>> A Trans Woman Enters the Restroom
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Gabrielle Bellot est journaliste pour le New York Times, le Guernica Magazine, Autostraddle ou encore Slate.com qui relaie une tribune, dans laquelle l’auteure dénonce un « énième projet de loi » déposé en Indiana, qui entend criminaliser les personnes trans, qui n’utilisent pas les toilettes correspondantes à leur sexe de naissance.
Gabrielle est une femme trans et confie avoir « l’impression d’être un vampire qui pourrait voir son autorisation de séjour révoquée à tout moment » : « Parfois, avant de sortir de chez moi, je m’habille d’une manière plus féminine que prévu pour faire en sorte que, si j’ai besoin d’aller aux toilettes, les inconnus croisés m’étiquettent davantage comme femme banale que comme menace, envahisseur, danger… »
>> L’année est encore nouvelle mais elle charrie déjà son lot de vieilles angoisses… Dans le débat sur le mariage homosexuel, les Républicains ont été largement perdants et savoir qui a le droit d’utiliser quel type de toilettes est un nouveau rouage de leur machine à peurs –une évolution d’autant plus criante après l’échec, à Houston, du référendum visant à autoriser les femmes trans à se rendre dans les toilettes de leur choix. Et cette nouvelle loi, proposée (fin décembre) par le Sénateur Jim Tomes, en Indiana, est des plus draconiennes.
Si elle passe, les trans pourront être condamnés à un an de prison et 5.000 dollars [environ 4.500 euros] d’amende s’ils n’utilisent pas les toilettes correspondantes à leur sexe de naissance –qu’importe que leur genre soit reconnu par la loi, qu’importent les procédures de réassignation subies.
C’est une loi qui nous enchaîne à notre corps de naissance, une loi qui refuse l’existence même des personnes trans, une loi née d’une méconnaissance fondamentale de l’humiliation –et du danger– qu’une femme trans –comme moi– peut encourir si elle ne se rend pas dans des toilettes pour femmes. Une loi qui ignore combien nous sommes d’ores et déjà nombreuses à être incapables d’aller aux toilettes sans être percluses de peurs.
Étau de nervosité
Je suis avec une amie dans un centre commercial de Floride. Après avoir acheté des fringues au H&M, elle me dit devoir passer aux toilettes. Moi aussi, alors je la suis. Mon cœur s’emballe à la vue des symboles genrés. Je suis une femme, je vais donc dans les toilettes que j’utilise toujours –celles des femmes–, mais il y a foule dans ce centre commercial. Plein d’inconnus qui me font dire que, cette fois-ci, peut-être, quelque chose de moche va m’arriver. Ma nuque se tend, ma vue se brouille. J’ai toujours été androgyne et je ressemble à beaucoup de femmes multiraciales de la Dominique, mon pays d’origine. Un endroit où je ne me sens plus en sécurité depuis mon coming-out de femme trans. Reste que, dans l’atmosphère américaine, dense de psychoses politiquement orientées sur les personnes comme moi –nous serions des prédateurs sexuels qui s’insinuent dans les lieux d’aisance pour agresser les « vraies » femmes et leurs filles–, je ne suis jamais sereine lorsque que me rends aux toilettes. Avant même d’entrer, j’ai déjà conçu une topographie mentale des dangers que je peux encourir et j’espère que l’étau de nervosité qui m’enserre le crâne ne s’est pas réellement matérialisé. Sinon, c’est sûr que je ne passerai jamais la porte.
Quelques secondes avant d’entrer, ma voix n’est plus qu’un murmure et je commence à me réexaminer devant mon miroir intérieur: il faut que ma tenue soit nette, adéquate, ou je risque d’attirer l’attention, une attention qui pourrait se transformer en peur et en panique dans les yeux de la mauvaise femme. Parfois, avant de sortir de chez moi, je m’habille d’une manière plus féminine que prévu pour faire en sorte que, si j’ai besoin d’aller aux toilettes, les inconnus croisés m’étiquettent davantage comme femme banale que comme menace, envahisseur, danger, homme. Ce jour-là, le schéma est respecté. Ce qui me frustre: ni mes habits, ni mon maquillage ne composent mon genre, alors que ces artifices peuvent faire office d’armure pour certaines femmes trans, une protection contre des soupçons hostiles, une manière de diminuer les risques d’un bruit et d’une fureur voulant dire bien trop de choses. Être transgenre, c’est se confronter à la question de l’interaction entre corps et esprit et, tant de fois, des détails a priori accessoires ou anodins pour des femmes cisgenres obnubilent notre esprit de femmes trans à mesure que nos corps s’avancent vers une même destination.
