Cela suppose-t-il de vivre en marge de la société et d’être moins bien protégé ? Félix Braz, ministre de la Justice, et Erik Schneider, psychiatre spécialiste de la question trans’, ont dressé l’état des lieux.
Si ces dernières années, on a beaucoup parlé du mariage homosexuel et de l’adoption, on ne sait pas grand-chose sur les transsexuels ni sur les personnes intersexes. Comment sont-elles perçues par notre société et quel est leur quotidien? Et surtout, qui sont-ils vraiment et quelles sont leurs spécificités?
Pour Erik Schneider, psychiatre et cofondateur de l’association Intersex & Transgender Luxembourg, il est important de distinguer les personnes transsexuelles des personnes intersexes, il s’est d’ailleurs intéressé plus particulièrement aux enfants dans un rapport au Conseil de l’Europe :
«Les enfants trans’ ressentent un décalage entre ce qu’ils se sentent être et les attentes de leur entourage fondées sur le sexe qui leur a été assigné à la naissance. Les enfants intersexes, eux, sont des enfants dont les caractères sexués sont atypiques ou non conformes aux normes généralement admises qui se fondent sur la biologie et une représentation socio-culturelle de ce qui est considéré comme masculin ou féminin.»
Les personnes intersexes peuvent donc avoir des marqueurs génétiques de l’autre sexe sans que cela ne se voit mais vivre un véritable décalage biologique, hormonal ou génétique. On estime actuellement que 2% de la population mondiale vient au monde hermaphrodite, c’est-à-dire avec des organes génitaux qui ne peuvent être classés dans la catégorie du sexe féminin ou masculin.
C’est pourquoi le médecin a préféré introduire le concept la notion d’«auto-perception», un concept qui permet de rester au plus près du ressenti de l’enfant, de ce qu’il dit de lui-même et de s’éloigner quelque peu des normes imposées par la société. Ainsi, en reprenant les termes employés par l’enfant, on peut rester au plus près du ressenti de celui-ci.
La souffrance des enfants trans’
On reconnaît généralement les enfants trans’ à des comportements classiques tels que le fait de chaparder pour les «garçons» les vêtements de leur mère ou de leur soeur, d’insister pour être appelés par un prénom différent, ou d’exprimer à répétition et avec insistance une préférence pour les marqueurs sociaux habituellement réservés à l’autre sexe. On estime actuellement qu’un enfant sur 500 a une identité de genre qui diffère du sexe d’assignation, ce qui représente au Luxembourg, environ 1.000 enfants et près de 1,5 million en Europe.
Pour illustrer la souffrance que peuvent ressentir les enfants trans’, Erik Schneider rapporte une discussion entre une mère et sa fille trans’ de cinq ans :
«L’enfant: – «Pourquoi tu ne m’as pas donné un prénom de fille quand je suis née?».
La mère: – «Tu avais un zizi».
L’enfant: – «Oui, mais à l’intérieur, je suis une fille, dans mon cœur et dans ma tête. Quand je suis née, j’avais déjà un cœur de fille, mais je ne pouvais pas vous le dire».
Depuis février 2014, l’association Intersex & Transgender Luxembourg est présente lors de rencontres au sein du Centre de psychologie et d’orientation scolaires (CPOS) entre parents et enfants trans’ bien que le centre s’occupe de ce type de problématiques depuis septembre 2013 et pour Erik Schneider qui intervient régulièrement au sein de ces groupes:
«les enfants trans‘ et les enfants intersexes questionnent, par leur existence même, la structuration de nos sociétés européennes autour de ce qui a été appelé le modèle binaire du sexe et du genre et en savoir plus sur leur situation est important pour les protéger contre la violence liée aux normes de sexe et genre.»
Ces derniers mois, le gouvernement luxembourgeois s’est penché sérieusement sur la question et vient de signer la déclaration IDAHO (International Day against Homophobia and Transphobia / Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie) qui a pour but de mettre fin aux discriminations et violences dont sont victimes des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexe (LGBTI).
Autant l’Europe que le Luxembourg planchent sur la question et suite à la Résolution 2048 adoptée par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en avril 2015 et celle du Parlement Européen du 12 mars 2015, le gouvernement luxembourgeois entend légiférer sur la question.
