La jeune photographe suisse Laurence Rasti a suivi des homosexuels iraniens réfugiés en Turquie. Dans leur pays, ils risquent la peine de mort. En Turquie, ils ont l’espoir de vivre librement.
Dans la ville turque de Denzili des centaines de réfugiés homos venus d’Iran attendent un asile. La photographe suisse Laurence Rasti, de parents iraniens, les a rencontrés. Sa série « Il n’y a pas d’homosexuels en Iran » renvoie directement aux propos de l’ancien président iranien Mahmoud Ahmadinejad, qui avait déclaré le 24 septembre 2007 à l’Université de Columbia : En Iran, nous n’avons pas d’homosexuels comme dans votre pays. »
Laurence Rasti se définit comme un « hybride culturel », ce qui la pousse à explorer les décalages qui existent entre son pays d’origine et son pays de résidence. Sa série délicate, qui questionne les notions fragiles de l’identité et du genre, est à découvrir au festival de photo Circulations, au Centquatre à Paris jusqu’au 8 mars.
Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir le sujet de l’homosexualité en Iran ?
– Dans certains pays occidentaux les mariages gays et lesbiens sont légaux mais en Iran, l’homosexualité reste passible de peine de mort. Ces personnes ne peuvent pas vivre pleinement leur sexualité. Ils n’ont que deux options : choisir la transsexualité, pratique tolérée par la loi bien que considérée comme une maladie, ou fuir.
Je suis arrivée à cette question de l’homosexualité en Iran en travaillant sur mes origines, sur les frontières entre masculin et féminin, sur les questions de genre et d’identité.
Pourquoi avoir décidé de parler des homosexuels iraniens en Turquie ?
– Après un travail d’enquête et de préparation fait en amont, différentes ONG m’ont parlé de Denzili, une petite ville de Turquie par laquelle des centaines de réfugiés homosexuels iraniens transitent. Ils mettent leurs vies entre parenthèses dans l’attente de rejoindre un pays d’accueil où ils pourront vivre librement.
Dans quelle situation se trouvent les personnes que vous avez photographiées ?
– Certains d’entre eux ont réussi à avoir leur visa pour le Canada ou les Etats-Unis. D’autres ont encore le statut de demandeurs d’asile en Turquie. Ce qui veut dire qu’ils ont fait une demande à l’ONU pour aller dans un pays tiers. Les démarches sont interminables : presque deux ans. Ils doivent alors répondre à de longues interviews pour vérifier qu’ils sont bien homosexuels, car certains réfugiés utilisent ce motif pour accélérer une procédure qui peut durer jusqu’à cinq ans.
En Turquie, les Iraniens n’ont pas besoin de visa. Ils passent la frontière et une fois sur place font leur demande d’asile. Mais ils n’ont pas le droit de travailler et n’ont aucune aide en Turquie. Ainsi beaucoup se retrouvent à travailler clandestinement dans des usines textiles.
Comment les avez-vous approchés ? Combien de temps il vous a fallu pour qu’ils vous fassent confiance ?
– Le contact s’est fait petit à petit. D’abord via les associations sur place avec lesquelles ils sont en contact. Ensuite de bouche à oreille. J’ai fait quatre voyages à Denzili, le temps de tisser une relation de confiance. A chaque première rencontre, lorsque je présentais mon projet, la réaction était toujours la même : ils étaient étonnés qu’une hétéro s’intéresse à leur situation.
J’ai voulu me focaliser sur leur situation actuelle et l’espoir qu’elle évoque. Ma démarche s’éloigne du documentaire classique car les styles photographiques choisis sont divers. Ça va de la mise en scène, au portrait en passant par le paysage urbain. L’idée étant de construire un ensemble cohérent. Les images sont composées avec des éléments simples voir festifs. Le but était de leur donner le visage qu’ils n’avaient pas en Iran.
Plusieurs prises de vue ont été réalisées avec les mêmes personnes, avant qu’une image soit réussie. Je ne voulais pas imposer mes idées. Au contraire je tenais à prendre des images qui leur correspondaient en respectant le choix de chacun de se dévoiler ou non. C’est pour cela que certains ont leur visage caché. C’était leur choix. Ma série témoigne de la difficulté qu’éprouvent ces personnes à réinvestir l’espace identitaire dont ils ont été privés.
L’objectif était-il de faire un travail politique ?
– Comme beaucoup d’autres supports, la photographie a l’avantage de sensibiliser les gens sur des problématiques, ou tout simplement d’en dévoiler d’autres. J’espère avoir réussi à l’utiliser dans ce sens. Le but n’était cependant pas politique à la base, mais il l’est forcément devenu. L’Iran est un pays qui me fascine par sa culture et son peuple, mais les libertés ne sont pas les mêmes qu’en Suisses et beaucoup de règles vont à l’encontre de mes idées. Sans les victimiser, j’ai voulu apporter un témoignage sur les difficultés auxquelles les homosexuels font face pour reconstruire leur identité.