Parfois, avant de sortir de chez moi, je m’habille d’une manière plus féminine que prévu pour faire en sorte que, si j’ai besoin d’aller aux toilettes, les inconnus croisés m’étiquettent davantage comme femme banale que comme menace, envahisseur, danger, homme
Je baisse encore un peu la voix et mon amie, après m’avoir jeté un regard, en vient à m’imiter. Elle n’est pas transgenre, et je ne lui ai pas parlé de mon angoisse des toilettes, mais elle a visiblement saisi les signaux de ma peur. La voix est un élément crucial: une voix qui ressemble à celle d’un homme, une voix de poitrine oscillant entre 85 et 160 hertz, pourra retourner des têtes, réorienter des regards dans votre direction et, parfois, faire qu’on vous exhortera à sortir. Quelqu’un pourrait même appeler la police. Autant d’événements qui se produiront uniquement parce que quelqu’un, de prime abord, aura vu en vous une femme trans.
Je fais tout mon possible pour que ma voix, même chuchotée, ait l’air correcte. J’ai travaillé des mois pour obtenir le timbre et la hauteur de voix d’une femme cisgenre moyenne. La voix que j’ai toujours voulu avoir, celle qui diminue les risques d’entendre des gens au téléphone refuser de me servir sous mon nom légal. Une voix qui réduit les probabilités que je me fasse frapper, harceler, tuer. Dans les toilettes, plus que nulle part ailleurs, la terreur que je ressens est liée à ma voix. Ma thérapeute ne le comprend que trop bien. «Parfois, m’explique-t-elle, quand je vais dans des toilettes avec des femmes trans qui n’ont pas encore suffisamment travaillé sur leur voix, je leur conseille simplement de ne pas dire un mot. C’est plus sûr.»
Nous entrons.
Écriteau «Femmes»
Comme à chaque fois, à peine la porte passée, je cartographie rapidement la géographie des lieux. Là la sortie, là les cabines, là-bas les lavabos.
Ce qui pourrait sembler absurde. Ce ne sont que des toilettes, ne cessé-je de me répéter. Cette idée de passer un seuil pourrait sembler hyperbolique. Mais non: j’ai l’impression d’être un vampire qui pourrait voir son autorisation de séjour révoquée à tout moment. Je crains qu’on me chasse, qu’on me hurle dessus, que la police qu’une femme aurait appelée vienne à me déloger. Être trans dans un monde transphobe peut transformer des lieux tout à fait banals en territoires de terreur.
Une femme, grande, me contourne. Elle me regarde brièvement, continue son chemin. Une femme de ménage me sourit: «Bonjour Madame» Je lui rends son sourire mais mon cœur est si lourd que je crains qu’elle entende ses battements de malade. Les cabines sont toutes occupées, alors j’attends. Je me regarde dans le miroir pour ne pas avoir à parler à la femme de ménage. Je vérifie une nouvelle fois de quoi j’ai l’air. Comme je suis un traitement hormonal, quasiment tous les poils de mon visage ont disparu et, en général, les gens me prennent pour ce que je suis. Mais il y a toujours des regards ambigus, celles qui me dévisagent. Mon apparence, et c’est injuste, me facilite un peu la vie en ces lieux –mais les angoisses sont réelles pour nous toutes. Elles peuvent être encore pires pour des femmes trans qui ne «passent» pas –s’il faut utiliser un terme que je déteste– immédiatement pour des femmes. Des angoisses que des femmes cisgenres au look androgyne peuvent aussi connaître, à l’instar de Cortney Bogorad, une femme cis éjectée d’un restaurant de Détroit l’an dernier parce qu’elle avait voulu aller aux toilettes des femmes et qu’un agent de sécurité l’avait prise pour un homme.
Enfin, une cabine se libère. Je m’assois, contrairement aux caricatures graveleuses que l’on fait de nous –des barbus en robe qui pissent debout. Je ressors de la cabine. Me lave les mains, scrute mon visage, cette mèche de cheveux qui commence à fourcher, puis je rejoins mon amie. Mon cœur bat toujours plus vite qu’il ne devrait mais mon monde est revenu, brièvement, à un stade proche de la normalité. Comme beaucoup d’autres femmes trans, je ne veux pas de traitement spécial. Je ne veux pas qu’on me félicite ou qu’on m’agresse parce que je fréquente des toilettes publiques. Je veux que cela soit un non-problème, et je ne veux pas non plus de toilettes séparées de mes congénères féminines. Je veux simplement vivre, comme les autres femmes, et aller aux toilettes sans risquer l’esclandre. Je veux que ces angoisses cessent de revenir dès que je lis l’écriteau «Femmes».
