Peut-on être hétéro sans le savoir ? Dans Toute première fois, proclamée première comédie post-mariage pour tous au dernier Festival international du film de comédie de l’Alpe d’Huez, Pio Marmai, homo jusqu’au bout des ongles, découvre les joies du sexe avec une fille. Pitch anecdotique ou micro-phénomène sociétal ? Décryptage avec le psychiatre Stéphane Clerget et le sociologue Daniel Welzer-Lang.
On connaissait le coming out, propre à l’individu qui révèle publiquement son homosexualité. Et s’il existait un «coming in», une sorte d’alter ego hétéro ? C’est la thématique du premier film de Noémie Saglio et Maxime Gorave. Concrètement, Jérémie est sur le point de se marier avec Antoine, quand il tombe sous le charme – et dans les draps – d’Adna, une belle Suédoise. Dans le film, c’est le drame : un non-sens pour l’homosexuel en question, une blague pour son meilleur ami macho, une aberration pour ses parents bobos.
Dans la vie ? « Ces cas existent, bien sûr, affirme Daniel Welzer-Lang. Ils sont même de plus en plus fréquents. » Pour ce sociologue, spécialiste de l’identité masculine, tout s’explique par la « déculpabilisation » homosexuelle. « Maintenant que les individus gays et lesbiens sont acceptés par la société, ils s’autorisent à leur tour de nouvelles expériences sexuelles. » Un point de vue défendu par le pédopsychiatre Stéphane Clerget, auteur de Comment devient-on homo ou hétéro ? (Éd. JC Lattès, 2006). « Dès lors qu’ils sont moins stigmatisés, les homos sont moins dans la farouche revendication de leur identité gay, identité qui leur était extrêmement rassurante jusqu’ici. »
« L’explosion du système hétéro normatif »
Dans Toute première fois, Jérémie n’accepte d’ailleurs pas ce qui lui arrive. Il condamne cette nuit de folie, sans pour autant pouvoir se résoudre à oublier Adna. Il finit par croire qu’il a trahi Antoine depuis le début, qu’il n’a jamais vraiment été homo. Au-delà de la comédie, Daniel Welzer-Lang insiste : « Dans ce genre de cas, il n’y a pas d’hétéros ni d’homos absolus. Les évidences n’existent pas. L’identité sexuelle n’est pas figée, elle se construit et se reconstruit au fur et à mesure. »
Pas question, du coup, d’employer l’expression « hétéro refoulé ». « Toutes les personnes qui se convertissent sexuellement ne sont pas des névrotiques, précise Stéphane Clerget. Quelques cas, certes, peuvent relever de la psychiatrie. Mais, dans l’ensemble, il n’y a aucun mal au changement d’aiguillage, toutes sexualités confondues. » Il n’y aurait donc pas une identité sexuelle unique, assumée ou refoulée. « On se sait d’ailleurs tous capables de jouir avec un homme et avec une femme, même si la plupart du temps on ne le veut pas, assure ce spécialiste. Tout est une histoire de choix. » Et, par extension, de pression sociale.
« S’il y avait moins d’interdits sociaux, il y aurait plus de diversité sexuelle et donc, forcément, plus d’homosexuels. » Avec la levée progressive des tabous, le pédopsychiatre observe déjà une plus grande tolérance chez les jeunes. Ce que Daniel Welzer-Lang résume par « l’explosion du système hétéro normatif » : « Nous entrons dans une ère où l’on veut « être soi et pleinement soi », l’ère du « je m’écoute plus ». » Grosso modo, on assisterait à la déconstruction totale des codes sexuels et au début de la fin de l’hétérosexualité en tant que standard. Des perspectives assez révolutionnaires, que caresse, sur un mode léger, la comédie du coming in.