L’homosexualité reste encore très mal acceptée dans la majorité des pays du continent. La République démocratique du Congo n’échappe pas à cette règle. Dans cet immense État d’Afrique centrale dominé par la culture bantoue, les réactions sont toutes très négatives quoique assez variées. Absence de virilité pour les hommes, sorcellerie et mauvais esprits, passage obligé pour s’enrichir ou avoir le pouvoir, tous les stéréotypes y passent. Pour d’autres, l’homosexualité est un phénomène importé de l’Occident, introduit durant la colonisation. Par la suite, la modernité et le développement des médias avec son corolaire d’images prônant l’homosexualité aurait continué à « corrompre » les mentalités sur le continent noir.
Peu de gens savent que des relations intimes entre deux hommes ou deux femmes ont pu exister dans les sociétés traditionnelles du continent. Pourtant, Stephen O. Murray et Will Roscoe font un minutieux travail de recherche dans leur ouvrage « Boy-wives and females husbands (studies in african homosexualities » (1), véritable récolte de l’ensemble des informations disponibles sur les pratiques homosexuelles en Afrique Noire. Ils s’appuient notamment sur des documents ethnologiques témoignant de l’existence historique et culturelle mais aussi actuelle de ces pratiques au sein des sociétés africaines. L’ouvrage permet notamment d’accéder à la pluralité de formes, de fonctions et de sens que peuvent recouvrir ces relations sexuelles, donnant la possibilité de s’ouvrir à l’idée qu’il n’existe pas sur le continent une mais des homosexualités.
Daniel Vangroenweghe consacre, lui, un chapitre de son ouvrage « Sida et sexualité en Afrique » à l’homosexualité et la bisexualité, reprenant l’idée d’enracinement développée par Murray et Roscoe et mettant à jour ces informations, tout en les replaçant dans le contexte de l’épidémie de sida (2).
HOMOSEXUALITE ET SORCELLERIE
L’homosexualité est classée parmi les actes liés au mysticisme. Ce fait est en partie justifié par certaines pratiques initiatiques ancestrales. Par exemple, chez le peuple Sanga de la province du Katanga, on retrouve des cas où des sorciers ont fait avaler des organes sexuels masculins à des hommes pour les rendre plus fort. Cette association entre homosexualité et pratiques mystiques a conduit certaines personnes à mal interpréter les amours entre deux individus de même sexe et à associer cette forme de relation à la sorcellerie et à l’occultisme.
Depuis plus d’une décennie, la Rdc, à l’instar de l’ensemble de l’Afrique, connaît un phénomène sans précédent. Il s’agit de la prolifération des églises dites de réveil, dérivé du protestantisme, dans la capitale congolaise et ses environs. Ces églises plus strictes que les églises classiques catholiques et protestantes, condamnent tous les péchés du monde sauf l’avarice et la cupidité de leurs propres responsables. Le fait que les relations sexuelles entre deux hommes soient aussi considérées dans la Bible comme un acte immoral incite ces évangélistes à considérer l’homosexualité comme un comportement satanique et soutiennent que les homosexuels sont des « occultistes ». Ils vont même plus loin, en déclarant que tous ceux qui seraient attirés par cette forme de sexualité sont des possédés ou des personnes envoûtées par les mauvais esprits.
On peut y voir une lointaine similitude avec la philosophie vaudou haïtienne qui soutient qu’un homme attiré par un autre homme est habité par l’esprit d’une sirène. En Haïti, les homosexuels vénèrent une déesse vaudou et sont convaincus qu’elle est responsable de leur orientation sexuelle.
Pour l’église chrétienne, majoritaire en Rdc, la Bible condamne l’homosexualité et les responsables religieux africains ne ratent pas une occasion pour condamner l’homosexualité. En janvier 2004, le responsable de l’église anglicane en Rdc en avait fait la demande aux dirigeants des autres confessions (3). Le phénomène est le même dans d’autres pays. Au Cameroun, en 2005, au cours de la messe de la saint Sylvestre, Monseigneur Tonye Bakot a profité de son homélie à la cathédrale de Yaoundé pour dénoncer l’homosexualité (4) qu’il considère comme une pratique contre nature, un complot contre la famille et le mariage. A Kampala, une organisation évangélique américaine, Family Life Network, a organisé un séminaire en mars 2009 afin de « définir les causes et les traitements de l’homosexualité, ainsi que pour prévenir son apparition ».
HOMOSEXUALITE ET DROIT
Selon l’organisation International Lesbian and Gay Association (Ilga) (5), l’homosexualité est illégale dans 23 pays africains (6). Un rapport belge de 2002 cite le chiffre de 29 Etats (7). Pour l’association Africagay, 38 des 84 pays ayant des législations interdisant les rapports sexuels entre personnes du même sexe sont africains. Cette interdiction s’exprime soit de façon explicite soit par un biais plus implicite : l’interdiction de la sodomie (8).
