Un reportage de Thierry Nelissen et Michel Petit / Ophélie, Jean, Pierre, Laurence et les autres… Ils franchissent les mers pour trouver la mère porteuse. Les enfants, fruits de la gestation pour autrui, se multiplient au Luxembourg.
Ils vont être papas, elle est déjà maman. Rien de plus naturel et normal. Sauf que les enfants sont nés – ou naîtront dans quelques semaines – par le biais de la GPA, la gestation pour autrui.Cette forme de procréation est actuellement interdite sous nos latitudes. Ces enfants évoluent donc dans un vide juridique cruel. Cruel pour les parents bien sûr, cruel pour eux-mêmes puisque, officiellement, ils ne peuvent être inscrits à l’état civil. Ils sont donc balancés d’un statut juridique à un autre dont le seul point commun est la précarité de leur situation. Leurs parents, quant à eux, risquant la prison.
Il y aura cette année, au Luxembourg, à peu près autant de bébés nés par la GPA que d’enfants adoptés. Les chiffres sont peu élevés, respectivement une dizaine contre une vingtaine. Ils reflètent toutefois une réalité que d’aucuns souhaitent ne pas regarder en face.
Il est vrai que la GPA dérange. Non pas parce qu’elle est une réponse à un problème de fertilité, mais plutôt parce qu’elle apparaît comme une solution mise en exergue par le mariage pour tous. Cette officialisation de l’union entre personnes de même sexe a aussi ouvert les portes à des modèles de filiation qu’on a voulu ignorer. La GPA en est un.
Une poignée d’individus, les premiers concernés puisqu’ils sont ou seront prochainement parents, essayent de lancer le débat alors que le ministre de la Justice se montre très frileux sur cette question. Les dernières avancées sociétales légales et le «non» fourre-tout au référendum lui offrent une excuse pour éviter un nouveau chantier qui heurte les sensibilités et la morale de personnes attachées à la représentation traditionnelle de la famille.
Ces résistances ne peuvent cependant pas occulter l’évolution sociétale. Le rôle de la loi, dans ce cadre, est d’accompagner les changements et non de se réfugier derrière une idéologie conservatrice, qui ne fait qu’attiser les difficultés et développer un mal-être pour les personnes concernées.
La gestation pour autrui soulève des questions éthiques et juridiques fondamentales. Elles touchent à la marchandisation du corps, à la biologie, aux conceptions religieuses, à la formation de l’identité… Autant dire qu’elles sont explosives si on ne s’attache pas à la sensibilité sociale. La nôtre. Celle, humaniste, qui prévaut dans nos sociétés.
Ici ou là dans le monde, la GPA est légale. Elle peut être très encadrée comme elle l’est dans certains Etats américains qui tendent à protéger tant la mère porteuse que la femme qui donne ses ovocytes. Tant les parents que les enfants. Elle peut, parfois, être beaucoup moins respectueuse des mères porteuses. Ces expériences sont connues et documentées. Elles devraient donc être des supports à la réflexion. Et non des exutoires à une confrontation idéologique qui ne peut être que stérile. En revanche, certaines réalités sont incontournables. Les progrès de la médecine ouvrent des portes dont les conséquences étaient inimaginables il n’y a pas si longtemps. Les désirs de paternité et de maternité, quelle que soit la sexualité des parents, existent bel et bien. Des enfants naissent grâce à la GPA. Et ça, on ne peut pas l’ignorer. On ne le peut plus.
Jacques Hillion
Témoignages
Ils sont jeunes, ils sont beaux. Se sont rencontrés, se sont unis. Pour le meilleur. Sans imaginer, l’once d’un instant, que puisse s’ajouter le pire à leur belle histoire. C’est prévu, en route même, ils auront des enfants.
Un peu? Beaucoup? Passionnément!
Lui, c’est Pierre. Lui, c’est Jean. Ils se sont mariés, par la bonne grâce de la nouvelle loi luxembourgeoise sur le mariage. Dont, l’un et l’autre, tant d’autres aussi, attendent une suite, qui tant leur paraît logique: avoir, élever, aimer des enfants dans la plus grande transparence. En toute légalité. Et pour le plus grand bien, le bien supérieur des enfants à venir.
Pierre et Jean ont fait un choix. Ils n’entament pas les procédures interminables et incertaines qui mènent à l’adoption. De toute évidence, ils préfèrent la procréation, naturellement inaccessible. Cette réalité concerne d’ailleurs tant de couples hétérosexuels, confrontés, dans leur désir de bébés, au très faible nombre d’enfants adoptables.
