Et ses administrés ? «Ils n’ont pas à être au courant. C’est une petite commune, on gère du mieux possible les affaires courantes, voilà tout.» Dans son village, il n’y a pas d’école, donc la question de désigner un «référent» pour s’assurer qu’il n’y ait pas d’enseignement de la «théorie du genre», ne se pose pas. Quant au mariage pour tous, il est contre mais respectera la loi si le cas se présente. De toute façon, «en six ans à la mairie, je n’ai pas célébré une seule union».
Sylvain MOUILLARD et Marie PIQUEMAL
liberation.fr