Au Zimbabwe, un gay encourt une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à dix années de travaux forcés. Le président Robert Mugabe n’hésite pas à afficher son homophobie en public (il a déclaré qu’ils étaient inférieurs aux « cochons et aux chiens » lors d’une campagne électorale en 1995). Il existe pourtant dans cet Etat des associations homosexuelles très militantes, (9) dont certaines ont même gagné des procès. L’homophobie officiellement avouée n’a toutefois donné lieu à aucune mesure importante notamment parce que le gouvernement n’avait pas de politique relative à cette question, autre que celle d’approuver machinalement les interventions du président.
Le Galz (Gays and Lesbians of Zimbabwe) est dûment enregistré et parfaitement déclaré et ses locaux n’ont pas été pillés depuis 1996 (10). On estimait ses effectifs, à la fin des années 90, à environ 4000 membres essentiellement des Noirs. En 2000, son principal dirigeant, Keith Goddard, fut même innocenté d’accusations de viols (sur une femme…). Cependant, le combat n’est pas gagné d’avance, car Mugabe surfe sur une opinion publique favorable à ses propos. En effet, comme le rappelle Roméo Tshuma, agent de santé du Galz, cité dans un article de 2000 : « L’homosexualité est dans la culture de ce pays un tabou total. Les langues principales du Zimbabwe ne connaissent pratiquement pas de termes neutres pour homosexualité et homosexuels. En revanche, les termes péjoratifs ne manquent pas. (11) »
Il y a quelques années, une affaire de meurtres commise par l’aide de camp du premier président noir (poste à l’époque honorifique) du Zimbabwe, Canaan Sodindo Banana, avait révélé son homosexualité. Il sera finalement jugé pour sodomie sans que le procès ne puisse aller jusqu’au bout, du fait de son décès.
En Ouganda, le président Yoweri Museveni affiche un comportement identique à celui de Mugabe. En 1999, il est allé jusqu’à demander publiquement à la police d’emprisonner les gays. La même année, les militants de l’association homosexuelle Right Companio ont été arrêtés et déportés vers un lieu appelé « safe house ». L’article 140, section C du code pénal ougandais (12) stipule que les personnes condamnées pour homosexualité risquent jusqu’à 7 ans de prison. Les jeunes ne sont pas épargnés. Ceux qui sont soupçonnés d’homosexualité sont purement et simplement renvoyés de l’école et privés du droit à l’éducation.
Au Cameroun, la section 347 du Code pénal condamne les rapports homosexuels d’une peine pouvant aller de 6 mois à 5 années de prison ferme et 200 000 F CFA d’amende. Cette peine peut doubler si une des personnes impliquées est âgée de moins de 21 ans. Dans un entretien datant de 2007, le Camerounais Charles Gueboguo indiquait : « En 2005, 35 personnes soupçonnées d’être homosexuelles ont été raflées par la police dans un bar. Neuf d’entre elles sont restées un an en prison. (13) » En 2007, l’une d’entre elles, séropositive, est morte faute de soins (14).
Au Nigeria ainsi que dans quelques autres anciennes colonies britanniques, la loi victorienne héritée de la Grande Bretagne associe la sodomie à l’homosexualité. C’est ainsi que dans ces pays, les homosexuels sont passibles de 14 ans de peine d’emprisonnement. Dans les 12 Etats du Nord du Nigeria, la situation est encore plus difficile du fait de l’application de la loi coranique qui prévoit la peine de mort. De même au Soudan.
Au Sénégal, la répression des homosexuels s’appuie sur l’article 319, paragraphe 3 du Code pénal sénégalais : « Sans préjudice des peines plus graves prévues par les alinéas qui précèdent ou par les articles 320 et 321 du présent Code, sera puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 100.000 à 1.500.000 francs, quiconque aura commis un acte impudique ou contre-nature avec un individu de son sexe. Si l’acte a été commis avec un mineur de 21 ans, le maximum de la peine sera toujours prononcé. » (…) Le 6 janvier 2009, neuf jeunes homosexuels furent condamnés à huit années de prison ferme (15). Ils ont été libérés en avril, après que la Cour d’Appel de Dakar ait ordonné l’annulation de la procédure.
A côté de ces Etats qui condamnent légalement les rapports entre personnes de même sexe, il y a aussi ceux qui les ignorent en n’en faisant pas mention dans la législation, créant ainsi une situation ambiguë (16). Cette non-reconnaissance laisse place à une homophobie très visible et parfois violente. En 2001, une cinquantaine de personnes accusées d’avoir eu des relations sexuelles entre hommes au Caire (Egypte) ont été condamnés à des lourdes peines. L’année suivante, deux jeunes créateurs d’un site web pour les homosexuels ont été sommés de le fermer par le gouvernement.