Mais ce n’est pas encore un non-problème, pas encore. Quand je vois des pancartes qui me disent que je n’ai pas ma place dans les toilettes pour femmes, quand je consulte des lois intimant aux gens nés avec tels ou tels organes génitaux d’aller exclusivement de tel ou tel côté, je me demande vraiment ce que serait ma vie si j’étais obligée d’aller dans les toilettes pour hommes. Les hommes, aussi, me diraient probablement que je ne suis pas à la bonne place. Il y en auraient peut-être pour vouloir me casser la gueule, voire pour me la casser vraiment si je ne déguerpis pas dans la seconde. Je me demande si les porteuses de pancarte «Pas d’hommes dans les toilettes pour femmes» sont les mêmes femmes qui me regardent de travers, celles qui n’ont pas l’air de comprendre que je suis une femme comme elles.
En vérité, personne n’est complètement en sécurité nulle part mais personne ne devrait avoir à ressentir le niveau d’angoisse que nous ressentons à l’idée de devoir, simplement, aller dans des toilettes publiques. Ce n’est pas une question de droits spéciaux, il s’agit simplement de nous permettre d’être ce que nous sommes. C’est une simple question de droits humains. Sous des législations comme celle que propose le Sénateur Tomes, et toutes les autres que nous verrons probablement proposées en 2016, nous sommes des criminels présumés simplement parce que nous sommes différents, simplement parce que nous avons été assignés à une identité que nous n’avons pas choisie. Une différence présumée criminelle. Nous ne pourrons emprunter le chemin de l’égalité tant que nous continuerons à voir la différence comme un danger.
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>> For me, it is already a new year of old fears. 2016 has scarcely begun, and there is already yet another bill, from the end of December, being proposed to criminalize transgender persons—like myself—for using the restroom that corresponds with our gender identity.
Republicans have largely lost the cultural debate on same-sex marriage, and so the question of who can use what restroom has become the new site of fear-mongering rhetoric—a shift made chillingly clear after the failure of Houston’s Equal Rights Ordinance. And this new law, which has been proposed by Sen. Jim Tomes in the Indiana state legislature, is as draconian as they get. Tomes’ bill would put us in jail for up to a year and charge us as much as $5,000 for using any restroom that does not correspond with the sex we were assigned at birth—regardless of whether our gender is recognized by the law, regardless of whatever gender confirmation procedures we may have had. It is a bill that binds us to our bodies from birth, a bill unwilling to imagine that transgender people truly exist, a bill born out of a fundamental lack of understanding of how demeaning—and dangerous—it is for a transgender woman—like me—not to use the women’s restroom. It is a bill that fails to recognize the fears that follow so many of us into the restroom already.
* * *
I am at a mall with a friend in Florida. We have been shopping for clothes at H&M, and she says she needs to use the restroom. I do, too, so I go with her. My heart starts to beat a bit faster when I see the gendered signs. I am a woman, and I am going to use the bathroom I always do—the women’s—but in a place as dense with strangers as this mall, I worry that this may be the time that something bad occurs. Pinpricks shoot up the back of my neck. I have always been androgynous, and I look like many other multiracial women from my home of Dominica in the Caribbean, a place I no longer feel safe returning now that I have come out as a trans woman. But in an American atmosphere dense with fear-mongering about how people like me are little more than sexual predators sneaking into bathrooms to assault “real” women and their daughters, I am never without some fear entering the restroom. Even before we near the door, I have already begun to chart the topography of the dangers that could come, hoping I do not give off so bright an aura of nervousness that I will be stopped even before I reach the threshold of the facilities.
As my friend and I approach the door, my voice drops to a whisper and I begin to reexamine myself in the mirror of my mind: I feel a need for my outfit to look neat and right so that I do not draw unnecessary attention to myself, attention that might turn to fear and panic in the wrong woman’s eyes. At times, before venturing out, I have dressed in more feminine fashion than I wanted to simply so that if I had to use the restroom, the see-saw of how a stranger perceives my gender would tip more toward unremarkable female and less toward threat, invader, danger, male. Today has followed that template. It frustrates me: Neither clothes nor makeup make up my gender, yet for some trans women they can become our armor of sorts against arousing hostile suspicion, a way to lessen the chance of a sound and fury that signifies all too much. To be transgender is to confront a question of how mind and body interact, and so often things that can seem unimportant or trivial to many cisgender women loom large in the minds of trans women as our bodies approach the same destination.