La nature, certes, le leur interdit, mais aussi la loi qui, en voie de modification prochaine, semble leur ouvrir bien peu de perspectives. Reste à trouver alors une mère porteuse, qui vit en Inde, en Grèce, en Espagne, au Danemark. Pierre et Jean ont préféré les Etats-Unis.
«C’est le pays, plus précisément l’Etat de l’Oregon, que nous avons choisi. Car on y pratique la gestation pour autrui éthique. Et ça n’a rien à voir, comme le suspecte le ministre Braz, avec le mercantilisme du ventre d’une femme. Savez-vous que, d’ici à la fin de l’année, au Luxembourg, il y aura au moins huit enfants originaires des Etats-Unis?»
Aider le couple à accomplir ce voyage
Or donc, en Oregon, des agences, squattées par des armadas de juristes de haut vol, recrutent des mamans susceptibles de porter un enfant qui ne soit pas le fruit de leur époux ou compagnon. Les mamans sont triées sur le volet. L’agence ne retient que des mères altruistes, qui ont déjà vécu, sans souci psychologique ou physique, deux ou trois grossesses. La mère porteuse n’est pas dans le besoin, ne recherche pas un complément de revenus. Elle poursuit une carrière professionnelle, vit en famille, avec les siens. La mère porteuse élit elle-même le couple pour lequel elle procrée. Ou le papa. Ou la maman qu’elle veut aider.
«Notre mère porteuse, Ophélie, nous a donc choisis. C’est elle qui a retenu un couple gay à l’autre bout du monde. Elle vit avec son mari. Elle a une fille et un garçon. Au plan financier, elle est tout à fait autonome, elle a un emploi stable dans l’administration», raconte Pierre. «Elle gagne 3.500 euros par mois, appuie Jean. Elle n’a pas besoin de nous pour vivre.»
Tous deux ont constaté que la plupart des mamans acceptant la GPA travaillent dans le milieu médical, paramédical ou lié à la petite enfance.
«La maternité, non l’argent, est un but en soi pour toute la famille, remarque Pierre. Ces mères porteuses ont vraiment de l’empathie pour ceux qui ne peuvent pas avoir d’enfant.»
Ophélie n’est pas tombée par hasard dans la GPA. Elle n’en est pas à son coup d’essai. «J’ai porté la fille d’un père célibataire, à Portland. Celle-ci est née le 21 novembre 2013. Je confirme avoir moi-même choisi le couple de Jean et Pierre. Et ça a été un processus difficile.»
Ophélie s’épanche volontiers sur ses motivations profondes: «Je savais que je voulais aider un couple du même sexe à accomplir ce voyage. Mais j’ai été très difficile. Il était important pour moi que les parents potentiels soient compatibles avec ma propre famille. Une première chose m’a attirée en eux. Ils avaient mis des photos de bébés dans leur profil. J’ai trouvé cela plutôt intelligent. Le processus de compatibilité a pris quelques mois. Nous avons même dîné avec un autre couple. Mais nous avons continué à sélectionner, parce qu’il est important de choisir une famille avec laquelle on a des atomes crochus. L’agence avec laquelle nous travaillons, le NW Surrogacy Center, est épatante. Elle m’a guidée en toute transparence pendant toute la procédure.»
Ophélie a trouvé cette agence sur le net quand, déjà, elle souhaitait devenir mère porteuse pour sa propre soeur, dans l’impossibilité médicale de procréer.
Au courant des turpitudes de la loi luxembourgeoise, face à ces arguments d’éventuels business ou gestes mercantiles de la mère porteuse véhiculés par des milieux plus obscurs, voire par le personnel politique jusqu’au ministre de la Justice, Félix Braz, Ophélie, si elle avait ce dernier à portée de main, lui tirerait volontiers les oreilles. A moins qu’elle ne préférât la fessée: «Il s’agit d’abord, plaide-t-elle, d’un engagement personnel énorme. J’estime que la compensation financière est équitable et juste. Je ne pense pas qu’on puisse parler d’abus à l’égard des mères porteuses. Le contrat, légal et formel, est une pièce importante dans la procédure. C’est votre guide, si tout part en quenouille. L’argent n’est qu’un bonus accessoire par rapport à la joie absolue que j’éprouve quand j’aide à construire une famille.»
Pierre et Jean ne rechignent pas à parler de ce tabou pécuniaire. «L’argent que nous versons à Ophélie n’est qu’une compensation logique pour le temps qu’elle nous consacre, pour les assurances que nous contractons, les frais d’agence, la perte de revenus lorsqu’elle la grossesse l’empêchera de travailler, la garde de ses enfants, les frais à la clinique de fertilité. Pour la souffrance physique aussi, d’autant que l’embryon n’est pas le sien. Et puis pour nos voyages.»