En Namibie, le président Sam Nujoma ne rate pas une occasion pour exprimer sa haine vis-à-vis des homosexuels. Bien qu’il n’y ait aucune loi réprimant les amours entre deux hommes ou deux femmes dans ce pays, les personnes engagées dans ces rapports ne jouissent d’aucune liberté. Par exemple, il y a quelques années, un député namibien du nom de Jeremiah Nambingo prévoyait de criminaliser ces relations qu’il jugeait « démoniaque » (17). En septembre 2000, le ministre de l’intérieur namibien de l’époque, Jerry Ekandjo, est allé plus loin en demandant à la police de faire disparaître les gays et les lesbiennes de la Namibie. Malgré cette hostilité si présente, les associations homosexuelles sont nombreuses et très actives, comme au Zimbabwe. En juin 1999, une lesbienne européenne accusée d’avoir une relation avec une citoyenne namibienne a gagné un procès lui donnant les droits identiques à ceux accordés aux couples hétérosexuels.
En février 2009, le gouvernement burundais a présenté un projet visant à criminaliser l’homosexualité, mais celui-ci fut repoussé par le Sénat, ce qui provoqua des manifestations dans Bujumbura.
En Somalie, autre Etat où il n’existe aucune législation, les gays sont exposés à tous les risques une fois qu’ils sont repérés ou dénoncés. Deux lesbiennes en ont été victimes en 2001. Une fois arrêtées, les autorités se sont basées sur la charia pour les punir.
Ce manque de statut légal ne protège donc personne et relève surtout du tabou. On fait semblant de l’ignorer. Avant la crise du 19 septembre 2002, Abidjan était devenue depuis quelques années la ville où les homosexuels pouvaient s’afficher (18). Elle le reste encore et continue d’attirer les gays des pays voisins bien que le Code pénal punit l’homophobie (même si personne n’y fait référence). Cet Etat figure pourtant parmi ceux qui n’ont officiellement ni légalisé ni interdit l’homosexualité. Mais les mentalités sont quand même assez tolérantes et laissent les homosexuels vivre assez librement, même s’il existe une répression sauvage des agents de police en uniforme.
En Rdc, les relations entre deux hommes ou deux femmes ne sont mentionnées nulle part dans le Code pénal. Cependant, l’article 172 réprimant les atteintes à la morale peut être utilisé contre des relations homosexuelles.
Sur l’autre rive, la République du Congo fait partie des rares pays africains à avoir dépénalisé les amours entre personnes de même sexe. Dans cette liste, figurent aussi le Gabon, le Tchad, le Burkina Faso, l’Erythrée, la République sud-africaine, les Comores et le département français de l’île de la Réunion. Dans ces pays, la situation est moins grave. Autorisé sur le plan légal, personne ne peut ouvertement s’attaquer aux homosexuels. Ceux-ci jouissent donc d’une certaine forme de reconnaissance, même si elle reste limitée. Deux personnes du même sexe ne peuvent en effet se marier, adopter un enfant ou célébrer librement la Gay Pride. Le chemin est encore long.
En République sud africaine, la situation est différente. La ville de Cape Town, reconnue pour sa tolérance (19) est considérée comme la San Francisco d’Afrique. La Rsa est l’un des rares pays du Sud (avec Maurice) à célébrer la Gay Pride, journée de la fierté homosexuelle. Pour certains, la raison de cette ouverture d’esprit est due à la présence de la culture occidentale représentée par la minorité blanche sud-africaine qui constitue aussi une force d’influence indéniable. Ce pays présente une situation particulière puisqu’il a été le premier État au monde à avoir intégré l’égalité des sexualités au sein de sa Constitution. Mais cette ouverture ne s’est pas faite du jour au lendemain et a largement profité des apports positifs engendrés par la fin de l’Apartheid.
Avec la chute du régime extrémiste au début des années 90, l’Afrique du Sud a opté pour une politique plus ouverte où l’exclusion d’une communauté, quelle que soit sa couleur, n’était plus acceptée. Cet élargissement, étendu jusqu’aux minorités sexuelles, a permis le développement des mouvements homosexuels à travers le pays et renforcé le dynamisme des associations dans la lutte contre le sida. En 2006, le parlement sud africain ira plus loin en accordant aux homosexuels le droit de se marier.
