Dans la fiction, en littérature, au cinéma, d’Orlando à Certains l’aiment chaud, les personnages en mutation de genre sont pléthore et depuis longtemps. Pourtant, une forme de solidarité (thématique, formelle) unit les fictions autour de personnages transgenres de cet automne : David, le jeune veuf qui porte les vêtements de sa femme sitôt défunte dans Une nouvelle amie de François Ozon ; Denis, l’écrivain qui chante dans un cabaret transformiste la nuit dans Chéri-Chéri de Philippe Djian ; Mort, le retraité de Transparent qui a attendu le dernier acte de son existence pour laisser vivre au grand jour la femme en lui.
Que le transformisme du personnage principal soit un motif parmi d’autres (comme l’adultère, l’intrigue mafieuse, les affres de la création littéraire) et non plus une problématique en soi, que ce motif souvent traité sur le mode de l’exceptionnel soit tiré vers une certaine banalisation réaliste, aplanie de tout conflit dramatique trop saillant (Transparent), quelque chose se déplace dans la façon d’aborder les personnages au genre migrant dans les fictions d’aujourd’hui. Evidemment, ces personnages de fiction (auxquels s’ajoutent quelques autres, comme le fascinant dandy travesti de L’homme qui s’aime, le beau roman de Robert Alexis), regroupés ainsi par l’actualité, forment un groupe. Voire un minicommando, prompt à batailler avec ce qui se dit et se pense aujourd’hui dans l’espace public sur les minorités sexuelles et les problématiques de genre.
Une des phrases les plus violentes et folles prononcées sur la question ces derniers mois ne vient pas d’un porte-parole surchauffé de la Manif pour tous ou du Printemps français, mais d’un ancien président de la République, Nicolas Sarkozy. “Je n’utiliserai pas les familles contre les homosexuels comme on a utilisé des homosexuels contre des familles.” Cette antonymie inédite entre les vocables “homosexuels” et “familles” n’a évidemment aucun lieu d’être (ah bon, vraiment, les homosexuels n’ont pas de famille ? Aucune famille ne comporte d’homosexuels ?).
De toute façon, ce sont les notions mêmes d’homosexualité et de famille que déminent très opportunément Chéri-Chéri, Une nouvelle amie et Transparent. Dans chaque récit, l’homme qui change de genre ne change pas d’objet de désir. Il continue de désirer des femmes. L’homosexualité n’est pas causale. Elle ne motive pas la transformation. On la retrouve en revanche à l’arrivée puisque le sujet transformé se retrouve en couple avec une personne, sinon du même sexe du moins du même genre.
“Disons que, techniquement, papa est lesbienne”, commente en riant la fille cadette dans Transparent. C’est le principe même de nomination des identités sexuelles qui est mis en crise par ces pérégrinations crossgender. De toute façon, la question centrale de Transparent, Chéri-Chéri ou Une nouvelle amie, n’est pas la sexualité, mais bel et bien la famille. Voire la parentalité. Occuper une fonction parentale qui ne soit pas assignable à celles, stéréotypales, du papa et de la maman, c’est le défi, la lutte, sociale et intime, de ces héros/héroïnes. Là se tient leur vertu d’intervention dans le débat public. Le dernier plan du film d’Ozon (que l’on ne spoilera pas) est même un détournement ironique et farceur du logo de la Manif pour tous.
Qu’un gouvernement socialiste continue à s’aveugler et à rester législativement à la traîne, en proscrivant la GPA et la PMA, sur l’évolution tout à fait naturelle de la famille dans la société contemporaine est consternant. Les familles aujourd’hui, ce sont, entre autres, des trans-parents, et toutes sortes d’aménagements qui doivent être vécus en toute légalité et transparence.
par Jean-Marc Lalanne
Les Inrocks