La compensation réelle oscillerait entre 25.000 et 30.000 euros sur des dépenses totales de 120.000 euros. «Pour financer tout cela, et puisque nous habitons au Luxembourg, nous avons vendu notre appartement à Bruxelles», glisse Pierre.
Un seul but : construire une famille
Ophélie suit sa philosophie: «Je dirais que la part éthique d’une GPA en Orégon est fort différente de ce qui se fait en Inde. Je ne peux pas tolérer le commerce de mères porteuses qui existe véritablement en Inde. Les femmes sont utilisées et n’y reçoivent pas de compensation financière adéquate. Je pense que, dans l’Orégon, nos lois sur la GPA sont très libérales, mais aussi très respectueuses des droits des mères porteuses. Je pense que les familles gay ont le droit d’avoir des enfants, et que c’est précisément un manque d’éthique de leur refuser ce droit.»
L’argent, seule motivation? La porteuse américaine n’y croit pas. «Je pense que le processus de sélection élimine ce type d’acteur. Une assistance sociale est venue vérifier que ma maison était sûre, qu’il n’y avait pas trente chats ou un laboratoire. J’ai été testée psychologiquement et, mon mari et moi avons rencontré un psychologue. J’ai aussi subi un examen médical complet. Si vous comptez “faire de l’argent », la GPA n’est pas la meilleure chose à faire. Cet argent ne compense pas le temps investi dans le processus. Le but, c’est de construire des familles.»
Entre Pierre, Jean, Ophélie et les siens, c’est une histoire de famille. «C’est nous qui sollicitons de l’aide. Nous avons noué une relation d’amitié. Nous correspondons très régulièrement par Skype, disent les Luxembourgeois.»
Ophélie n’hésite pas à s’entretenir avec ses deux bambins, âgés de trois et cinq ans: «Le cadet est très intéressé par mon ventre qui gonfle. Il me demande si les bébés pleurent dans mon ventre. Ou s’ils sortiront par mon nombril.
L’aîné a une meilleure compréhension de la gestation pour autrui. Ils ont tous deux rencontré les futurs pères en novembre dernier, et les voient sur Skype chaque semaine. Dans la convention, il est spécifié que le partenaire de la mère porteuse doit donner son accord, sinon nous arrêtons tout. Mon mari me soutient beaucoup. Lors de ma première GPA, il était très sensible. Je pense qu’il est fier de moi pour le cadeau extraordinaire que je contribue à donner.»
De fait, Ophélie attend bien deux bébés, qui naîtront à l’automne. «Ce sont des jumeaux croisés, disent en cœur les futurs papas. L’un et l’autre avons apporté chacun notre sperme. L’un sera mon fils, l’autre celui de Jean. Dans l’Oregon, ils seront officiellement nos deux enfants.»
Ophélie n’en restera peut-être pas là. «Cela dépend de plusieurs choses, dit-elle. Si je recours à une césarienne pour les jumeaux, je ne sais pas si je voudrai d’autres bébés après. Mais je dirais, a priori, que la réponse est oui. J’aimerais fournir un enfant de même sang à la famille que j’ai aidée précédemment. Pourtant, la grossesse m’avait fait douter. Je me sentais si énorme, mal à l’aise. Au moment où j’ai accouché, j’ai tout de suite voulu recommencer, tant la joie et les larmes du père m’ont marquée.»
Les enfants qu’Ophélie porte pour le moment seront surtout, dans son esprit, les enfants de quelqu’un d’autre, de Pierre et Jean: «Ils sont des parents responsables, ou tout au moins ils le seront bientôt. Même si je porte ces enfants et leur donnerai la vie, ce ne sont pas les miens. Je ne les vois pas comme les miens. Je ne suis qu’une autre personne… qui sera très importante dans leur vie. Je suis comme le four qui tient au chaud des petits pains. Mais je reverrai les jumeaux. J’espère me rendre au Luxembourg pour les voir tous les quatre, et rester amie avec eux le plus longtemps possible.»
En attendant, Ophélie poursuit sereinement sa grande expérience pour la vie: «Je suis actuellement assez fatiguée. Je me suis réveillée au milieu de la nuit dernière. J’ai du mal à dormir depuis la vingt-troisième semaine. Une grossesse gémellaire n’est pas comme une autre. Je donne l’impression d’être enceinte de trente semaines. Je n’ai aucun regret en tout cas. J’ai hâte d’être le 16 octobre, quand les pères viendront à Portland.»