ABSENCE DE MILITANTISME
Il y a peu de mouvements homosexuels sur le continent hormis à Maurice, en Rsa et au Zimbabwe. Quelques uns sont visibles sur le site commercial www.afriboyz.commais ce sont pour la plupart des associations de vulgarisations sur le Vih et autres formes de maladies sexuellement transmissibles (Mst). Elles sont pour la plupart anglophones (nigériane, zimbabwéenne et kenyane) (20). Cependant, on ressent certaines avancées perceptibles. En octobre 2007, suite à l’atelier de Ouagadougou, l’association française Aides a créé Africagay une association visant à informer sur les droits des homos et à combattre l’épidémie dans les milieux homosexuels (21).
En mai 2007, Johannesburg a accueilli une conférence régionale de la Fédération Internationale Gay et Lesbienne qui a permis de donner naissance à la branche africaine de cette association. Toujours en Afrique du Sud, on peut aussi citer Behind the Mask, site axé sur les gays et les lesbiennes en Afrique (22). Il permet notamment de connaître leur situation légale et sociale dans chaque État du continent, reportant les différents événements d’actualité les concernant et proposant des contacts avec les représentants des mouvements identifiés dans chaque pays. A Maurice, le collectif Arc en ciel milite pour une meilleure compréhension du phénomène Lgbt (Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) et lutte contre l’homophobie. Ils organisent d’ailleurs, chaque année, un festival de cinéma Lgbt dont la première édition se déroula au Centre culturel français et la seconde au Kitch pub à Ebène, dans le centre de l’île.
En Rdc, il n’y a aucun mouvement militant. Les mouvements associatifs sous forme d’amicales sont par contre nombreux mais pratiquement inactifs dans l’encadrement des gays rejetés par leurs familles ou la lutte contre le sida. Ils ont principalement pour but de réunir les homosexuels pour des soirées de fêtes ou des sorties entre amis. Tout cela pousse à la méconnaissance d’une communauté marginale certes, mais qui contribue aussi au développement et à la reconstruction économique du pays. Ce manque de militantisme est évidemment dû à la peur de la stigmatisation que peut entraîner la très grande hostilité de l’immense majorité de la population.
De fait, l’Etat ne prend pas en compte cette communauté. Pour preuve, le gouvernement congolais n’a pas tenu compte des homosexuels dans le Programme national de lutte contre le sida (Pnls) et le récent Programme national multisectoriel de kutte contre le sida (Pnmls). Initié pourtant depuis 1987, le premier programme de lutte contre la pandémie ne s’oriente à ce jour que vers la majorité hétérosexuelle. La même année au cours d’une émission télévisée sur le VIH, un personnel de la santé avait souligné que la transmission du virus par relation homosexuelle était infime au Zaïre (nom de l’époque). Pire encore, un diplomate zaïrois, en poste en Belgique, avait osé déclarer, à cette époque, de forte mobilisation que l’homosexualité n’existait pas en Rdc (23).
Plus de vingt ans après, les messages contre les sida négligent encore le fait que bon nombre de jeunes congolais réputés hétérosexuels peuvent aussi être bisexuels (24). De plus, avec la crise socio-économique aigue, beaucoup de jeunes hétéros se prostituent, aux côtés de jeunes bisexuels ou homosexuels. Le taux de prévalence du Vih en Rdc serait actuellement de 5% et la tranche la plus atteinte est celle allant de 20 à 29 ans (25), tranche comprenant une bonne majorité de la population sexuellement très active. Mais, du fait de cette totale opacité, aucune étude fiable n’existe sur la séropositivité des homosexuels de Rdc. Tout juste quelques données dans un rapport de l’association Africagay : « En 2006, l’étude du CNLS portant sur 17 000 hommes a répertorié seulement 79 hommes à déclarer des rapports homosexuels….. Sur les 9736 hommes dépistés par ACS/AMO-Congo en 2006, seulement 50 se sont déclarés Msm et 11 se sont avérés séropositifs, soit 22%. (26) »
Le mépris face à l’homosexualité est si prononcé que cela donne parfois lieu à des situations assez ridicules. En 2005, lors du référendum sur la Constitution congolaise, certains politiciens mécontents de ce projet ont pris notamment pour cible l’homosexualité pour pousser la population à voter massivement non. En effet, le projet de constitution contenait certains articles qui ont donné lieu à des spéculations, particulièrement à Kinshasa. L’article sur le droit du mariage stipulant que : « Tout individu a le droit de se marier avec la personne de son choix, de sexe opposé, et de fonder une famille… » est devenu sujet de controverse. Pour bon nombre de kinois, l’article était vague et accordait aux homosexuels le droit de se marier. Du jour au lendemain, la nouvelle s’était répandue comme une traînée de poudre sans que la plupart des personnes n’ait réellement lu le projet de constitution. Dès lors pour la majorité des habitants de la capitale congolaise, cette constitution était « immorale » car elle pouvait aussi autoriser des relations « contre nature n’ayant rien à voir avec les coutumes locales ». Certains intellectuels passèrent même à la télévision afin d’appuyer cette idée en soulignant que l’article 40 n’était pas assez détaillé et qu’il pouvait donner lieu à des confusions.