«Nous l’avions annoncé lors de l’accord de coalition», débute Félix Braz, ministre de la Justice, «le gouvernement entend prendre sérieusement en considération les problèmes de discrimination des personnes LGBTI et nous allons légiférer dans ce sens. Les ministères de la Santé, du Travail, de la Famille et de la Justice travaillent actuellement sur un texte car un certain nombre de problèmes subsistent notamment pour la reconnaissance juridique du genre, pour les traitements de conversion sexuelle et pour l’information, la sensibilisation et la formation.»
Changer de prénom est d’ores et déjà possible
Pour le ministre de la Justice, promulguer cette loi et un «acte politique que le gouvernement entend réaliser avant la fin de son mandat et le texte devrait être prêt dans les prochains mois. Le gouvernement autant que moi-même sommes très motivés pour régler ces questions dans les meilleurs délais».
A l’heure actuelle, les personnes transsexuelles ou intersexes souhaitant bénéficier d’un changement de sexe à l’état civil doivent prouver que leur nouvelle identité est irréversible, c’est-à-dire qu’elles ont subi une opération.
Le changement de prénom sur les papiers officiels d’une personne trans’ peut se faire sur simple demande auprès du ministère de la Justice.
Or, pour Féliz Braz, la nouvelle loi doit mettre un terme à cette procédure que beaucoup jugent «violente» à l’image du docteur Schneider qui dénonce des thérapies et des actes médicaux inadaptés à la réalités des personnes transsexuelles et intersexes. Dans son rapport au Conseil de l’Europe intitulé «Les droits des enfants intersexes et trans’ sont-ils respectés en Europe?» le médecin parle d’internements psychiatriques, de thérapies de normalisation controversées, de pratiques médicales traumatisantes pour les enfants et leur famille.
«Le système de santé oscille entre le manque de connaissances et la pathologisation de la transidentité», explique-t-il, «ajoutez à ceci un taux de suicide plus élevé chez ces personnes, des dépressions, de l’auto-mutilation et vous comprendrez peut-être un peu leur souffrance quotidienne».
Cependant, en attendant la modification de la législation, le ministère de la Justice a déjà mis en place des mesures pour alléger les procédures administratives des personnes trans’ et intersexes, comme l’explique Félix Braz:
«On peut déjà aider ces personnes en assouplissant certaines procédures», note-t-il, «Ainsi, le changement de prénom sur les papiers officiels d’une personne peut se faire sur simple demande. Si la personne a déjà entamé une métamorphose au niveau de son apparence, avoir un prénom sur ses papiers d’identités qui ne correspond pas à son physique peut s’avérer gênant voire douloureux lors d’un contrôle ou d’un voyage», précise le ministre.
«Le Luxembourg est un pays ouvert et tolérant»
Même si le Luxembourg a encore du pain sur la planche en matière de protection et de lutte contre la discrimination des personnes LGBTI, la situation de départ ici est plus que favorable à une modification de la législation que dans d’autres pays européens.
«Il n’y a pas de difficultés légales par rapport à la loi», poursuit Félix Braz, «car celle-ci est rédigée de façon neutre. Depuis la loi sur le mariage pour tous, le Luxembourg a veillé à mettre en place une terminologie qui n’emploie pas les termes de «père – mère» mais de «parents – enfants» ce qui induit qu’en cas de modification de sexe d’une personne, ça ne change rien par rapport à la loi. Le Luxembourg est un pays ouvert et tolérant qui a su, ces quinze dernières années, évoluer par étapes et dans le cadre d’un débat calme et pondéré sur des questions de sociétés importantes telles que le mariage homosexuel, l’avortement, l’assistance en fin de vie et maintenant le statut des personnes LGBTI.»
La loi devrait voir le jour dans les prochains mois. Cependant, en matière de protection, les personnes LGBTI sont d’ores et déjà protégées par la directive discrimination qui est déjà inscrite dans le code pénal: «l’infraction motivée par la haine» et «le discours à la haine» sont punis d’une peine d’emprisonnement de huit jours à deux ans et d’une amende de 251 euros à 25.000 euros ou de l’une de ces peines seulement.
La question de la souffrance des enfants trans’ et de leur famille a été traitée dans le film d’Alain Berliner, «Ma vie en rose», sorti sur les écrans en 1997 et raconte l’histoire de Ludovic, un garçon de 7 ans persuadé qu’il est une fille. Invité chez un voisin de son âge, il fait scandale en revêtant la robe de la sœur défunte du garçon et organisant un faux mariage avec ce dernier. Ses parents, qui ne peuvent plus minimiser sa conviction, acceptent mal sa différence sous les regards des voisins dans le lotissement bourgeois où ils se sont installés.
Par – Virginie Orlandi