I lower my voice more, and my friend, after glancing at me, does the same. She is not transgender, and I have not told her my fears about the restroom, but she seems to have picked up the signals of my fear. Voice is crucial: If you have a voice that sounds like an average male’s, a lower chest voice from around 85 to 160 hertz, you will get heads turned toward you, glares sent your way, and, in some cases, be told to leave. Someone may even call the police. And, of course, any of this could happen simply because someone has read you as a trans woman from first glance.
I do my best to make sure my voice, even at almost a whisper, sounds right; I have worked for months to get it into the pitch and timbre range that most cisgender female voices fall into. This is the kind of voice I have always wanted, and it also the kind that will lessen my chances of having people refuse me services in my legal name over the phone, reduce my probability of being punched, followed, killed. In bathrooms more than anywhere else, I feel terror due to my voice. My therapist understood all too well. “Sometimes,” she told me, “when I go out with trans women who haven’t worked on their voices, I tell them to just not say a word to me in the bathroom. It’s safer.”
We step in.
Like with every other restroom, I quickly map out the geography of the space once I’ve passed the threshold—here is the exit, there are the stalls, there are the sinks.
It seems absurd. It’s just a restroom, I remind myself. To speak of crossing thresholds is hyperbole. But it is not. I imagine being un-invited like a vampire, kicked out, yanked out by police officers a woman has called. Being trans in a transphobic world can transform mundane spaces into landscapes of terror.
A tall woman passes from around the corner. She glances at me, then continues on. A woman cleaning the floor smiles at me. “Good afternoon, ma’am,” she says. I smile at her, but my heart is so loud I fear she will hear its mad beat. The stalls are all occupied, so I wait, glancing at myself in the mirror to avoid speaking with the woman cleaning and to confirm how I look. Since I am on hormone replacement therapy and have lost virtually all of the facial hair I once possessed, I am usually able to be accepted, at a glance, for what I am. But I still get the confused glances, the glares. How I look, unfairly, makes it a bit easier for me in here—but the fears are real for all of us, and they can be so much worse for trans women who do not immediately “pass,” to use a term I dislike, as women. And cisgender women who look androgynous may know these fears, too, like Cortney Bogorad, a cis woman who was ejected from a restaurant in Detroit last year for trying to use the women’s restroom because a security guard thought she was a man.
In the end, I use the restroom. I sit, despite ludicrous depictions of us as bearded individuals standing up to urinate. I wash my hands, check my face, look at a split end on my front clump of ringlets, and then leave, rejoining my friend. My heart is still drumming quicker than it should, but my world has returned, briefly, to something like normalcy. Like other trans women, I don’t want to be specially accepted, praised, or attacked in the restroom; I just want it to be a non-issue. I do not want to use a special restroom that segregates me from my fellow women; I just want to live, like other women, and to use the toilet without cause for alarm. I want to stop feeling these fears re-form each time I look at the sign reading Women’s.
But it is not a non-issue, not yet. When I see placards telling me that I do not belong in the women’s restroom, when I read legislation advising anyone who was born with certain genitalia to use this or that bathroom with unquestionable exclusivity, I wonder how they would feel if I were to truly forced to use the men’s restroom. The men would likely tell me I am in the wrong place; I might even cause a riot or a fight to break out if I did not turn around and flee. I wonder if the ardent sign-wavers, the people who protest with lurid slogans that scream “No Men in Women’s Restrooms!” are the same women who glanced at me as they walked by and showed no recognition that I was not a woman just like them.
Nowhere, in truth, is completely safe for anybody, but we should not—whoever we are—have to fear places like public restrooms to the degree that so many of us do. This is not an issue of special rights—it is an issue of just allowing us to be who we are, an issue of simple human rights. Under bills like Tomes’ and the many others we will likely see proposed this year, we are presumed to be criminals simply for being different, for having a sense of self we did not choose—and it is that presumption that is criminal. We cannot walk a road toward equality until we can stop seeing difference as danger.
Gabrielle Bellot’s writing has appeared in The New York Times, Guernica, Autostraddle, the blogs of Prairie Schooner and The Missouri Review, and other places. She is at work on her first novel.