Cette incompréhension conduira certains responsables des églises à demander à leurs adeptes de ne pas se rendre aux urnes le 17 et 18 décembre 2005, jours prévus pour le vote. D’autres personnes allèrent jusqu’à avancer que le projet de Constitution aurait été rédigé par les occidentaux pour assurer leur domination en Rdc d’où l’adoption de certains articles non conformes aux mentalités du pays. La Constitution fut adoptée à une assez large majorité dans le pays, mais l’écart fut plus faible dans la ville de Kinshasa.
Malgré ses quartiers d’ambiance dont la renommée a traversé les frontières du pays (Matonge, Yolo, Bandalungwa, Bon Marché, etc.), la capitale congolaise n’offre pas de lieu propice pour les rencontres entre les hommes ou les femmes. Bon nombre d’entre eux fréquentent les bars, ou boites de nuits hétérosexuelles. Le fait qu’il n’existe pas de lieu de rencontre spécialisé à Kinshasa complique la vie à bien des homosexuels. Fréquenter les boites de nuits ou les bars hétéros pour y rencontrer des probables partenaires signifie prendre le risque de s’afficher. Il faut donc savoir où aller pour draguer. Il y a quelques années, l’un des lieux les plus libéraux de la capitale était le Maisaf, un night-club très en vogue situé dans la commune de Bandal. Ce club était réputé pour son ambiance tolérante. On pouvait y rencontrer les personnes de toutes tendances sexuelles. Et dernièrement, c’est le bar le 3615 sur le boulevard du 30 juin dans la commune de la Gombe qui était en vogue. L’avantage est que ce lieu très cosmopolite permettait de rencontrer des hommes de différentes nationalités.
HOMOSEXUALITE ET MEDIAS
La peur des homosexuels au Congo-Kinshasa est largement amplifiée par les médias qui abordent généralement peu le sujet. Lorsqu’ils le font, c’est souvent sous l’angle du blasphème, en particulier la télévision.
En Rdc, il existe un grand nombre de chaînes de télévision. Kinshasa en compte près de 30 dont une bonne moitié chrétienne à forte dominance protestante, le reste étant des chaînes généralistes. Cette multiplication de stations, due au libéralisme politique des années 90, a entraîné une diffusion d’images non contrôlée, véhiculant des messages souvent inconnus auparavant. Prises sans contrôle sur les télévisions satellitaires, ces programmes fictifs ou réels ont fait découvrir aux Congolais, en général et aux Kinois, en particulier, une certaine forme de liberté des mœurs : les films érotiques, autrefois interdits sur le petit écran, sont largement diffusés les week-ends, les clips vidéos osés ne sont plus censurés, les télé-réalités américaines ou françaises sont très prisées (The Jerry Springer Show ou Ça va se savoir !), etc.
Parmi ces images diffusées, celles abordant l’homosexualité ont été librement diffusées, les programmateurs de chaînes étant peu soucieux du contenu de ces émissions étrangères. Dernièrement, ces mêmes stations ont lancé des programmes locaux à téléphone ouvert où des téléspectateurs s’attaquent, avec la complicité des animateurs, sans retenue, à la façon de vivre de certaines personnes. Ces chaînes de télévision commerciales cherchent l’audience par n’importe quel moyen en s’inspirant de la télé réalité : provocation, débat sur la sorcellerie, la magie noire, l’insolite et évidemment l’homosexualité.
Deux cas d’émissions suivis sur deux stations émettant à Kinshasa nous ont choqué par leur approche ainsi que par les déclarations rapportées. La première est une émission diffusée en octobre 2004 sur Télé Kin Malébo (Tkm). Intitulé « À la barre » et programmé le vendredi en début de soirée, ce programme ayant pour objectif la vulgarisation du droit, est présenté par un juriste de formation. Le numéro diffusé ce soir là avait pour thèmes la sorcellerie et l’homosexualité. Le présentateur (et producteur de surcroît) n’avait pas pour but de parler des droits des gays et ceux des personnes responsables d’actes de sorcellerie mais des sanctions juridiques prévus à leurs intentions.
Dans la première partie consacrée aux sorciers, les intervenants ont reconnu qu’aucune sanction n’était légalement prévue pour ces personnes. Cela ne les a cependant pas empêché de déclarer que le supplice du collier serait le remède pour les punir. La seconde partie fut sur le même mode. Les intervenants ne différenciaient pas les deux thèmes. Certains participants estimaient d’ailleurs que les homosexuels n’avaient aucun droit et que « le châtiment corporel était l’unique chose qu’ils méritaient ».
L’amalgame fait entre ces deux thèmes très différents a entraîné une énorme confusion en particulier pour les personnes n’ayant pas bien suivi le début du programme.
