Le mouvement opposé à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe entend bien peser à droite, au risque d’emmener le candidat de celle-ci sur des positions extrêmes au moment de l’élection.
C’est l’histoire d’un parti conservateur à qui la prochaine élection présidentielle tend les bras… mais qui se condamne à la perdre en adoptant des positions trop extrêmes. Non, nous ne sommes pas –encore– dans la France de 2017, mais aux Etats-Unis, où les républicains modérés ont presque déjà abandonné leurs espoirs de reprendre la Maison Blanche en 2016 après les deux mandats de Barack Obama. «It’s the demography, stupid!», résume la chercheuse Aurélie Godet dans une note sur la crise idéologique du Parti républicain.
Le constat est simple: sous l’influence de sa base conservatrice, le parti développe un discours qui ne parle qu’à son électorat blanc, masculin et chrétien, tout en rebutant les minorités et les Américains sans religion. Le problème étant que les électeurs blancs et chrétiens sont en recul, là où la proportion de non religieux et d’Américains issus de l’immigration ne cesse de croître. «Quand bien même la démographie n’est pas une fatalité et les coalitions électorales ne sont jamais figées, il est peu probable que le Parti républicain puisse remporter une autre élection présidentielle en mobilisant le même électorat», conclut Aurélie Godet. La logique voudrait donc que le Parti républicain investisse un candidat beaucoup plus ouvert sur les questions sociétales et d’immigration afin de s’adapter à la nouvelle société américaine. Mais les conservateurs chrétiens et le Tea Party ne veulent pas en entendre parler.
Exemple espagnol
Même si l’UMP est difficilement comparable au Parti républicain américain, les mésaventures du parti à l’éléphant ont de quoi faire réfléchir la droite française à l’heure où les prétendants à l’investiture en 2017 sont sommés par la Manif pour tous de prendre des positions tranchées sur le mariage homosexuel et la procréation médicalement assistée. Et ce, à rebours d’une population française de plus en plus ouverte sur les questions de société.
Près d’un an et demi après l’adoption de la loi Taubira, 57% des Français se disent opposés à son abrogation, d’après l’Ifop. Un sondage Odoxa pour i-Télé montre même que seuls 28% d’entre eux déclarent soutenir ou avoir de la sympathie pour la Manif pour tous, contre 39% en janvier 2013. Là où la présidentielle de 2017 fait figure d’élection imperdable pour l’UMP, les gages donnés aux anti-loi Taubira vont-ils lui coûter de précieuses voix modérées?
En Espagne, le président du gouvernement, Mariano Rajoy, peut témoigner que le risque est réel. Aux dernières élections européennes, le Partido popular a payé cher sa promesse faite aux catholiques conservateurs de revenir sur l’avortement. Désapprouvé par près de 80% d’Espagnols, dont une majorité des électeurs de son parti, Mariano Rajoy n’a pas eu d’autre choix que de retirer son projet de loi en septembre. Entre temps, la séquence lui a coûté plusieurs centaines de milliers de voix au mois de mai.
A l’image du Foro de la Familia («Forum de la Famille») animé par l’ancien ministre Benigno Blanco, qui n’a jamais laissé à Mariano Rajoy le loisir de s’endormir sur sa promesse de réformer l’avortement, la Manif pour tous entend bien obtenir des garanties de l’UMP. Il s’agit d’abord d’exiger la promesse de revenir sur la loi Taubira dès 2017. Avec succès. Outre le jusqu’au-boutiste Hervé Mariton, les anciens ministres Laurent Wauquiez et Xavier Bertrand se sont engagés à abroger la loi. François Fillon et Bruno Le Maire proposent de la réécrire. Seuls Nathalie Kosciusko-Morizet, Alain Juppé ou Christian Estrosi sont pour le statu quo, quand Nicolas Sarkozy reste dans le flou et ne promet pour l’instant que d’inscrire dans la Constitution l’interdiction de la PMA pour les couples de femmes.
L’UMP sous pression
La Manif pour tous fait peser une menace sibylline sur les présidentiables de l’UMP à travers les primaires de 2016. Comme ce fut le cas pour les municipales à Paris et l’élection du président de l’UMP, son site Internet ne manquera pas de mettre à disposition de ses adhérents un tableau comparatif compilant les positions de tous les impétrants sur l’abrogation du mariage homosexuel, la PMA et la filiation, avec un code couleur vert-orange-rouge permettant de distinguer bons et mauvais élèves. La présidente de la Manif pour Tous, Ludovine de la Rochère, s’est toujours refusée à prendre parti pour un candidat en particulier, mais elle n’exclut pas de le faire à l’avenir, et affirme avec gourmandise à France Info que c’est son mouvement qui a empêché Nathalie Kosciusko-Morizet de réaliser un excellent score à la primaire parisienne:
«Elle était annoncée avec 80 ou 90% des voix, elle en a eu beaucoup moins au final. Son manque d’engagement sur le mariage pour tous lui a fait perdre plus de 20% des voix.»