Florence, c’est tout autre chose. Célibataire, pédiatre, elle a toujours voulu un enfant. Ce que sa santé ne lui a jamais permis. «Je suis, dit-elle, comme tant de parents qui ne peuvent avoir d’enfants autrement que par la GPA. D’autant qu’il y a très peu d’enfants adoptables et que les conventions internationales préconisent l’adoption d’un enfant originaire du même pays ou d’un pays proche de celui des demandeurs. Les candidats à l’adoption subissent un véritable harcèlement, notamment de la part de psychologues. C’est révoltant. S’ajoute, mais pour ce qui concerne la GPA, le poids de la religion. Catholiques et sunnites s’y opposent, protestants, chiites et juifs sont plus ouverts.»
Du Danemark à la Crète
Le médecin avance des chiffres d’infertilité qui l’effraient: «Un couple sur cinq ne parvient pas à concevoir un enfant au bout d’un an, un couple sur sept au bout de deux ans. Un couple sur dix entame un traitement. Il me semble important de souligner le drame humain que peut représenter l’infertilité. L’infertilité et les échecs des traitements de procréation médicalement assistée (PMA) nuisent à la confiance et à l’estime de soi. C’est un parcours de combattant qui occupe la plus grande part du temps libre et de l’énergie psychique.»
Florence a eu recours à un donneur de sperme au Danemark, qui est un peu l’hypermarché européen du sperme. Puis a trouvé une mère porteuse en Crète. Celle-ci a reçu une indemnité de 900 euros. «Il faut, plaide-t-elle, lutter contre le tourisme de la procréation. S’il y a des donneuses, c’est qu’il y a des indemnités. L’anonymat des donneurs accompagnés de la gratuité, ça ne marche pas.»
Empêcher la prison
D’où son espoir d’une loi, au Luxembourg, qui soit claire, incontournable, sur tout ce qui touche à la GPA (reconnue comme un traitement contre l’infertilité par l’Organisation mondiale de la santé depuis 2009) et la PMA. Les parents «intentionnels» mettent en exergue deux volets surtout: régulariser l’inscription des enfants au registre de l’Etat civil et, ce n’est pas anodin, la dépénalisation de ces parents intentionnels. La prison, voilà bien la grande frousse des parents. Surtout que le phénomène s’accentue: selon les chiffres qui circulent, le Luxembourg pourrait compter rapidement autant d’enfants nés d’une GPA que d’enfants adoptés.
S’ajoute, dans un souci d’égalité de traitement des enfants, tout ce qui touche aux législations sociale et civile.
Oui à l’inscription, suspendue toutefois à un jugement.
La bourgmestre de Luxembourg, Lydie Polfer, précise que les services de l’Etat civil «inscrivent les enfants nés de la GPA, avec une donnée informative. Mais ils attendent la décision du tribunal», habilité à se prononcer sur la légalité de la déclaration et sur l’identité de l’enfant. Comme le soutient d’ailleurs la Commission consultative des droits de l’Homme, «il s’agit, disent les parents concernés, d’éliminer les différences de traitement entre les enfants issus de filiations différentes. Au législateur de s’assurer que les enfants nés d’une GPA à l’étranger bénéficient des mêmes droits que les autres enfants.» Le champ législatif est très large: état civil, éducation précoce, chèque-service, carte de séjour, caisse des prestations familiales, caisse de santé, tribunaux, etc.
A cet égard, le ministre de la Justice, s’il n’accepte pas la GPA, admet qu’il s’agit de régler la situation insoutenable des enfants. En attendant, une poignée de couples concernés commencent leur lobbying dans les milieux politiques et prennent langue au CHL où le service de la clinique de la procréation médicalement assistée se montre très frileuse.
Le Dr Caroline Schilling, médecin gynécologue et spécialiste de la reproduction, par ailleurs membre du comité d’éthique hospitalière, admet qu’elle n’a jamais reçu aucune demande de GPA. «Cela dit, la pénalisation, c’est du n’importe quoi.»
Au cours de leurs pérégrinations, Pierre et Jean n’hésitent pas à exprimer leurs griefs au langage tenu par Félix Braz. «Si, répliquent-ils, la gestation pour autrui bénéficie à la société luxembourgeoise: aux gays bien sûr qui peuvent ainsi fonder leur famille (déjà neuf enfants au Luxembourg en 2015), mais aussi aux 3% de femmes souffrant d’infertilité utérine des suites d’une exposition au distilbène ou d’une hystérectomie. Rappelons que 10% des femmes ayant dû subir une ablation de l’utérus ont moins de 40 ans… Pourquoi leur refuser l’accès à une GPA éthique au Luxembourg ou ailleurs? Quant aux propos de M. Braz nous assimilant à des trafiquants de chair humaine, ils portent atteinte à notre honneur. Nous avons d’ailleurs sollicité un entretien auprès du ministre et de M. Bettel pour entamer un dialogue que nous espérons constructif.»