L’autre émission choquante a été diffusée en mars 2005 sur la chaîne commerciale Antenne A. Intitulé « A nous deux », ce programme sentimental, se déroulant à téléphone ouvert, est censé procurer des conseils aux personnes ayant vécu des peines de coeur. Ce jour-là, l’animateur n’en donna aucun mais passa son temps à critiquer et à condamner les homosexuels. Après quelques minutes de débat très homophobe avec les invités, les interventions téléphoniques furent l’occasion d’une véritable dénonciation des jeunes présumés gays dans les quartiers, les dortoirs des universités, dans les écoles, etc. Heureusement, aucun nom de personnes ne fut cité.
De fait, faire semblant d’être hétérosexuel est la destinée de beaucoup d’homosexuels en République démocratique du Congo où rares sont ceux à vivre leur sexualité au grand jour Mais cette responsabilité des médias n’est pas propre à la Rdc. Les exemples abondent. Au Cameroun, le journal L’Anecdote a publié en 2005 un top 50 des personnalités présumées homosexuelles. Le journal s’est vendu à plusieurs milliers d’exemplaires et son prix est rapidement passé de 300 à 2000 F Cfa. En 2008, au Sénégal, le n° 20 d’un magazine people, avait publié les photographies d’un mariage gay qui avait été célébré à Petit Mbao, à 20km au sud-est de Dakar. Les 5 jeunes reconnaissables sur la photo, furent interpelés par la Division des investigations criminelles. Rien de moins… (27)
Mais parfois, les journaux jouent leur rôle d’information et d’éveil. Ce fut le cas en mars 2008, lorsque Maroc Hebdo publia un dossier intitulé : « Faut il légaliser les homos ? » (28). On peut même voir en Côte d’Ivoire, des séries télé mettant en scène des homosexuels.
IMAGE SOCIALE
Dans la société congolaise l’union entre un homme et une femme revêt souvent un sens sacré. Les personnes non mariées ne jouissent donc d’aucune considération. La crise que connaît le pays a favorisé une forme de concubinage surnommée en lingala « yaka tofanda » qui peut se traduire par « viens vivre avec moi ». Ce phénomène de société, inconnu auparavant, s’explique par l’impossibilité pour l’homme de payer la dot de la femme. Vivre en couple demeure fondamental au Congo-Kinshasa où le célibat est très mal accepté voir méprisé. D’ailleurs, les églises évangéliques n’hésitent pas à inciter les jeunes à se marier et à fonder une famille, allant même jusqu’à dire que ceux qui ne se marient pas sont possédés par un esprit appelé « mari de nuit » ou « femme de nuit ». Ces discours provoquent un malaise auprès de certains jeunes encore célibataires ayant atteint la trentaine. Face à cela, chacun peut comprendre qu’un homosexuel n’a pas le choix dans une telle société. Pour ne pas éveiller les soupçons de leur entourage ils sont contraints de se marier dès qu’ils atteignent un certain âge.
Les mariages précoces sont d’ailleurs fréquents en Rdc où la loi, datant d’avant la constitution de la troisième République, fixait l’âge de la majorité pour la jeune fille à 14 ans. En 2000, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef) avait placé le Congo-Kinshasa en tête des Etats favorisant les unions entre des hommes adultes et des filles mineures. En effet, 74% de filles se mariaient avant d’avoir atteint 18 ans, âge minimal universellement reconnu pour la majorité.
Dans la lutte contre le sida, les homosexuels restent ignorés. L’Ong congolaise Association santé famille (Asf) ne s’intéresse jamais à la communauté gay dans ses campagnes sur le port du préservatif. Ses spots et ses dépliants ne montrent que les images des rapports hétérosexuels. Ce fait est général à toute l’Afrique. Selon les résultats d’une étude menée en 2007, par la Commission internationale pour les droits des gays et des lesbiennes (Iglhrc), intitulée « Off the map : comment les programmes Vih/sida échouent à prendre en compte les pratiques entre personnes du même sexe en Afrique », les homosexuels sont exclus des programmes de lutte contre l’épidémie à travers le continent africain. En juin 2008, trois Ougandais furent même emprisonnés durant 48 heures suite à une conférence sur le sida car ils demandaient « à ce que les politiques de prise en charge et les outils de prévention du Vih, s’adressent également aux gays et aux lesbiennes ». La justice ougandaise leur donna finalement raison en décembre 2008, en jugeant discriminatoire leur emprisonnement.
Nous sommes allés un jour dans leurs bureaux de Kinshasa pour en connaître la raison. L’un des leurs responsables nous a tout simplement répondu que des campagnes destinées à cette minorité sexuelle ne sont pas prévues dans leurs projets.