Rien ne permet de corroborer les 20% avancés par Ludovine de la Rochère –Franck Margain, le candidat le plus proche de ses idées, n’a réalisé que 10,34% des voix en juin 2013– mais l’électorat mobilisable et discipliné de la Manif pour tous pourrait faire basculer une primaire serrée en 2016.
En parallèle, des transfuges du mouvement ont rejoint l’UMP en créant Sens Commun, un nouveau courant qui ambitionne de ramener le parti à des positions sociétales plus traditionnelles. «Nous sommes lucides sur le danger d’un double discours de la part de certains dirigeants. C’est toujours le risque en politique. C’est précisément la raison pour laquelle nous sommes à l’intérieur de l’UMP», confiait au Monde (article payant) Madeleine Bazin de Jessey, l’une de ses responsables.
Stratégie perdante
Ce double activisme, en dehors comme à l’intérieur du parti, a imposé les questions sociétales parmi les thèmes prioritaires de l’UMP. Sous surveillance, les ténors du parti sont tétanisés à l’idée de commettre un faux pas.
Pourtant, le parti a beaucoup à perdre dans cette stratégie. D’abord, parce que le pouvoir de nuisance de la Manif pour tous est très surestimé. «Ils ont globalement des positions anti-soixante-huitardes, avec une conception de la famille et de la vie privée antérieure à mai 68», analyse le politologue Thomas Guénolé:
«Sur cette base là, ils peuvent dans une compétition interne se mobiliser pour un candidat. Mais ils ne pèsent pas plus de 10% de la droite. Se coller à leurs revendications reviendrait à s’éloigner de toutes les autres sensibilités de droite. Quelqu’un qui miserait tout sur les postures de la droite morale maximiserait ses chances de faire 10%, mais hypothéquerait celles d’en atteindre 30.»
Christine Boutin a beau menacer Nicolas Sarkozy de la perte d’un million de voix s’il ne prend pas parti pour l’abrogation de la loi-Taubira, son score de 0,71% aux élections européennes de mai 2014 lui a cruellement montré que ce n’est pas le sociétal qui détermine le vote des Français. A en croire Céline Bracq, directrice générale de l’institut de sondage Odoxa, les responsables de l’UMP en font trop sur le mariage gay et la PMA car ils se laissent abuser par le bruit médiatique autour de la Manif pour tous:
«Il faut faire le distinguo entre les sujets qui font de l’audience –un reportage sur la GPA intéressera plus qu’un autre sur le chômage– et les sujets prioritaires. On considère beaucoup trop souvent que, parce que les gens s’intéressent à un sujet, ils lui accordent de l’importance. La vie privée des hommes politiques en est l’exemple-type. Les Français sont avides de reportages et d’articles voyeuristes sans que cela change –ou alors seulement à la marge– l’opinion qu’ils ont d’eux.»
En plus d’éloigner les électeurs de droite les plus modérés, il n’y aurait donc pas grand chose à gagner à satisfaire les préoccupations de la Manif pour tous. Pire, le fait même de leur accorder autant de place dans le débat politique serait une erreur stratégique: «Les Français considèrent que leurs priorités sont l’économie et le social: l’emploi, les déficits, la croissance. Au point que, désormais, lorsque les hommes politiques parlent de sujets sociétaux, ils considèrent que c’est une manière de ne pas répondre aux sujets qui les intéressent vraiment», continue Céline Bracq. C’est d’ailleurs l’argument que Nadine Morano et Christian Estrosi, rares personnalités du parti opposées à une réouverture du débat, avaient invoqué pour dissuader l’UMP d’inscrire le retour sur la loi Taubira dans son projet en début d’année.
Thomas Guénolé note d’ailleurs que, parmi les trois candidats les mieux placés pour la primaire de 2016, seul celui qui fait figure d’outsider, François Fillon, s’est clairement déclaré pour un retour sur la loi Taubira, là où Nicolas Sakozy reste vague sur ses intentions. Connaissant la propension de l’ancien président à compiler les études d’opinion avant de définir sa stratégie, ce positionnement suggère qu’il a très bien compris qu’il y avait beaucoup plus de voix à perdre qu’à gagner dans ce débat-là.