Cette enquête sans précédent a été réalisée par l’Institut des Etudes genre de l’Université de Genève en collaboration avec la Fédération genevoise des associations lesbiennes, gay, bisexuelles et transgenres (LGBT) au moyen d’un questionnaire diffusé par internet auprès des associations LGBT de Suisse et dans les réseaux sociaux en 2014 (de mai à septembre).
Les objectifs du questionnaire visaient d’abord à recueillir des données qui font largement défaut en Suisse sur les discriminations que vivent les personnes LGBT sur leur lieu
de travail dans 4 domaines :
◗ Stigmatisations verbales (blagues, stéréotypes, étiquetage, clichés);
◗ Harcèlement (moral et/ou sexuel);
◗ Mises à l’écart (de l’équipe, de projets intéressants ou d’évènements sociaux informels);
◗ Agressions physiques et sexuelles.
D’autres questions avaient pour objectif de saisir les sentiments de mal-être ou de bien-être éprouvés par les personnes LGBT sur leur lieu de travail alors qu’un troisième volet s’intéressait aux attitudes des entreprises face aux discriminations. En effet plusieurs questions avaient pour but de saisir le degré d’engagement des entreprises dans l’information et la prévention ou encore dans le domaine du traitement concret de cas d’homophobie et de transphobie.
Les résultats de l’enquête proposent un constat qui, s’il n’est pas généralisable à l’ensemble des entreprises ni des personnes LGBT, permet de prendre la température des conditions de travail des personnes LGBT et de sensibiliser les entreprises, les syndicats et les pouvoirs publics à cette question.
>> La présence d’un climat de travail homophobe ou transphobe, voire hétérosexiste, est largement attestée.
L’homophobie et la transphobie sont des comportements très présents sur le lieu de travail. Ils prennent des formes très diverses et leur intensité est variable, mais affectent particulièrement des personnes jeunes qui sont encore précaires dans le monde du travail et/ou qui sont au bas de la hiérarchie.
En deuxième lieu, les femmes sont plus exposées que les hommes aux discriminations en raison de l’articulation de l’homophobie avec le sexisme au travail.
Les personnes trans subissent également de manière plus forte les discriminations sur le lieu du travail.
Les personnes homosexuelles ou trans qui sont parents n’en parlent pas toujours ouvertement sur leur lieu de travail et les entreprises n’ont pas encore totalement réalisé l’égalité des droits et des avantages sociaux pour les couples de même sexe et pour les familles arc-en-ciel.
L’homophobie et la transphobie affectent le bien-être au travail surtout au niveau du sentiment d’isolement et de vulnérabilité, mais aussi de l’angoisse, de la dépression par exemple.
Les entreprises sont encore peu conscientes des problèmes que génèrent l’homophobie et la transphobie et peut-être sont-elles également démunies lorsque des cas concrets se présentent au sein du personnel. Nos résultats montrent un besoin impératif d’information et de formation auprès des employeurs,
des services RH et d’autres instances de médiation afin que les personnes homosexuelles et/ou transidentitaires soient protégées contre les discriminations dont elles peuvent être la cible.
La législation, et particulièrement le code des obligations qui règle les rapports de travail, devrait définir de manière explicite l’homophobie et la transphobie comme des comportements intolérables et ainsi inciter les entreprises à prendre des mesures qui visent à les prévenir et à les sanctionner.
>> Pas moins de 1097, réparties en 5 catégories :
Femmes lesbiennes, hommes gays, femmes bisexuelles, hommes bisexuels et les personnes transidentitaires.
Quelque 85% d’entre eux se sont dit «out» ou partiellement «out». Cette dernière catégorie (quelques personnes seulement au courant de leur orientation sexuelle ou de leur transidentité) est plus fréquente chez les femmes (48%) que chez les hommes (40%).
>> Le type de discriminations
Globalement environ 70 % des personnes homosexuelles qui ont répondu à notre questionnaire ont déclaré avoir été témoins de formes de discrimination durant les 3 dernière années. Il ne s’agit pas de discriminations qui leur étaient directement adressées, mais d’un climat de travail homophobe ou transphobe, voire hétérosexiste, qui peut peser sur leur bien-être au travail ou qui peut influencer la décision de « sortir du placard ». Les formes les plus courantes sont la blague, le stéréotype, les clichés, les préjugés qui touchent en particulier les gays comme hommes efféminés et pas assez virils « Fiotte; travelo; voilà la tapette à sacoche » ou encore qui expriment une volonté de marginalisation « On ne peut pas engager tel mec car il ne peut pas s’intégrer il fait trop gay; tant que les homos restent à leur place il n’y a pas de soucis; s’il est gay il ne faut pas qu’il me touche ».
On constate, comme cela a été le cas par exemple dans des études réalisées au Québec, que ces formes de stigmatisation touchent plutôt les gays.
Les lesbiennes quant à elles rapportent des propos tentant d’expliquer l’homosexualité féminine par « un excès de testostérone » par exemple ou encore des insultes comme « gouine » ou des stéréotypes de « la camionneuse, la femme qui s’habille comme un mec ou qui parle comme un mec etc… ». Ce climat de travail fait planer, selon certain.e.s, un doute sur l’opportunité ou non de dévoiler son orientation sexuelle et affecte également les personnes trans* du fait qu’elles touchent souvent à des questions d’identité de genre.
L’intensité des discriminations n’est pas toujours la même lorsqu’elles s’adressent aux gays ou aux lesbiennes. La différence est significative dans ces trois domaines :
Ces données montrent que la lesbophobie s’articule avec le sexisme qui est présent dans le monde du travail à l’encontre des femmes (qu’elles soient homosexuelles ou non). En effet, indépendamment de l’orientation sexuelle, les comportements de harcèlement sexuel, la pression sur le corps ou globalement sur l’esthétique des femmes sont des phénomènes que la sociologie de travail a mis en lumière depuis qu’elle a investi le domaine de l’analyse de genre.
Quant aux personnes trans, quelques données comparatives avec les réponses des personnes homosexuel.le.s montrent qu’elles sont plus fortement touchées par les discriminations
Ces informations nous donnent à penser que ce qui plus pose problème et qui provoque davantage les comportements discriminants n’est pas l’orientation sexuelle en tant que telle mais la non-conformité entre le sexe assigné à la naissance et le genre. L’exemple des trans est très parlant et nos résultats montrent qu’il est urgent d’agir afin que ces personnes soient protégées.
>> Les facteurs favorisant les discriminations
Après une analyse statistique effectuée en regroupant différentes questions en 5 catégories (stigmatisation verbale – harcèlement sexuel et moral – mises à l’écart – agressions sexuelles et physiques), les principaux résultats concernant l’homophobie font état de l’influence croisée de 3 facteurs : l’âge, l’ancienneté dans l’emploi et le statut au sein de l’entreprise.