Les communautés homosexuelles africaines sont pourtant cruellement touchée par la maladie : « les quelques études réalisées montrent que le taux de prévalence de l’infection à VIH est nettement supérieur chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes qu’au sein de la population générale. Fort taux de prévalence auprès des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes : 21,7 % contre 0,7% auprès de la population générale au Sénégal d’après les chiffres de la Division sida du ministère de la Santé. Une étude similaire au Kenya suggère une séroprévalence de 40% chez les Msm contre 6,1% en moyenne. (29) ».
LE KIPOPO : UN LANGAGE SECRET POUR COMMUNIQUER
En Rdc et plus particulièrement à Kinshasa, les homosexuels ont créé un dialecte pour communiquer sans être repérés. Ce langage secret appelé dans le milieu « kipopo », utilise des mots codés pour exprimer un message. Incompréhensible pour les non initiés, ce dialecte est très courant chez les homos kinois. Il s’est surtout développé au cours de ces deux dernières décennies suite à l’oppression morale que subit cette communauté dans le pays.
Il faut noter que le mot kipopo vient de popo, nom donné dans les années 30-40 aux Africains de l’Ouest, précisément aux Béninois, aux Togolais et aux Ghanéens venus travailler dans les usines des colons belges de Léopoldville. Les gays de Kinshasa ont simplement emprunté ce mot et l’ont rebaptisé kipopo c’est-à-dire le popo, la langue des popo ou ce qui est propre aux popo. Ils ont détourné des mots ou des termes lingala ou français de leurs sens originels pour leurs attribuer d’autres significations. Ainsi, ils peuvent s’exprimer librement sans éveiller des soupçons ni être repérés (30).
Cette difficulté à vivre sa sexualité est courante en Afrique où l’homosexualité reste tabou même au cinéma et dans la littérature où elle n’est que très discrètement abordée. En littérature, tout juste peut on citer « Lalana » (31) de la malgache Michèle Rakotoson (32) et « La fête des masques » (33) du Togolais Sami Tchak. On connaît également un témoignage écrit, celui de Charles Gueboguo en 2006 (34). Au cinéma, le seul long métrage de fiction est « Dakan » du guinéen Mohamed Camara (35). En matière de documentaires, on peut en citer deux sur les travestis : le magnifique « Woubi chéri » de Philip Brooks (36) qui se déroule en Côte d’Ivoire et pour Haïti, « Des hommes et des dieux » d’Anne Lescot et Laurence Magloire. Mais le bilan reste assez restreint à l’échelle du continent…
Pourtant l’enjeu est d’importance, sans parler de tolérance et du respect dû à chaque individu de vivre sa vie comme il l’entend, il n’en est pas moins vrai que le silence et la stigmatisation tuent. En effet, le sida fait des ravages en Rdc et le combat pour une meilleure prévention des risques est crucial.
En attendant, la vingtaine de personnes rencontrées au cours de cette longue enquête – étendue sur quatre années – ont toutes fait part de leur calvaire et de leur souffrance. Toutes ont réclamé le plus total anonymat, toutes nous ont demandé de gommer le moindre indice permettant de les reconnaître, ce qui ne nous a pas permis d’exploiter l’ensemble des informations recueillies. Elle ne réclamaient pourtant qu’une chose, résumée par une formule souvent galvaudée, mais qui, ici, a du sens : le droit à l’indifférence. Tout simplement.
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NOTES
1. Publié aux éditions Palgrave Mac Millan à New York en 1998.
2. Vangroenweghe Daniel, Sida et sexualité en Afrique, éditions EPO, 2000, 480 pages.
3. Source : afrol.com
4. In Afrique magazine n° 247, avril 2006
5. Source : afrol.com
6. On y compte l’Angola, la Zambie, le Botswana, le Swaziland, le Mozambique, le Zimbabwe, le Malawi, le Soudan, l’Ouganda, le Kenya, l’île Maurice, le Cameroun, le Nigeria, le Togo, Djibouti, la Guinée Conakry, le Liberia, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye et le Cap Vert.
7. Le sida et les rapports sexuels entre hommes en Afrique Noire par Robin Sappe en 2002, visible sur http://semgai.free.fr/doc_et_pdf/Se..
8. C’est le cas en Tunisie (qui prévoit jusqu’à trois années d’emprisonnement) et à Maurice. Force est de constater dans ce dernier cas cependant que les seules personnes incriminées sous ce motif étaient des hétérosexuels (dans des cas de viol par exemple ou de divorce à problèmes).
9. En particulier le Galz (Gays and Lesbians of Zimbabwe) dont les membres se font régulièrement arrêter, mais plus comme partisans supposés du MDC (mouvement d’opposition) que pour leur orientation sexuelle.
