« C’est la compétence de l’adulte qui élève l’enfant qui compte, non son orientation sexuelle », voilà ce que répond un juge au projet de loi.
L’hétérosexualité est tout sauf une garantie de bien-être pour les enfants, indiquez-vous sur votre blog. Les couples d’homosexuels ne sont a priori ni de pires ni de « meilleurs » parents que les hétérosexuels, tant sur les plans de l’éducation, de la transmission des valeurs et de l’amour. Est-ce là pour vous un argument-clé en faveur du projet ?
Michel Huyette : Ce n’est pas en soi un argument en faveur du projet. Mais le bien-être des enfants, argument souvent mis en avant contre le mariage de personnes de même sexe, n’est pas un argument pertinent. L’institution judiciaire constate tous les jours que les enfants, dans les familles ordinaires, c’est-à-dire constituées d’enfants grandissant auprès de parents hétérosexuels, sont bien plus souvent malmenés que ce que l’on voudrait nous faire croire. Présenter la famille classique comme une garantie de paix et d’harmonie est une véritable supercherie, tant la réalité est contraire.
Du point de vue des enfants qui ont vécu avec des parents de « substitution » ou d’adoption, le lien affectif serait aussi plus important que le lien biologique…
J’ai acquis une certaine expérience auprès des familles et des enfants, puisque j’ai travaillé pendant 20 ans dans les juridictions pour mineurs. Cela me permet de dire avec certitude que ce qui fait des enfants forts, équilibrés, stables, c’est un environnement affectueux et sécurisant, avec des adultes fiables, solides, qui les aident, les encouragent, les accompagnent et savent les aimer. On le constate très bien en regardant ce qui se passe quand des enfants sont retirés de leur famille d’origine et confiés à des tiers. Ces enfants expliquent eux-mêmes que ce qui est positif chez ces tiers est qu’ils y trouvent le calme, des attitudes d’adultes qui les mettent en confiance, etc., et ils disent alors en quoi « c’est mieux qu’à la maison ». Autrement dit, c’est la compétence de l’adulte qui élève l’enfant qui compte par-dessus tout, non son orientation sexuelle.
Avez-vous connaissance de cas d’enfants élevés par des couples d’homosexuels ayant été signalés à l’autorité judiciaire?
Non, je n’ai jamais entendu dire, ou lu, que cela générerait des situations désastreuses pour ces enfants qui ne sont pas spécialement signalés à l’autorité judiciaire. Et j’ai aussi constaté que tous ceux qui mettent en avant des « études » contre le mariage pour tous n’en produisent jamais aucune. De fait, aujourd’hui, des enfants grandissent auprès d’adultes de même sexe, et cela sans difficulté particulière.
Comment l’enfant qui a deux « papas » ou deux « mamans » va-t-il se refléter dans le regard de ses camarades d’école évoluant au sein de couples hétérosexuels : la simple « différence » de dénomination peut-elle causer une souffrance ?
C’est poser la question à l’envers. D’abord, l’enfant, comme tous les enfants, aura bien d’autres repères que les adultes qui l’élèvent. Il verra des couples hétérosexuels partout autour de lui (famille, voisins, amis, école, etc.). Mais surtout, quand un enfant est différent des autres (trop gros, trop petit, bègue, pauvre et moins bien habillé, etc.) et qu’il est moqué, son malaise ne provient pas tant de ce qu’il est que du regard malsain des autres. Ce sera donc la moquerie des autres qui pourra générer le malaise chez les enfants qui grandissent auprès d’adultes de même sexe, quand bien même ils sont très bien avec ces adultes.
Comment expliquez-vous alors que certains pays aient autorisé le mariage des couples d’homosexuels tout en refusant l’adoption par ces mêmes couples ?
Le mariage de personnes de même sexe n’est pas, c’est exact, l’enjeu principal. S’agissant de l’adoption, je crois une fois encore que l’erreur est de partir de ce que sont les adultes-parents, et non pas des réels besoins des enfants. Par ailleurs, il y aurait quelque chose d’absurde en continuant à autoriser l’adoption par un célibataire homosexuel, qui peut se mettre en couple avec une personne de même sexe à tout moment après l’arrivée de l’enfant, et dans le même temps à refuser l’adoption à un couple de personnes de même sexe déjà constitué. Or, à ce jour, personne ne propose de modification des règles actuelles. C’est pourquoi l’une des critiques les plus fortes que l’on peut faire aux opposants à une évolution législative est l’incohérence de leurs positions.
Finalement, d’après vous, quelle est la vraie difficulté dans l’imbroglio du débat actuel ?
Demain, la loi sera votée et, comme c’était le cas avec le pacs, après une période de prédiction de fin du monde, plus personne ne fera attention aux familles avec des parents de même sexe. Dans quelques années, si ce n’est quelques mois, le mariage de couples déjà constitués et la présence d’enfants auprès d’adultes de même sexe ne généreront aucune difficulté, et probablement n’intéresseront plus personne.
La principale problématique, qui est aussi la source des très vives tensions actuelles, c’est l’acceptation de la différence. Ce qui est de plus en plus inquiétant, ce sont les manifestations verbales et physiques de ces derniers jours dirigées contre les homosexuels ou ceux qui se montrent favorables à l’évolution de la loi. Cela montre à quel point l’intolérance est encore parmi nous. On voit réapparaître de façon insidieuse la haine de l’autre, de celui qui n’est pas dans la norme. C’est pourquoi je suis convaincu que le mariage pour tous n’est qu’un prétexte. L’enjeu fondamental, c’est la tolérance et l’acceptation des différences ou, à l’inverse, la haine et le rejet de l’autre. Et on sait où cela conduit les civilisations…
Michel Huyette, conseiller à la cour d’appel de Toulouse et ancien juge des enfants, interrogé par Le Point.fr
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