10. Cf. les déclarations de Keith Goddard, directeur du GALZ en réponse à des demandes d’informations de la Commission canadienne de l’immigration :http://www2.irb-cisr.gc.ca/fr/reche..
11. Cité par Bochow Michael, Enjeux de la prévention chez les homosexuels et bisexuels masculins au Sud et au Nord, Transcriptase Sud, n°5, Paris, automne 2000.
12. Un article de Jeune Afrique du 16 mars 2009 parle même d’emprisonnement à vie au sujet de l’Ouganda.
13. Confidences de Charles Gueboguo, Jeune Afrique N°2428, du 22 au 28 juillet 2007, p. 47.
14. Cf. http://www.africagay.org/docs/CP-06…
15. Un des jeunes qui était arrivé à s’échapper, Pape Mbaye, a obtenu le statut de réfugié politique aux Etats-Unis.
16. Il s’agit de la Rdc, du Burundi, du Rwanda, de la Namibie, du Lesotho, de Madagascar, des Seychelles, de la Somalie, de la Sierra Leone, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée équatoriale et de l’Egypte.
17. Source : Ilga
18. Pour info, lire Le Pape Marc, Vidal Claudine, Libéralisme et vécu sexuel à Abidjan in Cahiers Internationaux de la sociologie, volume LXXVI, 1984.
19. Il y a même une communauté de musulmans gays dans cette ville.
20. On peut y ajouter L’Ilga (http://www.ilga.org) et l’Ilghrc (http://www.iglhrc.org), deux associations qui s’engagent pour le respect des droits des homosexuels et transsexuels ainsi que des personnes séropositives à travers le monde.
21. Africagay a été créé par 18 organisations de lutte contre le sida venues de 10 pays d’Afrique : Burkina-Faso (Aas, Alavi, Revs+), Burundi (Anss), Cameroun (Alternatives Cameroun), Mali (Arcad/sida), Maroc (Kénégoudou Solidarités, Alcs), Niger (Mvs, Arc en ciel plus), Cote d’Ivoire (Rsb, Ruban Rouge), République démocratique du Congo (Acs/Amo-Congo), Sénégal (Ancs), Tunisie (Atl) et France (Colibri, Aides).
22. http://www.mask.org.za
23. Toutes les anecdotes relatées dans cet article sont le fruit d’entretiens avec différentes personnes. Elles ne font pas forcément l’objet de notes de bas de page indiquant des références.
24. Ce fait n’est pas propre à la Rdc et est également souligné dans le rapport de Robin Sappe sur le Sénégal (Le sida et les rapports sexuels…. Op. Cit.)
25. Source : Rapport 2004 Onusida
26. Pratiques homosexuelles et prévention du Vih/sida en Afrique, Actes de l’atelier de Ouagadougou, 1-5 octobre 2007, p.16.
27. Au Maroc, on a même vu un journal trop prompt à révéler l’homosexualité de certaines personnes, condamné pour diffamation à plus de 500 00 € d’amendes…..
28. Maroc Hebdo, N°829, 6-12 mars 2009.
29. http://www.africagay.org/index.html mais ces chiffres ont été communiqués par Off the map.
30. Petit dictionnaire du kipopo : Beyanga : sucer (tiré d’une célèbre chanson du même nom du chanteur Tabu Ley), Etre à douze heures : être très excité (en référence à l’aiguille indiquant midi), Kitambo : passer l’acte sexuel entre partenaire de même sexe (à l’origine kitambo est le nom de la plus vieille commune de Kinshasa) Kowumba ou kowoumba : pénétration anale, Kiassa : la position du missionnaire, Lisamboli : coming out, sortir du placard, se faire repérer ou démasquer. Lotobo : anus, Mades : passif, Mari bongola : versatile (du français mari = époux et lingala bongola= changer), Mobambu ou mobambou : pénis, Mur de Berlin : personne homophobe ou qui ignore cette forme de sexualité. Mwana mama Maria : partenaire de race blanche, Ntolomo : gros pénis, Pacha : actif
31. Lalana. París : L’Aube, 2002, ISBN 2-87678-783-0
32. On peut lire l’entretien qu’elle a accordé en 2005 dans le numéro Afrique rose de Africultures, visible sur http://www.africultures.com/php/ind..
33. La fête des masques, 2004, Paris, Gallimard (traduit en italien : La festa delle maschere, Morellini, 2005)
34. Charles Gueboguo, La question homosexuelle en Afrique : le cas du Cameroun, L’Harmattan, 2006.
35. Cf. http://www.africultures.com/php/ind..
36. 1998. Documentaire de 62’ réalisé par Philip Brooks et Laurent Bocahut.
Kinshasa (Rdc) – Rose Hill (Île Maurice) Enquête et entretiens effectués de 2004 à 2007.